Alain Jamet, pilier historique du Front National et compagnon de toujours de Jean-Marie Le Pen, revient sur des décennies de militantisme politique.
C’est l’un des plus anciens amis de Jean-Marie Le Pen. À ses côtés, il a connu la vie étudiante festive d’après-guerre, la guerre en Algérie, l’opposition radicale au gaullisme, la naissance du Front national dans les années 70, les premiers succès électoraux sous François Mitterrand, la qualification au second tour des présidentielles face à Jacques Chirac, la mise à l’écart par Marine Le Pen. En Occitanie, où il réside, l’ancien premier vice-président du Front national (2011-2014) revient sur plus de sept décennies de compagnonnage politique avec « le Menhir ».
Causeur. Pouvez-vous nous parler de votre première rencontre avec Jean-Marie Le Pen ?
Alain Jamet. C’était en 1951 à Paris, je venais de faire ma rentrée en première année de droit. Jean-Marie Le Pen avait 23 ans, et moi 17. Il présidait la Corpo (la principale association étudiante de la faculté de droit, non confessionnelle et apolitique – NDLR) et il m’a pris sous son aile. Il m’a même épargné le bizutage.
Qu’est-ce qui vous a séduit chez lui ?
Son entregent et son charisme. Il avait déjà toutes les qualités du meneur d’hommes… et de femmes d’ailleurs ! Je n’aurais sans doute pas eu la même vie si je n’avais pas rencontré Jean-Marie Le Pen. C’était il y a 75 ans et, depuis, je l’ai accompagné dans tous ses combats. Une longévité assez rare en politique, vous en conviendrez.
Le Pen a-t-il changé au cours de toutes ces années ?
Non, il a gardé les mêmes convictions et le même courage. Ça aussi, c’est très rare en politique.
Comment a débuté votre engagement à ses côtés ?
En 1954, j’appartenais à un mouvement, les Jeunes Indépendants de Paris, qui faisait la chasse aux communistes… et inversement. Le Pen est venu me demander de le rejoindre dans le nouveau parti de Pierre Poujade, Union et fraternité française, dans les rangs duquel il allait bientôt se faire élire député. J’ai répondu présent à son appel.
Et puis vint la guerre d’Algérie….
Alors qu’il siégeait à la Chambre, Le Pen a demandé à réintégrer l’armée et s’est embarqué pour Alger. Quelques mois après, en 1957, je l’ai imité et, là-bas, nous sommes devenus compagnons d’armes. Mais il avait une guerre d’avance sur moi, il avait déjà fait l’Indochine.
Pourquoi Le Pen a-t-il fini par s’éloigner de Poujade ?
C’est une question de caractère. Le Pen s’est plusieurs fois brouillé avec des personnalités politiques qui partageaient ses idées mais n’en étaient pas moins ses rivaux. Je pense aussi à Jean-Louis Tixier-Vignancour, dont il a dirigé la campagne présidentielle en 1965, ou, plus tard, à Bruno Mégret, qui était son dauphin.
En somme, Le Pen voulait régner seul ?
Je dirais plutôt qu’il préférait être seul que mal accompagné. Les faits lui ont donné raison d’ailleurs. Si, par exemple, dans les années 70, il s’était allié avec le Parti des forces nouvelles, qui défendait lui aussi la société traditionnelle occidentale, mais avec des options plus atlantistes, il aurait fini noyé dans une droite de compromis.
Quel rôle avez-vous tenu au FN ?
J’ai été principalement un élu local, à Montpellier, où j’ai créé la fédération du parti pour l’Hérault. Du fait de l’éloignement géographique, mes relations personnelles avec Le Pen se sont peu à peu distendues avec le temps. Mais politiquement, je lui suis toujours resté fidèle. J’en veux pour preuve que je suis le seul cadre, avec Marie-Christine Arnautu et Bruno Gollnish, à m’être opposé au changement de nom du parti en 2018.
Pourquoi ?
Un « front », c’est une force qui va contre. Alors qu’un « rassemblement » tente de rallier l’adversaire. Or le temps n’est pas encore à la réconciliation nationale.
Vous avez tout de même soutenu Marine Le Pen aux élections. Vous avez même présidé un de ses comités de soutien.
C’est vrai je me suis retrouvé dans une position intermédiaire entre le père et la fille. Je crois que les deux m’en ont un peu voulu d’ailleurs…
Certains disent que Jean-Marie Le Pen n’a jamais voulu le pouvoir. Qu’en pensez-vous ?
Il faut reconnaître que la situation d’opposant est plus confortable. Et qu’en 2002, quand il s’est retrouvé, à sa grande surprise, qualifié au second tour des présidentielles, Jean-Marie Le Pen n’était pas techniquement prêt à gouverner. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne voulait pas le pouvoir. On ne peut pas comprendre Le Pen si on néglige un trait central de son caractère : son tempérament de chef.
Autre accusation classique contre lui : dans les années 80, François Mitterrand l’a grandement aidé, en faisant notamment en sorte qu’on le reçoive à la télévision. A se demander si ces deux-là n’avaient pas un lien de connivence…
Je ne nie pas que Mitterrand nous a donné un coup de pouce. Mais c’était uniquement pour montrer son ouverture d’esprit et gêner ses adversaires. Pas pour nos beaux yeux, croyez-moi !
Il y a aussi les accusations d’antisémitisme contre Jean-Marie Le Pen. Quelle est votre position dans ce dossier ?
Ecoutez c’est bien simple : je l’ai côtoyé pendant près de 75 ans et je n’ai jamais entendu tenir le moindre propos contre les israélites, même en privé. Étant entendu que pour moi, accoler le mot « crématoire » au nom de Michel Durafour, qui avait déclaré vouloir supprimer le FN, n’a rien d’antisémite. D’ailleurs, pour sa défense, Le Pen avait montré que Le Canard enchaîné avait fait, en 1962, le même jeu de mot pour se moquer du colonel Dufour, qui était le chef de l’OAS à Oran.
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Vous oubliez l’affaire du « détail »…
Le lendemain de cette sortie, Le Pen a fait un communiqué pour dire qu’il ne niait pas l’existence de la Solution finale, mais qu’il se réservait le droit d’accorder à ses modalités d’exécution l’importance historique qu’il souhaitait.
Qu’avez-vous pensé de ce communiqué ?
Même si je l’ai lu en séance au conseil régional du Languedoc-Roussillon, où je présidais alors le groupe parlementaire FN, je pense que c’était une erreur.
Comment expliquez-vous que Le Pen se soit maintenu dans cette erreur?
Par son obstination ! Il avait la tête dure. Comme moi.
Comment voyez-vous l’avenir de son mouvement?
Grâce à Dieu, Marion Maréchal s’est rapprochée de sa tante Marine, et c’est une excellente chose. Mais je pense qu’elles ont tort de vouloir dédiaboliser le parti. Les médias et la justice continueront, de toute manière, de leur faire payer le fait d’être du même sang que Jean-Marie Le Pen.
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