Pour cet entrepreneur fils d’immigrés camerounais, il y a bien une question noire en France. Mais la faute n’incombe pas à ceux que vous croyez. L’obstacle principal à l’assimilation vient des familles et de la communauté. Retour sur un parcours qui donne de l’espoir.
Causeur. Depuis des siècles, dans la plupart des sociétés, la couleur de la peau et particulièrement de la peau noire, est une variable importante, parfois déterminante, dans les trajectoires des individus. Cependant, cette variable est elle-même éminemment variable : par exemple, elle n’a pas le même poids au Brésil qu’aux États-Unis. Y a-t-il une « question noire » en France ?
Albert Batihe. C’est une question que je me pose depuis la première fois où, il y a plus de quinze ans, je me suis demandé ce qui me liait, en tant que noir, à la société française. Est-ce que je suis français ? Africain ? Et si je ne suis ni l’un ni l’autre, alors qui suis-je ? Et, bien sûr, je me suis aussi demandé pourquoi, bien que je sois né à Paris et que mes valeurs soient françaises, on ne me reconnaissait pas toujours et automatiquement comme Français.
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Et à quelle réponse êtes-vous parvenu ?
J’ai compris que nous, les Noirs, nous avions, sans le savoir, un complexe d’infériorité transmis de génération en génération par nos parents. Chez moi, dès qu’on exprimait une ambition, dès qu’on prétendait entreprendre, nos parents et plus généralement notre cercle familier nous opposaient un cinglant : « Reste à ta place ! » Le mot d’ordre était simple : ne pas dépasser les autres. « Tu seras ouvrier comme ton père et comme ton fils après toi. » Cette façon de voir le monde est ancrée dans la mentalité de mes parents et de mes grands-parents, ainsi que dans celle de nombreux autres Noirs. Autour de moi, tout le monde agissait comme ça ! Mais moi, cette place à laquelle m’assignaient mes parents, mes proches et tous les adultes qui comptaient pour moi ne m’intéressait pas, mais pas du tout !
La religion m’a freiné et il a fallu que je fasse un travail psychologique sur moi-même
Quel est le rôle de la religion dans ce « complexe d’infériorité » ?
Nous sommes catholiques : la religion m’a freiné et il a fallu que je fasse un travail psychologique sur moi-même, car ma famille est imbibée des valeurs traditionnelles. L’appartenance à une paroisse camerounaise était importante. Ces paroisses sont des espèces de petits villages africains, des regroupements communautaires cimentés par la pratique religieuse et légitimés par l’Église et les textes sacrés. La Bible, la foi, l’Église n’étaient que la caution du message que nous adressaient nos aînés. C’est en se référant à la religion qu’ils nous expliquaient que l’argent est sale, que le capitalisme est mauvais. Et de là à la condamnation de toute ambition, il n’y a qu’un pas allègrement franchi. C’est le produit d’une mentalité africaine appuyée sur la Bible, la pratique religieuse et l’appartenance à une communauté.
Essayons de mieux cerner le groupe qui impose ces valeurs par la pression sociale. Quelles sont les origines de votre famille ?
Mes grands-parents paternels et maternels sont des paysans camerounais très pauvres. Ils sont francophones et, comme 70 % de la population, catholiques. Après son indépendance en 1960, le Cameroun a fait un bond en avant pour prendre la tête des pays de la région en termes de développement. Malgré les espoirs de ces années, mon père, né après la guerre et donc appartenant à la jeunesse de l’époque, ne voyait pas un avenir dans sa patrie. Il arrive en France à 24 ans après un long périple, déterminé à travailler dur pour avoir une vie meilleure matériellement. Son objectif était de venir travailler en France pour envoyer de l’argent au pays. Son installation réussie ici – pas grand-chose par rapport aux critères français, mais un vrai succès pour son milieu d’origine – lui a donné une grande valeur sur le marché matrimonial camerounais. N’importe quelle femme vous suit vers l’eldorado qu’est la France. En 1970, ma mère, choisie sur une simple photo, arrive en France. Elle avait 17 ans, lui dix de plus. Mon père occupait un poste administratif dans une entreprise, ma mère était aide-soignante. Lors de ma naissance, en 1974, la famille qui compte trois enfants avec moi est installée dans le 14e arrondissement. Quand j’ai trois ans, nous déménageons dans une HLM du 12e. Ce déménagement changera notre vie.
À ce moment-là, vers 1976, les immigrés sont plutôt en banlieue. Dans notre immeuble, il n’y avait donc ni Noirs ni Arabes
Pourquoi ?
