Pour Alain Finkielkraut, l’assassin de Samuel Paty a agi seul, mais il n’était pas seul. À ses yeux, cet événement révèle crûment ce que tant, trop, d’observateurs persistent à ne pas voir : la continuité entre l’islamisme ordinaire et l’ultraviolence. L’écrivain craint que certains persistent à criminaliser la clairvoyance. Propos recueillis par Élisabeth Lévy.
Elisabeth Lévy. Depuis le 16 octobre, tout le monde fait du Finkielkraut en moins bien. Que vous inspire ce retournement ?
Alain Finkielkraut. À Berlin, en décembre 2016, un terroriste ayant fait allégeance à Daech s’est jeté sur la foule d’un marché de Noël, bilan : 12 morts et une cinquantaine de blessés. Aussitôt après, Angela Merkel, très digne, annonce : « Nous allons continuer à vivre ensemble » ; et dans ses condoléances à la chancelière, le président français, François Hollande, incrimine le camion : « Un camion s’est jeté sur la foule. » Ce qui fit dire à Renaud Camus : « Salaud de camion ! Je suis sûr que les voisins du camion tombent des nues, comme c’est de coutume en pareilles circonstances. Un peu réservé peut-être, mais toujours bien poli et pas plus religieux que cela. Il faisait toujours des appels de phares quand on le croisait et il ne fréquentait pas spécialement la mosquée, même s’il est vrai que dernièrement il était devenu taciturne et ne supportait plus la musique. Ça aurait dû nous alerter, mais bon, vous savez ce que c’est… »
Avec la décapitation de Samuel Paty, les pieuses métonymies et les proclamations incantatoires ne sont plus de mise : l’assassin a agi seul, mais il n’était pas seul. Une campagne impliquant au moins un parent d’élève, un prédicateur antisémite, et quelques collégiens qu’avait indignés son cours sur la liberté d’expression, a précédé l’assassinat et l’a rendu possible. Cet événement révèle crûment ce que tant d’experts, d’éditorialistes, de responsables politiques et d’universitaires persistaient à ne pas voir : la continuité entre l’islamisme ordinaire et l’ultraviolence. Autrement dit, le vivre-ensemble est une fable, les territoires perdus de la République sont autant de territoires conquis par la haine de la France. Les yeux se sont ouverts, l’évidence ne peut plus être dissimulée.
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Beaucoup de gens, qui dénonçaient l’islamophobie comme le danger principal, ont simplement retourné leur veste en faisant comme s’ils n’avaient jamais varié. Comme l’écrit Milan Kundera dans un passage des Testaments trahis sur lequel vous aviez attiré mon attention, cela revient à tourner avec le vent. Cela ne remet-il pas en cause l’authenticité de leur changement ?
Peut-être avez-vous raison, mais ces conformistes m’inquiètent moins que ceux qui vont persister dans le déni, dans l’aveuglement et dans la criminalisation de la clairvoyance. Edwy Plenel a parlé d’un attentat à motivation
