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Alaska, c’est exquis


Alaska, c’est exquis

La campagne pour la présidence des Etats-Unis a pris un tournant, peut-être décisif, avec la nomination de Sarah Palin comme candidate à la vice-présidence sur le ticket républicain. Chacun aura d’ailleurs remarqué la discrétion des médias français, majoritairement acquis à la cause de Barack Obama, qui boudent maintenant ouvertement une campagne qui n’a plus rien d’une marche triomphale pour le sénateur de l’Illinois.

Le jeu de massacre auquel a été soumise Sarah Palin dès sa nomination – en fait une reprise mot pour mot des attaques lancées contre elle par l’extrême gauche d’outre Atlantique – n’a pas aidé, c’est le moins qu’on puisse dire, à la compréhension du phénomène qu’elle a suscité.

Sa caricature en reine de beauté devenue mère de famille réac et bigote dans un petit bled paumé au milieu de nulle part, dont elle est devenue maire avant de dézinguer les politiciens corrompus de Juneau, capitale de l’Alaska, ne saurait expliquer l’élan nouveau que son arrivée dans le cirque électoral a donné à la campagne républicaine.

Juneau, justement, je m’y trouvais en septembre 2004, alors que la campagne opposant George W. Bush à John Kerry battait son plein. On est là loin des think tanks de Harvard, des sunlights d’Hollywood, des bars branchés du quartier de Georgetown à Washington, tous lieux où les observateurs français dépêchés par leur rédaction viennent, pour l’essentiel, chercher leur pitance rédactionnelle. En fait, je n’étais pas à Juneau pour faire dans cette charmante bourgade un reportage « décalé » sur la précédente présidentielle, mais pour m’éclater en allant pêcher le saumon, le flétan et le crabe royal à bord d’un voilier skippé par un ancien pêcheur de Noirmoutier.

Néanmoins, à l’issue de ce périple d’un mois le long des côtes alaskanes, de quelques bouteilles vidées du crépuscule à l’aube à bord de bateaux partageant avec nous le même mouillage, et de rencontres improbables sur des quais désolés, je revins au pays avec la ferme conviction que George W. Bush allait être réélu les doigts dans le nez en novembre 2004. Je vous laisse imaginer comment ce sentiment fut accueilli à mon retour : quolibets, sourires entendus mettant en doute mes facultés mentales, sans compter les coups de téléphones alarmés de mes amis entre eux se lamentant sur la triste nouvelle de mon virage réac et néo-cons…

Mais arrêtons l’autofiction, dont moi-même je n’ai rien à battre, pour revenir à non moutons, ou plutôt à nos ours, en nous posant la question à un million de dollars : de quoi Sarah Palin est-elle le nom ? De l’Alaska pardi ! Pour de très nombreux citoyens des Etats-Unis, cet Etat arctique immense et peu peuplé est la dernière frontière qui fait rêver le gratte-papier du New-Jersey, la serveuse de McDo du Kansas et même l’intello de New York saisi par le spleen du « Qui suis-je ? Où vais-je ? et dans quel Etat j’erre… » L’Alaska, bien sûr ! Sur un territoire grand comme trois fois la France, agrémenté de paysages somptueux vivent quelque 600 000 habitants dont la diversité ethnique, de mode de vie, de convictions politiques, philosophiques et religieuses cohabitent d’autant mieux qu’il y a suffisamment de place pour ne pas se marcher sur les pieds.

On y trouve aussi bien des lotissements style Desesperate Housewives pour les familles de militaires ou de travailleurs de l’industrie pétrolière à Anchorage, la principale ville, que des cabanes en rondins paumées au détour d’une rivière pour les pêcheurs de saumons et chasseurs de caribous, des villages côtiers indiens repérables à leurs collines pelées : toutes leur forêts domaniales ont été saignées à blanc et transformées en bois d’œuvre pour l’industrie japonaise du bâtiment. Après avoir transformé leur bois en whisky, ils vivent maintenant tristement du welfare et du chèque annuel que l’Etat d’Alaska reverse à chacun de ses citoyens sur les dividendes du pétrole et du gaz exploités dans la région de Purdue, sur la côte arctique. Ce chèque, en 2008, a atteint la somme record de 2 200 € par personne en raison de la flambée de cours du brut.

Pour les urbains, menant un mode de vie similaire à celui du reste des Etats-Unis, ce revenu complémentaire aide à compenser un coût de la vie très élevé, en raison de la nécessité d’importer la totalité des biens de consommation et d’équipement. Pour ceux qui ont choisi de vivre dans la nature, cette somme finance l’essentiel de la survie, vêtements, entretien de la moto-neige et du canot à moteur, outils, armes et munitions pour aller chasser et pêcher. L’abondance du gibier et du poisson assure la nourriture pour les longs hivers. On n’assiste plus, comme au début du siècle, à des légendaires ruées vers l’or et leur cortège de bandits, prostituées et tricheurs au poker. N’empêche, le « quartier réservé » de Juneau a été reconstitué à l’intention des touristes avec des acteurs et actrices plus vrais que nature, dans un Etat où la prostitution et le jeu sont aujourd’hui strictement prohibés.

Pour faire du dollar en Alaska, il faut être très costaud ou très malin. Très costaud comme ces étudiants californiens aux muscles saillants qui viennent gagner en trois mois l’équivalent de deux ans de frais d’université en pêchant le crabe royal dans le détroit de Behring, dans des conditions qui feraient passer l’enfer pour un havre de bien-être. Très malins comme ces bijoutiers indiens (d’Inde) qui attendent à Juneau ou à Ketchikan les immenses navires de croisière bourrés jusqu’à la gueule de touristes du troisième âge qui sautent sur tout ce qui brille. Pour le reste, hors Anchorage l’industrieuse et Fairbanks l’universitaire, la culture se limite aux concours de bûcherons pour les mâles et de T-shirts mouillés pour les femelles. Il y en a qui aiment.

John McCain, ou les crânes d’oeuf qui gèrent sa campagne, ont fait coup double : ils ont introduit du women pride et de l’Alaska dream dans le jeu électoral. Waouh !



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