Et si le philosophe avait tort de s’impliquer sans cesse dans les médias?
Alain Finkielkraut est indigné parce que LCI l’a « viré » après ses propos sur Olivier Duhamel à l’émission de David Pujadas dans laquelle il était un chroniqueur hebdomadaire. Il a déclaré dans le Parisien que « son éviction est d’une incroyable goujaterie, que LCI le bâillonne et qu’il est sous le choc. »
Je partage son sentiment : LCI n’aurait jamais dû prendre cette décision à son encontre. Elle est absurde.
Alain Finkielkraut est un grand esprit, un authentique philosophe et a toujours su faire preuve d’une liberté intellectuelle qui a du prix, émanant de lui. Son rôle est trop important dans l’espace de la pensée et médiatique pour qu’on ne s’attache pas à l’analyse de ses commentaires du 11 janvier et à ce qu’ils révèlent sans doute de sa personnalité.
Alain Finkielkraut fait preuve d’une grave méconnaissance de la réalité de ces transgressions en occultant le phénomène d’emprise, sur un adolescent de 14 ans tétanisé, exercée par un adulte admiré, séducteur, beau parleur et surtout titulaire d’une indiscutable autorité
Ses propos, à bien les lire, sont plus complexes que ce qu’une approche sommaire a résumé. Ils mêlent des évidences à une interrogation provocatrice.
Pour les premières, il s’agit d’une réflexion pertinente sur la Justice en général et sur les précautions à sauvegarder dans la matière des crimes et des délits sexuels avec les enfants pour victimes. Notamment rappel de la présomption d’innocence, refus des condamnations médiatiques sans rien savoir. Il n’y a rien dans ces considérations qui puisse choquer.
Pour la seconde, en revanche, il me semble qu’ Alain Finkielkraut commet une grave erreur de perception quand sur l’affaire dont la victime est « Victor » Kouchner, il s’interroge sur le possible consentement de ce dernier âgé de 14 ans (ce ne serait plus un enfant mais un « adolescent ») et sur l’existence peut-être d’une réciprocité qui aurait relativisé, si on comprend bien, les agissements d’Olivier Duhamel. La qualification pénale retenue étant : viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité sur mineur de 15 ans.
Alain Finkielkraut fait preuve d’une grave méconnaissance de la réalité de ces transgressions en occultant le phénomène d’emprise, sur un adolescent de 14 ans tétanisé, exercée par un adulte admiré, séducteur, beau parleur et surtout titulaire d’une indiscutable autorité. Il est aberrant de prétendre plaquer, sur une inégalité objective et forcément subie, l’apparence d’une liberté de part et d’autre alors que ces relations délictuelles et/ou criminelles résultent naturellement de la domination de l’un sur l’autre, de l’évidence d’un pouvoir sur un adolescent pris au piège de l’affection et de la confiance sans qu’il soit même nécessaire d’évoquer la notion de contrainte.
Il serait offensant, pour une personnalité de la trempe d’Alain Finkielkraut, d’imaginer un désir personnel d’apologie d’Olivier Duhamel. Il faut en effet aller chercher ailleurs les ressorts de cette polémique. Ils relèvent à mon sens de l’hostilité qu’Alain Finkielkraut paraît toujours avoir éprouvée face à des indignations unanimes, trop consensuelles, pour être honnêtes, acceptables en quelque sorte. Comme s’il résistait en permanence à la tentation de mêler sa voix, même, comme souvent, équilibrée et raisonnable, aux hurlements avec les loups. Il y a là comme un désir, chez lui, de nous mettre en garde, de nous alerter, de nous inciter à des nuances et à de la subtilité ; mais à force de se méfier de l’ordinaire, il lui arrive de tomber, comme en l’occurrence, dans la confusion qui peut au moins troubler.
Je persiste : LCI, sans délicatesse, a cru bon de chasser Alain Finkielkraut de son plateau. Comme si une erreur d’analyse, un point de vue perçu comme provocateur et gravement inexact appelaient l’exclusion, une expulsion, en effet très indélicate. Avec de tels critères, les plateaux pourraient devenir des déserts et les débats des monologues.
Alain Finkielkraut, philosophe de qualité et académicien français, devrait toutefois s’abstenir de s’impliquer sans cesse dans les médias, en se plongeant dans l’écume, l’anecdotique, le superficiel et le contingent. Je sais bien que la mode d’aujourd’hui est de faire participer des philosophes réels ou prétendus à des échanges, sortes de coachings du riche, dans des quotidiens ou magazines. Au mieux ce sont des banalités, au pire des afféteries.
Mais de grâce, pour Alain Finkielkraut, plus lui, plus ça !
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