Sur la webtélé REACnROLL, face à une Elisabeth Lévy récalcitrante aux cours de couture, le philosophe est revenu sur ses propos relatifs au football féminin. Causeur vous propose de lire quelques extraits de cet échange savoureux.
Verbatim
Elisabeth Lévy. Vous avez eu une semaine pour réfléchir, dites-le-nous maintenant : allez-vous abjurer (!) en direct sur ReacNRoll ? N’êtes-vous toujours pas heureux d’avoir une double dose de foot, alors que je crois que 10 millions de Français ont regardé un des matchs de l’équipe féminine de France de football ?
Alain Finkielkraut. En tout cas, ce que je constate, c’est que le football ne me réussit pas. C’est pour moi un sujet maudit. J’aurais dû le savoir, j’aurais dû en tirer des leçons, lorsque Sonia Mabrouk (journaliste sur CNews NDLR) m’a interrogé sur la coupe du monde féminine. Je ne m’en doutais pas parce que ce n’était pas au programme de notre entretien mais, sans doute Kundera a-t-il raison : « je suis l’homme qui ne sait pas ne pas réagir ». Simplement, on peut se demander pourquoi le refus d’accueillir avec enthousiasme l’existence et l’épanouissement du football féminin me vaut une volée de bois vert. Parce que je crois qu’autre chose est en jeu, dans ce sport féminin, que le sport…
L’espace du désaccord civilisé ne cesse de se rétrécir
Cette Coupe du monde, nous dit Le Monde, est une « victoire de l’égalité », et il faut être un ennemi du genre humain pour faire la fine bouche devant l’égalité victorieuse. Nous fustigeons à juste titre l’illibéralisme des démocratures, où le parti au pouvoir musèle l’opposition et neutralise de la presse à la Justice toutes les institutions de contrôle démocratique. Mais une fois encore, la parabole de la paille et de la poutre peut servir. Nous aurions tort de regarder ces régimes de haut, car ce « vent illibéral » souffle aussi dans nos contrées. Seulement, ce n’est pas un illibéralisme d’Etat, c’est un illibéralisme social, c’est sur les réseaux sociaux et dans les médias que le dogmatisme gagne et que l’espace du désaccord raisonnable ne cesse de se rétrécir. Le désaccord raisonnable était la conquête du libéralisme. On s’est rendu compte après les guerres civiles religieuses que tout le monde ne pouvait pas tomber d’accord sur une définition de la « vie bonne », donc on pouvait avoir des désaccords raisonnables. Mais maintenant, une seule conception de la vie bonne s’impose, une seule idée du Bien et une seule finalité : la vie pour l’égalité ! Et nos joueuses sont ensemble pour écrire l’histoire… C’est ce que l’on voit sur les culs de bus ! Et nous voici sommés de nous mettre au garde-à-vous devant ce spectacle vertueux. Le sport est annexé, happé, aspiré par la vertu.
Elisabeth Lévy. Avant de revenir sur le fond, depuis cet incident je ne cesse de penser à la chanson de Brassens. Il me semble que vous êtes l’homme qui a la mauvaise réputation… Que “les braves gens n’aiment pas que”, effectivement, “l’on suive une autre route qu’eux”. En réalité, j’ai l’impression qu’aujourd’hui le cœur de ce consensus, ce que l’on n’a pas le droit de briser, c’est le féminisme.
Alain Finkielkraut. C’est le féminisme, en tant qu’il incarne cette aspiration à l’égalité totale entre les êtres. Vous citez la chanson de Brassens, c’est intéressant parce que les « braves gens » dont parle l’anarchiste Brassens, c’est des « braves gens » qui défendent les bonnes mœurs. Les « braves gens » d’aujourd’hui, post 68, ne défendent pas les bonnes mœurs.
Elisabeth Lévy. Les “braves gens”, ce sont les rebelles !
Alain Finkielkraut. C’est un autre ordre moral qui fait son apparition, c’est l’ordre moral hyper égalitaire. Et en effet, il ne fait pas bon s’y frotter.
