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Pérou : Fujimori, comme un De Gaulle andin?


Pérou : Fujimori, comme un De Gaulle andin?
Alberto Fujimori entouré de la presse et de ses supporters après avoir voté à Lima, élection présidentielle de 1990, 10 juin 1990 © Matias Recart/AP/SIPA

Alberto Fujimori, président du Pérou de 1990 à 2000, est décédé le 11 septembre. Il avait été poursuivi par la justice, enfermé 18 ans en prison, et ses méthodes ont été controversées. Mais son pays a finalement décidé de lui accorder un deuil national de trois jours. Au pouvoir, il avait mis fin à l’insurrection armée conduite par le « Sentier lumineux » et rétabli l’économie


Pour les quelques rares hommes d’État qui ont eu la trempe d’affronter les pires tourments d’une époque et de les avoir vaincus alors que cela semblait impossible, mais ingratement voués aux pires gémonies par leurs acrimonieux opposants, leur mort a une vertu, cruelle certes parce que posthume : elle ouvre la voie à leur réhabilitation.

Ce fut notamment le cas de de Gaulle que Mitterrand qualifia, de dictateur ; de Churchill, l’homme des « larmes et du sang » que les électeurs britanniques congédièrent comme un malpropre au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale alors qu’il leur épargna une occupation nazie…

Et c’est déjà le cas d’Alberto Fujimori, le président du Pérou de 1990 à 2000, condamné à 25 ans de prison pour soi-disant « crime contre l’humanité », mort le 11 septembre à l’âge de 86 ans des suites d’un cancer, neuf mois seulement après avoir bénéficié d’une grâce à titre humanitaire et avoir effectué 18 ans de sa peine. Sa réhabilitation n’a pas tardé. De manière surprenante, elle a commencé le jour même de son décès. Malgré « l’infamie » de sa condamnation, à l’étonnement général, il a eu droit à des obsèques nationales.

La présidente de gauche (et non de droite comme l’a dit Le Monde), Dina Boluarte, a sur le champ décrété un deuil national de trois jours auquel s’est aussi associé le maire de Lima, la capitale, lui aussi de gauche. Durant ceux-ci, des milliers de Péruviens ont formé une queue ininterrompue de plusieurs kilomètres, pour lui rendre un dernier hommage, en s’inclinant devant sa dépouille qui était exposée au Musée de la Nation… Dimanche, un raz de marée humain, comme la capitale du Pérou n’en avait jamais connu, l’a accompagné en son ultime demeure. Avant, son cercueil avait été conduit au palais présidentiel pour que la Garde présidentielle lui rende les derniers honneurs. 

Une réputation d’autocrate et de génocidaire

Comment expliquer que « le peuple l’ait absous », selon le titre du quotidien La Razón (La Raison) de lundi, aussi massivement et promptement ? C’est que, à bien des égards, Fujimori peut être considéré comme un de Gaulle andin. Pour les classes populaires, pour les paysans de l’Altiplano, Fujimori fait figure de sauveur de la nation, à l’instar du Général en 1958. Quand il accède au pouvoir en 1990, le pays est en ruine, banni du système financier international, l’inflation atteint les 7500%, la devise nationale, le Sol, n’est qu’un bout de papier pour toilette. Au désastre économique s’ajoute l’existence de la guérilla du Sentier Lumineux, se réclamant des Khmers rouges, qui mène une politique de terreur et, surtout, semble sur le point de l’emporter… Pour le président fraîchement élu, ce fut en quelque sorte sa guerre d’Algérie.

Deux ans plus tard, suite à « un choc » qualifié d’ultra-libéral, Fujimori avait cassé les reins à l’inflation, un impôt indirect que seuls les pauvres paient, et le Sentier Lumineux était vaincu après l’arrestation de son chef Abimaël Guzman grâce à une politique de renseignement et non d’affrontement direct qui jusqu’alors avait échoué et fait quelque 30 000 tués très majoritairement imputable à l’organisation terroriste.

Troublante coïncidence de l’histoire, Fujimori et Guzman sont morts le même jour de l’année, un 11 septembre, au même âge, 86 ans, avec cependant un décalage de trois ans entre leurs décès. C’est ce que les surréalistes auraient qualifié de « hasard objectif ». On est dans du Garcia Marquez et son Cent ans de solitude

L’heure est venue donc plus tôt que prévue de casser, entre autres, trois fausses vérités colportées à satiété par une certaine presse (ces jours-ci par les deux principaux quotidiens nationaux de référence, Le Monde et Le Figaro) qui ont valu à Fujimori, surnommé le « Chino » en raison de son ascendance japonaise, sa réputation d’autocrate et de génocidaire.

En vérité, il n’a jamais été condamné pour crimes contre l’humanité, aucune politique de stérilisation forcée n’a été menée, et le prétendu « auto-golpe » (auto-coup d’Etat) du 5 avril 1992 qui lui a valu d’être qualifié de dictateur n’a pas été un putsch mais un contre-putsch, fondateur du Pérou d’aujourd’hui. Le Parlement se préparait à le destituer. Il prit donc ses devants. La constitution d’alors ne permettait pas dissolution. Alors il envoya l’armée le fermer, dans la foulée fit élire une constituante. Un an après, il faisait adopter par référendum la nouvelle constitution toujours en vigueur, dont la philosophie s’inspire beaucoup des principes de celle de notre Vème république.

