« L’Esprit de l’escalier », l’émission culte d’Alain Finkielkraut et d’Elisabeth Lévy est de retour en exclusivité sur RNR.TV. Au programme d’Alain Finkielkraut ce mois-ci: l’affaire Polanski, la confession du violeur et la manifestation contre l’islamophobie
L’affaire Polanski
Faut-il aller voir J’accuse ? Oui et de toute urgence. De la scène inoubliable de la dégradation de Dreyfus à la réhabilitation finale, Polanski raconte l’Affaire du point de vue du colonel Picquart, l’officier plein d’avenir et de préjugés antisémites qui a mis sa carrière et même sa vie en péril quand il a découvert que le prisonnier de l’île du Diable n’était pas le traître. C’est un film tout ensemble austère et palpitant qui donne beaucoup à penser.
Mais, comme Polanski est accusé de viol par une ancienne actrice, quarante-cinq ans après les faits, les néoféministes appellent au boycott, avec l’agrément du ministre de la Culture en personne. Et la bonne presse, Télérama en tête, nous explique qu’il est temps d’en finir avec le dogme proustien de la distinction entre l’homme et l’artiste. Tzvetan Todorov affirmait déjà, naguère, que « si Shakespeare, miraculeusement revenu au monde, nous apprenait que son passe-temps favori était le viol de petites filles, nous ne devrions pas l’encourager dans cette voie, sous prétexte qu’il pourrait produire un autre Roi Lear. Le monde n’est pas fait pour aboutir à une œuvre d’art ».
Mais admettons un instant que cette hypothèse délirante soit vraie ou que Shakespeare nous cache encore quelque secret honteux. Le Roi Lear n’en resterait pas moins une des pièces les plus profondément humaines du répertoire européen. Preuve éclatante du mystère de la création et qu’on peut confondre dans un même opprobre l’artiste et l’homme. Salaud intégral, Céline a écrit le Voyage au bout de la nuit qui n’est, en aucune manière, l’expression de son ignominie.
Mais nos procureur.e.s. n’en ont cure. Gauguin, Balthus, Woody Allen, Polanski : ils et elles ont mis sur pied un tribunal affranchi des règles du droit qui, pour faire la place aux femmes et aux minorités, n’épargnera bientôt aucun mâle blanc.
La confession du violeur
Sous l’influence de Cyrano de Bergerac (long, mon nez ? Non : immense. « C’est un cap. Que dis-je ? C’est une péninsule »), j’ai toujours pensé que la réaction la plus civilisée à une moquerie ou à une agression verbale était la surenchère ironique. À Caroline de Haas, qui m’accusait, sur le plateau de LCI, de faire l’apologie du viol, j’ai donc répondu par un vibrant coming out : « Je dis aux hommes : “Violez les femmes”, d’ailleurs je viole la mienne tous les jours. » Résultat : le Parti socialiste a saisi le CSA, quatre députés de la France insoumise ont fait un signalement au parquet, une pétition exigeant l’arrêt immédiat de mon émission « Répliques » a été envoyée à Radio France et toute la gauche béarnaise – des radicaux aux communistes – a réclamé la déprogrammation d’une conférence que je devais tenir à Pau le 23 novembre. Les organisateurs n’ayant pas cédé, j’ai bénéficié dès ma descente d’avion d’une protection policière rapprochée. Et deux officiers de sécurité m’ont raccompagné jusqu’à l’aéroport. La gauche qui incarna longtemps, comme le dit Jacques Julliard, l’alliance de la justice et du progrès, est-elle en train de mourir de bêtise ? Le premier degré fait-il la loi en France ? Cette patrie littéraire devient-elle une société littérale ?