On habitait porte de Saint-Mandé et à ce moment-là, vers 1976, les immigrés sont plutôt en banlieue. Dans notre immeuble, il n’y avait donc ni Noirs ni Arabes. Eux vivaient dans des cités de l’autre côté du périphérique. Quand j’ai été en âge d’aller à l’école, nous étions la seule famille noire du bon côté du périph. Mes « cousins » étaient de l’autre côté.
Il y a donc un impact de l’environnement sur la vie des migrants. Quelles sont les trajectoires de la fratrie à laquelle vous appartenez comparées aux parcours de vie de vos « cousins » de l’autre côté du périph ?
Il n’y a pas photo ! Mon frère, mes sœurs et moi, nous avons de meilleurs parcours de vie et nous sommes tous bien ancrés dans la société française. Nous sommes assimilés. Notre famille s’est embourgeoisée. Par rapport aux « cousins » de l’autre côté du périphérique, notre adresse et les gens qui nous entouraient nous ont permis de mieux réussir. Et c’est encore plus évident si on se compare avec mes vrais cousins par le sang restés en Afrique. C’est le jour et la nuit.
Au-delà de la chance d’habiter du bon côté du périph, comment avez-vous fait face personnellement à l’incitation à ne jamais aller plus loin que la génération précédente ?
En répondant au complexe d’infériorité par un complexe de supériorité… J’ai refusé « ma place » et j’ai fini par créer moi-même une place qui me convient.
Nos familles sont mélangées et nos enfants n’ont aucune notion de l’Afrique
Votre génération a-t-elle été poussée vers l’endogamie, vers un mariage entre Camerounais de France ou d’Afrique ?
Cette pression était réelle. C’est ancré chez nous. Nous sommes des catholiques chrétiens et nous étions plus ou moins doucement dirigés vers ça. Mais ma génération a fait exploser cette logique. Mes sœurs, mon frère et moi, nous n’avons pas reproduit le schéma matrimonial de nos parents, d’ailleurs nos cousins de l’outre-périph non plus. Nos familles sont mélangées et nos enfants n’ont aucune notion de l’Afrique.
Comment l’expliquez-vous ?
Les raisons sont complexes et multiples, mais pour ce qui me concerne personnellement – et on peut généraliser à mon avis – j’ai identifié ce bagage – les valeurs importées du Cameroun pour aller vite – à un handicap, à mes échecs. Je me suis donc libéré des cadres qui me freinaient. Chez nous, on prend le baptême adulte et je suis donc le seul de ma famille à ne pas être baptisé. Je suis le seul à avoir réussi à mettre tout cela de côté. Je continue d’être croyant, mais je suis déiste et n’accepte pas qu’un contrôle soit exercé sur moi par un groupe au nom d’une religion et de ses valeurs.
Au début des années 1980, les Noirs ne sont pas à la mode, mais ça change vite et devant mes yeux
Dans votre cas, quel a été le déclic ?
Très jeune, à l’école, j’en ai pris conscience. Au début des années 1980, les Noirs ne sont pas à la mode, mais ça change vite et devant mes yeux. Je vois Mickael Jackson, j’écoute Carlos chanter T’as l’bonjour d’Albert. Et puis il y avait la série « Arnold et Willy », diffusée à l’époque à la télé. Elle a eu un impact incroyable sur ma vie. Mon frère et moi ressemblions étrangement à Arnold et Willy, nous sommes devenus des stars à l’école. Je suis aussi très bon en sport. Les gens m’aiment beaucoup et je m’en suis rendu compte. Et puis en 1982, il y a aussi le gros parcours du Cameroun au Mondial de football ! C’est la première équipe africaine qui fait parler d’elle. Des Noirs commencent à habiter l’espace médiatique. Ce ne sont que des petits détails, mais ils font que le Noir devient enfin sympathique. Tout cela m’aidera à construire ma confiance et mon estime de soi.
Et l’école ?
J’ai été moyen. Au lycée, j’étais bon surtout en mathématiques.
Avez-vous été soutenu par vos parents ?
Mes parents pratiquaient un très bon français. Ma mère a fait l’école au Cameroun où on écrivait très bien le français. Mes parents lisaient, mais surtout la Bible, et mon père achetait France Soir. Il s’est toujours bien exprimé à l’oral. En revanche, ils ne nous aidaient pas pour les devoirs. Ils ne savaient pas et ils partaient du principe que si les autres étaient capables de le faire, alors nous aussi. Pour eux, il y avait des professeurs pour enseigner et si on ne comprenait pas, c’était notre problème. Et ça se réglait au martinet.
