Depuis Socrate, le devoir du penseur n’est pas de répéter la doxa du moment mais de la questionner. Sans cette liberté d’exprimer opinions et pensées, point de démocratie. C’est pourquoi le silence ou l’approbation des médias après le limogeage d’Alain Finkielkraut laisse présager un avenir bien sombre.
Un homme, en l’occurrence Alain Finkielkraut, se risque à remplir son office de penseur : plutôt que de ratifier les évidences et les certitudes du jour, plutôt que de communier avec les idées du moment, il les examine, les interroge, les inquiète, remonte la pente des sentiments, des jugements tout faits, et le voilà, à peine quelques heures après son intervention, « annulé », « effacé », « biffé » de l’émission de David Pujadas à laquelle il participait le lundi sur LCI depuis septembre. « Finkielkraut en liberté », telle était l’enseigne sous laquelle le philosophe intervenait et il avait la faiblesse de prendre au mot et au sérieux cette invitation. Il illustrait, en acte, ce que signifie penser librement. Mais c’était sans compter avec les esprits dits « éveillés », véritable tribunal des flagrants délits. Et ce soir-là, son intervention s’est muée en comparution et exécution immédiates – privé du droit minimum de la défense, le droit de répondre de ses propos, privé aussi de cette pièce à conviction qu’était l’émission elle-même, puisque, sans délai, elle fut rendue inaccessible par la chaîne.
Comment un peuple réputé pour son art et sa passion de la conversation et de la dispute, peut-il subir sans broncher ce retour en force de la censure?
Voici les mœurs sous lesquelles, à l’heure de la « cancel culture » et de la « woke culture », nous allons devoir nous accoutumer à vivre si nous ne réagissons pas. Or, même les médias amis du philosophe ont fait le choix de l’évitement, préférant renchérir sur le silence que la chaîne du groupe TF1 imposait à Alain Finkielkraut. « Il ne faut jamais résister aux gens qui sont les plus forts », dit le comte de Bréville dans Boule de suif. Cette affirmation semble être la maxime commune de nombre de journalistes et intellectuels.
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Cette absence de réaction à l’éviction d’Alain Finkielkraut est préoccupante. On ne saurait s’y résoudre, et personnellement, je ne m’y résous pas. Je suis de ceux qui ont contracté une dette considérable à l’endroit d’Alain Finkielkraut et d’abord à l’endroit de La Défaite de la pensée[tooltips content= »Je me permets de renvoyer à mon Crépuscule des idoles progressistes (Stock) »](1)[/tooltips]. J’avais 17 ans et la lecture de ce réquisitoire contre le relativisme culturel, ce plaidoyer pour la pensée comme art de se quitter, de mettre entre parenthèses les évidences du moment, cette ode enfin aux grandes œuvres de l’esprit m’a à jamais réveillée et libérée. De ce jour, la découverte de la philosophie