En réalité, il a été condamné pour « responsabilité indirecte » (autoria mediata en espagnol) dans deux massacres, dits de la Cantuta et de Barrios altos, une université et un quartier populaire de Lima, perpétrés par un escadron de la mort constitué de policiers, le groupe Colina, qui s’était formé dans les années 80, sous la présidence de son prédécesseur, le social-démocrate Alan Garcia, en réaction à la pusillanimité des magistrats envers les terroristes par crainte pour eux et leurs familles de représailles.

Ces deux massacres n’ont jamais été qualifiés dans l’acte d’accusation de crimes contre l’humanité. Au moment des faits, ce chef d’accusation n’existait pas au Pérou. Il a été seulement dit dans les attendus de la condamnation que ceux-ci « auraient pu y être assimilés ».

Le concept de « responsabilité indirecte » a été élaboré lors du procès de Nuremberg pour condamner les responsables nazis qui n’avaient pas été les exécuteurs de leurs crimes mais les concepteurs et donneurs d’ordre.

Durant tout le procès de Fujimori qui a duré 13 mois à raison de trois sessions par semaine du 4 janvier 2008 au 7 mars 2009 (que l’auteur de ces lignes a suivi de bout en bout), pas le moindre indice d’un début de preuve n’a été apporté accréditant que l’accusé avait pensé et donné l’ordre de ces exécutions sommaires[1]. En fait, comme le souligne dans sa chronique de samedi le très influent éditorialiste de El Commercio (l’équivalent du Figaro), Jaime de Althaus, il a été condamné parce qu’en sa qualité de chef de l’État, selon les juges, il ne pouvait qu’être responsable mécaniquement des méfaits que tout fonctionnaire était susceptible de perpétrer. Donc coupable, non de ses actes, mais de par son statut.

Mythes et réalité  

Le quotidien Perú 21, le pendant, lui, en quelque sorte, du Monde, estime dans son édition du 13 septembre que cette condamnation relève d’un abus du droit. Tout au plus, souligne l’éditorial, Fujimori aurait dû être poursuivi pour complicité pour n’avoir pas sanctionné les auteurs de ces deux tueries. Le problème était qu’il ne pouvait pas sanctionner tant que leur culpabilité n’avait pas été établie.

Pire, le très respecté journaliste d’investigation, Ricardo Uceda, et le propre fils du Nobel Mario Vargas LLosa, Alvaro, journaliste lui aussi, ont dans leurs livres respectifs[2] affirmé que ce procès fut une parodie de justice. D’après eux, la condamnation de Fujimori avait été concoctée en catimini entre le président du Tribunal suprême, César San Martín, et trois avocats espagnols spécialistes de la « responsabilité indirecte » bien avant l’ouverture du procès. Un élément tend à fortement corroborer cette allégation. Les attendus de la condamnation rendue après un délibéré de seulement une semaine font plus de 500 pages… Écrire 500 pages de considérations juridiques en huit jours tout en délibérant relève du Guinness Book. Dès lors, l’accusé avait été condamné avant même d’avoir été entendu et jugé.

Enfin, concernant l’autre infamante accusation, celles de plus 270 000 stérilisations forcées que les ONG droit-l’hommistes n’ont cessé de mettre en exergue pour accréditer l’inhumanité de Fujimori, la justice a fini par leur tordre le cou. Le 10 août dernier, elle s’est finalement résignée au bout d’un quart de siècle d’une soi-disant investigation, à prononcer un non-lieu, estimant qu’il n’y avait eu aucune politique délibérée. Ces stérilisations se réduisent, a-t-elle conclu, « à quelques cas isolés et en nombre très réduit mais d’aucune manière elles relèvent d’une intention criminelle. Elles ont été avant tout conséquence de la négligence de quelques membres du corps médical. »

Quant aux accusations de corruption visant personnellement Fujimori, toutes sont tombées les unes après les autres.

Le funeste sort de ce dernier est un cas d’école sur la manière de comment un système médiatique peut falsifier la réalité en tordant les apparences. Tout journaliste devrait relire en permanence le Mythe de la caverne : les ombres ne sont pas le réel même si elles en sont l’émanation.


[1] Pour plus amples détails sur ce procès, voir le texte de l’auteur de l’article, « La Vengeance des autruches » qu’on trouve en espagnol sur internet « La venganza de las avestruces » (buenatareas.com ou es.slideshare.net)

[2] Respectivement Muerte en Pentagonito (page 322-24) – Mort au petit Pentagone, le petit Pentagone est le siège de l’état-major des forces armées péruviennes -, El reino del espanto (page 44) – Le règne de la peur. Aucun des deux n’a été traduit.



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écrivain et journaliste français.

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