Comme les Insoumis n’ont pas, malgré une démagogie effrénée, réussi à séduire les gilets jaunes de la France périphérique, ils tablent sur la France des quartiers, dont la population ne cesse de croître
Toutes les personnes qui me clouent au pilori n’ont pas pris, il est vrai, mon « cri du cœur » au pied de la lettre. Mais, proclament-elles, on ne rigole pas avec ces choses-là. Ah, bon ? Croit-on que lorsque, du fait de mon souci constant d’Israël ou de ma défense de l’identité française, on me traite de raciste voire de nazi, j’évoque, la voix tremblante, l’avant-bras tatoué de mon père ? Non, j’en rajoute et je dis que la déportation des mauvais Français est mon plus cher désir. Plus les accusations portées contre moi sont lourdes et plus ma fureur prend le ton de l’ironie.
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Cette indignation ridicule a dissimulé, qui plus est, le vrai scandale qui s’est produit pendant l’émission. La chercheuse militante Maboula Soumahoro développant le thème hélas rebattu du racisme d’État, Francis Szpiner l’a interpellée vivement : « Il y a du racisme en France, mais je ne vous permets pas de dire que la France est un pays raciste. » Réponse de Maboula Soumahoro : « Je suis française comme vous, je fais ce que je veux, je dis ce que je veux. » Je suis alors intervenu : « Vous êtes universitaire, vous n’êtes pas victime de la ségrégation, vous exercez dans ce pays. Ne pourriez-vous pas montrer un peu de gratitude ? » David Pujadas me demandant de m’expliquer, j’ai précisé que j’étais moi-même un enfant de parents immigrés, que j’avais fait mes études à Paris, que j’avais pu enseigner à l’école Polytechnique et que j’étais reconnaissant d’avoir un accès direct, par ma langue maternelle, à une littérature magnifique. Et j’ai demandé à Maboula Soumahoro pourquoi, quels que soient par ailleurs ses griefs, elle se refusait à dire merci. La représentante des écologistes Sandra Regol a pris alors Pujadas à témoin de l’insulte dont je venais de me rendre coupable. Le contraire de la gratitude, c’est le ressentiment, c’est la haine. Et la haine, nous a-t-on appris sur le plateau de LCI, est l’attitude désormais requise par l’antiracisme.
Cette francophobie va triompher, prévient, avec un large sourire, Maboula Soumahoro : « Vous paniquez parce que votre monde est en train de finir. » J’aimerais que cette prédiction soit fausse. Mais vu le train où va l’Histoire, je n’y mettrais pas ma main au feu.
La manifestation contre l’islamophobie
Même s’ils sont beaucoup moins nombreux que les actes antisémites ou antichrétiens, les actes antimusulmans doivent être dénoncés sans relâche et punis sans faiblesse. Mais le concept d’islamophobie est l’alibi de l’islam séparatiste et de l’islam conquérant. Ce concept installe ses utilisateurs dans le seul registre du grief et de la plainte. Peu importe qu’il y ait aujourd’hui 3 000 lieux de culte musulmans contre 900 en 1985, on s’érige en victimes d’une société et d’un État islamophobe comme si, en dépit même de toutes les violences commises au nom de l’islam, la pensée critique et la remise en question de soi devaient rester à jamais une prérogative européenne.
La présence, le 10 novembre, à la manifestation contre l’islamophobie, de nombreux écologistes et des leaders de la France insoumise témoigne de la conjonction inédite entre l’idéalisme compassionnel et le réalisme sordidement calculateur. Nos « progressistes » se portent au secours des humiliés pour mieux flatter un électorat potentiel. À chaque fois qu’il fustige le communautarisme, Jean-Luc Mélenchon vise le CRIF. Aucun risque de sécession de ce côté-là, mais il n’y a que 700 000 juifs en France pour 6 millions de musulmans. Le compte est vite fait. Et comme les Insoumis n’ont pas, malgré une démagogie effrénée, réussi à séduire les gilets jaunes de la France périphérique, ils tablent sur la France des quartiers, dont la population ne cesse de croître. Il y aura donc aux prochaines élections des listes communautaires et des listes clientélistes, c’est-à-dire communautarisées. L’ingratitude a de beaux jours devant elle.