Depuis hier, Alain Finkielkraut est victime d’une bronca médiatique pour une phrase sortie de son contexte. Mise au point.
On appelle ça un buzz. Cette information ou rumeur qui, selon le Larousse, a un « retentissement médiatique, notamment autour de ce qui est perçu comme étant à la pointe de la mode (événement, spectacle, personnalité, etc.) ».
Tout écouter pour mieux juger
Le dernier buzz en date s’attaque donc à un « dérapage », celui du philosophe Alain Finkielkraut. L’une de ses phrases fait désormais le tour de la France, de Belgique, peut-être même d’Europe. Se questionnant sur l’hommage massif rendu à Johnny, le coupable Alain Finkielkraut lâche au micro de RCJ : « Le petit peuple blanc est descendu dans la rue, les non-souchiens brillaient par leur absence ». Tollé général sur Internet.
Je dois être honnête. Comme beaucoup, je me suis dit – trop – rapidement : « Comment cet intellectuel est-il tombé si bas ? » J’étais même gêné. Effectivement, si jusqu’à présent je concédais volontiers ne pas partager l’ensemble des idées d’Alain Finkielkraut, je défendais en permanence sa parole intellectuelle. Je fais partie de ceux qui regrettent que notre société de divertissement manque cruellement de raisonnement profond et de débat qualitatif.
En tant que journaliste, j’ai tout de même choisi de me faire ma propre idée de cette petite phrase, qui me paraissait tout droit sortie d’un propos du Parti des indigènes de la République (sa porte-parole Houria Bouteldja évoquant les « souchiens »):
J’ai donc écouté son intervention en intégralité.
Les Inrocks dégainent
Après cela, on appréhende mieux la furie des réseaux poussant l’individu à des instincts primaires de réflexe, à commenter sans réfléchir, sans prendre le temps d’écouter un raisonnement entier, ces 11 minutes d’Alain Finkielkraut sur la question de la fragmentation sociétale et culturelle. Pire : des médias, comme Les Inrocks, cautionnent cette déchéance intellectuelle, celle de ne pas prendre un moment pour saisir une parole.
L’écrivain s’est tout bonnement demandé si les funérailles de Johnny Hallyday, qui ont rassemblé plus de 500 000 personnes, ne seraient pas un symbole de fracture entre les jeunes, les vieux, les Français issus de l’immigration, les banlieues, les villes : « le divertissement prend presque toute la place mais il ne fait plus lien […] Il est omniprésent mais il est morcelé […] Il ne remplit plus la fonction sociale que lui reconnaissait Proust […] La France déculturée est une France fragmentée« , a argumenté Alain Finkielkraut face à Elisabeth Lévy sur RCJ.
Ainsi, il tente de se questionner, avec humilité, en laissant la problématique ouverte, sur le pourquoi du comment certaines portions du peuple ont des instincts de rassemblements si différents sur une culture. Elisabeth Lévy lui pose en effet la question : « Comment se fait-il que Johnny, cela ne marche pas dans nos banlieues ? ». Alain Finkielkraut répond que « cela ne marche pas non plus dans les autres pays. Johnny est absolument inexportable, il faut réfléchir, je ne sais pas pourquoi. »
Histoire d’un amalgame
Alain Finkielkraut est souvent assimilé par un milieu politico-médiatique à l’extrême droite, simplement parce qu’il s’interroge sur la question de ce qu’est une identité, une nation. Mais, lui, contrairement à la facilité réflexive, ne se range pas dans « le petit peuple blanc » qui a rendu massivement hommage au phénomène Johnny : « Ce qui me heurte, ce n’est pas l’émotion des fans, même si je n’en suis pas, c’est d’entendre du président de la République dire que Johnny Hallyday est un héros français […] Les élus de la nation disent comme une évidence que nous avons tous en nous quelque chose de Johnny ! Non c’est faux. Nous sommes un certain nombre dans toutes les classes sociales à n’avoir rien en nous de Johnny. »
Alain Finkielkraut ne fait qu’alimenter une réflexion sur la construction d’un phénomène culturel qui a rassemblé des jeunes et moins jeunes mais qui est, également, totalement indifféré ou repoussé par plusieurs pans de la société.
Chasse aux néo-réacs
Une fois n’est pas coutume, je serai ici « bourdieusien » car outré par le « télégénisme » ambiant qui ne supporte pas les pensées complexes. La conséquence ? L’individu doit faire face au matraquage médiatique consistant à simplifier à outrance les arguments philosophiques. D’ailleurs, cette homogénéisation provoque des paradoxes idéologiques : ne voit-on pas régulièrement surgir cette idée qu’Alain Finkielkraut, Michel Onfray, Eric Zemmour, Jean-Claude Michéa, Jacques Sapir, Natacha Polony, Régie Debray et compagnie seraient tous semblables ?
Bien que ces esprits développent des différences idéologiques, certes parfois subtiles, ils sont généralement placés, par le milieu politico-médiatique, dans un seul et même sac, celui des « néo-réacs ». Cela aboutit à un drame, une déchéance intellectuelle. Les raisonnements politico-médiatiques deviennent grossiers et superficiels et tout cela pluvine ensuite sur le citoyen. A la fin, à l’image de cette phrase finkielkrautienne sortie de l’analyse globale, c’est bien le buzz qui gagne et détruit toute la construction d’une pensée.
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