Vers la fin des années 1980[…] il commence à y avoir des Noirs, des Arabes, des juifs et on commence à parler des Français
À cette époque, étiez-vous toujours les seuls Noirs du quartier et de l’école ?
Non. Vers la fin des années 1980, quand je fais mon collège et mon lycée – normalement mais sans brio –, il commence à y avoir des Noirs, des Arabes, des juifs et on commence à parler des « Français ».
Etiez-vous sommé de rejoindre votre « race » et de choisir votre camp ?
Non. À cette époque-là, les Noirs restaient encore « à leur place », inhibés par ce complexe d’infériorité dont je vous ai parlé. Le facteur déclencheur du phénomène auquel vous faites référence arrive des États-Unis au début des années 1990, quand je suis lycéen. On n’a pas de copines, parce presque toutes les filles sont blanches et, même si elles m’aiment bien, il est inconcevable pour elles de sortir avec un Noir. Des années plus tard, j’en ai parlé avec certaines d’entre elles. Elles m’ont dit qu’elles avaient été amoureuses de moi, mais qu’il était impossible de sortir avec moi, à cause de la pression sociale. Pour ne rien arranger, mon père m’interdisait d’avoir des relations avec les filles…
Et comment voyiez-vous votre avenir professionnel ? Une école de commerce ?
Une école de commerce ? Mais je ne savais pas que ça existait ! En plus, je me disais : qui va payer une école privée alors que l’école est gratuite ?
À 19 ans j’étais en première année de droit et j’allais dans le public des plateaux de Nagui
Quelles étaient donc vos ambitions ?
J’étais ambitieux, mais sans vision. À 14 ans, j’étais ramasseur de balles à Roland-Garros, parce que l’un de mes copains l’était et je me suis présenté. À 17 ans, j’ai été figurant dans Navarro avec Roger Hanin. J’avais été « casté » dans mon quartier où tout le monde me connaissait. Ça a déjà été une bagarre avec ma mère pour pouvoir m’absenter de l’école pour cette journée de tournage. Elle se demandait ce que j’allais faire dans ce milieu d’« homosexuels et de délinquants »… En plus, ni elle ni moi ne savions ce qu’était ce « book » dont me parlait l’agence de casting… J’ai fini par faire cette journée de figuration où il n’y avait pas un Noir, pas un Arabe.
À 19 ans j’étais en première année de droit et j’allais dans le public des plateaux de Nagui. Je faisais le mariole, je faisais rire tout le monde. J’ai réalisé que Nagui gagnait 50 000 francs par émission et j’ai décidé de faire ce métier. Je travaillais à la Ville de Paris, j’ai pu acheter du matériel. En 1997, j’étais sûr que l’équipe de France de football allait faire un coup. J’ai pris une voiture, une caméra, et je suis allé interviewer les joueurs de l’équipe de France que personne ne connaissait.
Et l’équipe de France remporte la coupe du monde !
Bingo ! Je me suis retrouvé dans une espèce de spirale. Charlie Nestor (« Charlie et Lulu ») qui travaillait sur M6 était le seul animateur noir à la télé. Il m’a embauché comme chauffeur de salle. Parallèlement, je développais mon activité d’interviews vidéo avec des gens connus et pour faire bouillir la marmite, je travaillais comme pion dans les cantines. Mais j’ai fait pas mal de bêtises aussi.
Quelles bêtises ?
Pour avoir le lead dans un quartier, il ne faut pas être étudiant en droit propre sur soi et venir du bon côté du périph… Je suis devenu le cerveau qui échafaudait des « coups », des plans d’escroqueries. C’était important pour m’imposer. OK, j’ai un parcours scolaire normal. OK, je bosse à la Ville de Paris, mais je suis là quand il faut faire des conneries. J’ai monté des plans, mais jamais avec violence, et ils m’ont respecté au quartier.
