Le meilleur de l’Esprit de l’escalier avec Alain Finkielkraut.
Johnny
Johnny Hallyday était, depuis des lustres, une figure familière. Personne ou presque ne pouvait échapper à sa célébrité, à ses tubes, aux heurs et malheurs de sa vie privée. Son agonie et sa mort m’ont donc touché, mais je ne suis pas en deuil, je ne partage pas l’émotion de ceux qui ont pleuré et chanté au passage de son convoi funéraire. Loin de moi, cependant, l’idée de mépriser leur chagrin. En regardant les images du grand hommage populaire dont a fait l’objet l’idole de certains jeunes devenus vieux, j’ai pensé à un texte magnifique de Proust recueilli dans Les Plaisirs et les Jours, « Éloge de la mauvaise musique » : « Le peuple, la bourgeoisie, l’armée, la noblesse, comme ils ont les mêmes facteurs, porteurs du deuil qui les frappe ou du bonheur qui les comble, ont les mêmes invisibles messagers d’amour, les mêmes confesseurs bien-aimés. Ce sont les mauvais musiciens. Telle fâcheuse ritournelle, que toute oreille bien née et bien élevée refuse à l’instant d’écouter, a reçu le trésor de milliers d’âmes, garde le secret de milliers de vies, dont elle fut l’inspiration vivante, la consolation toujours prête, toujours entrouverte sur le pupitre du piano, la grâce rêveuse et l’idéal. Tels arpèges, telles “rentrées” ont fait résonner dans l’âme de plus d’un amoureux ou d’un rêveur les harmonies du paradis ou la voix même de la bien-aimée. »
A voir aussi : Alain Finkielkraut : « Je souffre de voir Renaud Camus s’égarer de cette manière »
Ce qui a changé depuis Proust, c’est que cette musique dont il dit que sa place, nulle dans l’histoire de l’art, est immense dans l’histoire sentimentale des sociétés, n’a plus d’Autre, plus de supérieur hiérarchique, plus rien qui
