La semaine dernière, nous expliquions pourquoi Nicolas Sarkozy avait sans doute eu tort de se porter candidat à la présidence de l’UMP. Nous ajoutions qu’Alain Juppé avait au moins le mérite d’avoir une stratégie depuis le début et s’y tenir. Mais cette stratégie n’est pas sans risques.
Comme François Fillon, le maire de Bordeaux ne croit plus dans la nécessité de diriger le parti dès lors qu’est prévue la fameuse primaire qu’il espère « la plus ouverte possible ». Ce mode de désignation du candidat de l’UMP à l’élection présidentielle a été stipulé dans les statuts de l’UMP votés sur la base de l’accord de paix Copé-Fillon. Depuis, Alain Juppé et François Fillon se sont assis sur ces statuts le jour où ils ont viré Copé, mais tiennent néanmoins encore à l’organisation de la primaire comme à la prunelle de leurs yeux. Ils ont ainsi dédaigné l’élection à la présidence de l’UMP reportant leurs espoirs sur la fameuse primaire ouverte. Nicolas Sarkozy, on le sait, n’est pas un fan de ce système. S’il avait maintenu son plan de départ, il aurait pu se présenter comme un candidat au-dessus des partis et estimer qu’il n’était pas tenu par cette compétition partisane. Etant finalement candidat à la présidence du mouvement, beaucoup de commentateurs ont estimé qu’il la briguait dans le seul but d’annuler la primaire ouverte. Or, sous la pression de Fillon et Juppé, mais aussi de son concurrent actuel Bruno Le Maire, qui s’était habilement présenté en garant de l’organisation de la primaire, il a été contraint, dès son deuxième ou troisième meeting, de convenir qu’elle aurait bien lieu, et qu’elle serait effectivement ouverte. Il faut croire que Juppé et Fillon n’en sont pas encore convaincus puisque l’un a encore rappelé sa volonté devant Nicolas Sarkozy à Bordeaux samedi, et qu’il s’est fait siffler à cette occasion, et que l’autre ne perd pas une occasion d’expliquer que si primaire ouverte il n’y a pas, il sera candidat au premier tour de l’élection présidentielle quoi qu’il arrive. Le député de Paris risque fort d’être freiné dans ses ardeurs par son fameux entretien avec Jean-Pierre Jouyet. Le doute ne lui bénéficie pas ; les électeurs de l’opposition risquent de ne pas lui pardonner cette visite à l’Elysée.
Le maire de Bordeaux, de toute évidence, ne croit pas Nicolas Sarkozy. Il pense que sitôtl’ancien président investi dans ses fonctions à la tête de l’UMP, ce dernier remettra en cause la grande ouverture de la primaire. Comment ? En 2011, le Parti socialiste n’avait exigé qu’une faible participation financière par électeur (1 ou 2 euros) pour couvrir les frais d’organisation et demandé à signer une charte des valeurs que tout le monde pouvait faire sienne, même n’étant pas vraiment de gauche. C’est sans doute sur ce modèle qu’Alain Juppé voudrait s’aligner. Nicolas Sarkozy pourrait demander à ce que la participation soit plus forte, et rédiger une charte des valeurs en bas de laquelle un électeur du gauche et même du centre refuserait d’apposer son paraphe. C’est là qu’Alain Juppé a sans doute fait quelques erreurs ces derniers temps. En accompagnant avec enthousiasme la « Juppémania de gauche », en laissant aux adhérents de l’UMP penser qu’il compte sur l’afflux d’électeurs socialistes pour gagner la primaire, il prend le risque de donner à Nicolas Sarkozy les arguments pour verrouiller la compétition. Les sifflets de Bordeaux étaient peut-être organisés par des émissaires sarkozystes (on parle du maire d’Arcachon), il n’en reste pas loin que la perspective, pour un adhérent de l’UMP, qui paye sa cotisation fort cher, de peser autant qu’un lecteur des Inrocks dans la désignation de son candidat à l’élection présidentielle, n’est pas très agréable, et risque fort de l’être de moins en moins. Alain Juppé aurait donc sans doute gagné à différer son interview à l’hebdomadaire gaucho-branché de quelques mois, une fois le principe de primaire largement ouverte acquise. C’est à se demander s’il ne s’est pas laisser griser par ses excellents sondages et sa prestation réussie sur France 2. Car cette erreur politique peut éventuellement lui coûter cher. Osera-t-il dans le cas d’une primaire verrouillée, aller à la candidature au premier tour ? Rien n’est moins sûr.
On avait vu que Nicolas Sarkozy faisait des fautes. Mais Alain Juppé en commet aussi. Le match n’est pas très beau. Il reste toujours aussi incertain.
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