C’est dans La Face cachée du Monde, de Péan et Cohen, que j’ai découvert le concept de la presse gratuite et appris que ça allait arriver en France
Espérons que tout cela tombe sous le coup de la prescription…
En tout cas, ça n’a pas duré, car en 1998 je suis devenu père d’une petite fille et ça a changé ma vie. Les gardes à vue, les bêtises, ce n’était plus possible. Il fallait gagner de l’argent, rester dans le droit chemin. J’ai pris conscience de la réalité des choses. Grâce à mon réseau, je suis devenu chroniqueur chez Delarue, sur France 2. Mais mes chroniques étaient écrites pour moi par des gens qui me disaient comment faire. J’ai été la « speakerine noire »… J’étais certain de devenir une star, mais une star vide qui deviendrait alcoolique et déprimée. J’ai donc décidé de reprendre le contrôle des choses. J’ai dit à mes employeurs que soit j’écrivais mes textes, soit j’arrêtais. Ils m’ont répondu que je n’étais personne et que je pouvais prendre la porte. J’ai donc pris la porte et pendant un an et demi j’ai passé beaucoup de temps à lire. Curieusement, c’est dans La Face cachée du Monde, de Péan et Cohen, que j’ai découvert le concept de la presse gratuite et appris que ça allait arriver en France. C’était en 2004. Mon père, qui était alors placier sur les marchés, m’a donné l’idée de lancer un journal gratuit dédié au marché forain et financé par la publicité. J’ai donc créé Ça va marché. J’ai mis des people en une et je l’ai distribué sur tous les marchés d’Île-de-France. Ça a cartonné.
Que transmettez-vous à votre fille concernant ses origines ? Quels liens a-t-elle avec le Cameroun ?
J’ai une fille de 22 ans dont la mère est blanche. Je lui ai transmis la meilleure éducation que j’ai pu : elle a fait une hypokhâgne et j’ai payé une école privée. Elle a également beaucoup voyagé, son bagage culturel est riche. Elle se sent noire par son père et la couleur de sa peau (son métissage) mais n’a aucune attache particulière avec l’Afrique ni avec le Cameroun que je lui ai fait découvrir dès son plus jeune âge. Je ne lui transmets aucune valeur africaine car je ne me sens pas du tout africain. Si je lui parle de la mentalité africaine et de l’histoire de l’Afrique, c’est pour son apprentissage. Je suis certain que dans ma famille à la prochaine génération, le nom Batihe qui est arrivé en France noir, deviendra blanc car les enfants de ma fille ainsi que ceux de mes neveux et nièces seront blancs.
Chaque fois que j’arrivais à un rendez-vous professionnel, les gens pensaient que j’étais le chauffeur de Monsieur Batihe… J’étais noir et jeune, et ça posait problème
Quoi qu’il en soit, votre origine n’a pas empêché votre ascension rapide…Il est vrai que vous ne manquez pas d’assurance….
En effet, j’avais 30 ans et j’étais chef d’entreprise. Mais chaque fois que j’arrivais à un rendez-vous professionnel, les gens pensaient que j’étais le chauffeur de Monsieur Batihe… J’étais noir et jeune, et ça posait problème. Je n’arrive pas à percer le plafond de verre.
Étiez-vous bloqué par le racisme ?
Pour être honnête, pas uniquement. J’ai rencontré des investisseurs qui m’ont proposé de lever des fonds pour développer l’entreprise. Ils me tendaient des papiers, m’indiquaient des démarches… Je n’étais pas outillé pour passer d’entrepreneur de terrain au « couteau entre les dents » à homme d’affaires entouré d’avocats, de comptables et de banquiers. Dans l’un des innombrables événements auxquels j’étais invité en ma qualité de jeune entrepreneur noir, je me suis fait remarquer par Alain Lambert (ancien ministre du Budget sous Raffarin) qui travaillait sur le programme de Nicolas Sarkozy qui allait – m’a-t-il dit – être président de la République. Il m’a demandé de l’aider sur les questions de banlieue. J’ai pondu des notes qu’il a fait passer.
Pour les municipales de 2008, Jean-Louis Borloo m’a proposé de participer à la campagne du 12e arrondissement de Paris
Vous avez du flair pour les gagnants…
Absolument ! On m’a donc laissé entrevoir des opportunités de travailler avec le nouveau pouvoir. Pour les municipales de 2008, Jean-Louis Borloo m’a proposé de participer à la campagne du 12e arrondissement de Paris. L’enjeu était important : il s’agissait de battre Delanoë, et donc le PS, à l’Hôtel de Ville. Mais le temps a passé et cela ne s’est jamais concrétisé. Pas plus que la promesse d’un poste de conseiller technique d’un ministère.
Pourquoi ?
On m’a fait valoir que mon activité de chef d’entreprise, et particulièrement d’un média, risquait de créer des conflits d’intérêts… J’ai donc accepté de mettre cette activité en veille en échange d’une garantie d’emploi qui permettrait de vivre. La solution a été de créer une association pour la promotion de l’emploi des jeunes des quartiers. C’est ainsi que je me suis retrouvé à la tête d’une sorte d’agence pour l’emploi spécialisée dans une population jeune à 80 %, issue d’une immigration récente et très rarement diplômée.
La plupart de ces jeunes raisonnent en termes de justice/injustice et refusent de comprendre comment une économie et une société modernes fonctionnent
Vous avez pu observer ce qui les handicapait pour trouver un emploi…
Les obstacles sont d’abord d’ordre psychologique, à commencer par ce complexe d’infériorité transmis et entretenu, transformé en aigreur, qui finit par aggraver les inégalités de départ. La plupart de ces jeunes raisonnent en termes de justice/injustice et refusent de comprendre comment une économie et une société modernes fonctionnent, comment une entreprise est gérée, comment réfléchit un patron…
Est-ce que la question de la virilité y est pour quelque chose ?
Sans doute ! D’abord, j’ai travaillé essentiellement avec des hommes et je peux affirmer que les femmes sont plus calmes, et leur besoin de reconnaissance se manifeste et se gère différemment. N’oubliez pas que nous sommes face à des personnes imbibées de valeurs traditionnelles, dont la première est la domination masculine. Et c’est considéré comme une évidence pour les femmes aussi.
Plus de quarante ans après l’arrivée des parents, on est encore dans le même système de valeurs et le même complexe d’infériorité
Ça n’évolue pas avec le temps ?
Non ou très peu. Plus de quarante ans après l’arrivée des parents, on est encore dans le même système de valeurs et le même complexe d’infériorité.
C’est un constat terrible !
Oui, mais ça reste un constat et la question à poser est : Que faire ? Comment s’en sortir ?
Ce qui fait défaut, ce n’est pas l’argent, c’est la lucidité
Avant d’en parler, il faut répondre aux arguments ressassés à propos de ces jeunes. Ils souffriraient à la fois du racisme et d’un abandon de l’État. Ils subiraient leur éloignement des centres politiques, économiques, culturels…
Absolument pas ! Ce qui fait défaut, ce n’est pas l’argent, c’est la lucidité. On peut donner beaucoup d’argent à des gens – c’est d’ailleurs ce qu’on fait dans les quartiers depuis de nombreuses années –, ça ne changera rien. Sans « éducation » à l’argent, l’argent ne sert à rien. Ça a marché pour moi parce que je me suis déstructuré pour me restructurer. C’est violent, parce qu’il faut tout mettre de côté, s’embrouiller avec sa propre famille, parce qu’on sort de l’« assignation à résidence » socio-économique. Il faut pouvoir être ambitieux, prendre son destin en main et en assumer les conséquences plutôt que de parler de « droits » et de transformer les injustices – bien réelles – en alibis pour l’échec annoncé d’avance. Cela pousse les gens à exagérer les problèmes et à les perpétuer pour pouvoir continuer à se sentir victimes au lieu de les vaincre et s’en sortir une fois pour toutes ! Et là-dessus, il n’y a aucune différence entre musulmans et chrétiens d’Afrique. Ce sont les structures familiales et les mécanismes qui les imposent – valeurs, code d’honneur, religion – qui fabriquent les principaux obstacles à l’intégration sociale et économique.
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Comment surmonter ce « mur anthropologique » ?
Par l’entreprise et la culture de l’entrepreneuriat ! Réfléchir, planifier, assumer, travailler, surmonter les échecs, apprendre et se mettre en question. Arrêtons avec cette culture des associations – et je le dis d’autant plus fort que j’ai monté et géré une association. Le système associatif, la logique du « but non lucratif » ne sont pas adaptés quand il s’agit de casser le mur invisible. Le discours de Sarkozy sur « l’homme noir qui n’est pas assez entré dans l’histoire », je l’ai repris à mon compte en le transformant : le jeune issu de l’immigration magrébine et africaine n’est pas entré dans l’économie moderne ! La solution est de créer des richesses, on existe par ses richesses. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’autres facteurs, mais on a tenté pendant des années et ça ne marche pas. Reprenons la formule de Guizot : fils et filles de l’immigration, « Éclairez-vous, enrichissez-vous, améliorez la condition morale et matérielle de notre France ».
Curriculum vitae d’Albert Batihe
1974 naissances à Paris
1994 Bac S Lycée Arago (Paris 12ème)
1994-1995 Fac de droit (Tolbiac)
1995-1997 Ecole de commerce (alternance « HEIG »)
2004-2011 Fondateur et PDG du journal gratuit « Ça Va Marché »
2009 Fondateur de l’association ElanDynamic
2009 ENA (programme court)
2009-2011 Chargé de mission (Ministères)
2012 Auteur du livre « La solution au chômage, c’est toi »
2014-2018 Gérant HEADSUP France et HEADSUP Afrique (stratégies de communication)
2016-2018 Chroniqueurs (C8, Canal + Afrique, CNews)