[…]
Elisabeth Lévy. Quand j’étais au collège, les filles faisaient pour les travaux manuels de la couture et les garçons « atelier ». Et j’ai demandé à changer parce que la couture ne me plaisait pas vraiment et on me l’a interdit. Et je me suis révélée être une piètre couturière. Une des pires de ma classe, ce qui a été tout à fait désolant pour moi ! Et franchement, on est assez content aujourd’hui que l’on n’impose plus les activités, que l’on n’interdise pas certaines activités aux femmes, et que cela nous paraisse même être quelque chose de désuet…
Alain Finkielkraut. Alors vous avez raison.
Philippe Muray disait que notre époque est celle d’Homo festivus. C’est la fête ! C’est la fête du football et il ne faut pas… si vous voulez… on n’aime pas les voix dissonantes. On n’aime pas ceux qui crachent dans la fête. Mais, la fête n’est pas aimée pour elle-même aujourd’hui. Elle est aimée pour son contenu moral.
[…]
Aujourd’hui, la différence n’est pas vécue comme quelque chose de précieux
Elisabeth Lévy. Alors moi j’ai tout de même des objections. Ma première objection, c’est qu’au-delà de notre petit cercle de journalistes qui tweetent et qui montrent leurs belles âmes en encourageant l’équipe de France, il se trouve que les audiences ont monté au fur et à mesure des matchs parce que, semble-t-il, elles jouent bien au football. Et ce qui m’amuse beaucoup, c’est que finalement les stéréotypes reviennent ! Puisque l’on vous explique – un peu comme quand on vous parle des femmes de pouvoir – que finalement, elles ne jouent pas comme les hommes. Il n’y a pas de testostérone. Même l’assistance est plus aimable quand elle regarde des femmes que quand elle regarde les hommes… En conséquence de quoi la différence serait sauvegardée. Mais ce que je voudrais savoir, c’est où l’arrêter finalement [la différenciation entre sportifs et sportives NDLR] ? Je comprends ce que vous dites pour le rugby mais après tout, où arrêtez-vous cela ? Je vous rappelle que dans ces femmes qui jouent aujourd’hui, beaucoup racontent que petites on leur disait « ce n’est pas pour toi », alors qu’elles avaient envie de jouer.
Alain Finkielkraut. Si vous voulez, il ne s’agit pas pour moi d’arrêter la différence quelque part. Il s’agit de se poser la question de savoir si la différence est précieuse. Or, je pense qu’aujourd’hui la différence n’est pas vécue comme précieuse. L’indifférenciation apparaît comme la fin de l’histoire, c’est à dire l’apothéose de l’égalité. Et selon les adeptes de la thèse du genre qui est aujourd’hui dominante, cette différence n’est pas inscrite dans la nature mais dans la culture. Pour eux, pour elles, la culture est un paquet de stéréotypes dont il faut se défaire pour accéder à une authentique et définitive liberté subjective. Je ne cherche pas pour ma part à naturaliser les différences du féminin et du masculin. Il est possible qu’elles étaient rêvées, célébrées, constituées, tissées par les poètes et les peintres. Maintenant que les poètes cèdent la place aux rappeurs et les peintres à Jeff Koons, nous sommes sans doute en train de passer dans autre chose. Simplement, ça se fait sans moi !
Alain Finkielkraut foutu
Elisabeth Lévy. Excusez-moi, lorsque les grandes compétitions de tennis ont commencé, je suppose que les femmes ne jouaient pas au départ, alors qu’aujourd’hui, ça vous paraîtrait sans doute anormal que les grands tournois se déroulent sans femmes…
Alain Finkielkraut. Je ne pense pas que les femmes aient joué après les hommes. Et puis le tennis a toujours été un sport extrêmement élégant.
[…]
Elisabeth Lévy. Peut-être regarderez vous un match [de la coupe du monde de foot féminin NDLR], c’est un beau sport aussi, joué par des femmes ! Mais mon dernier coup de Jarnac, ma botte secrète sur le sujet, c’est que j’ai imaginé qu’elles gagnent la finale. Et j’aimerais voir nos banlieues…
Alain Finkielkraut. Je suis foutu !
Elisabeth Lévy. J’aimerais voir nos gamins de banlieues s’enflammer pour une équipe de femmes. Je pense que vous dites que c’est culturel, et bien peut-être que ça ne serait pas une mauvaise chose de les voir fiers de l’exploit des Françaises. Peut-être que ça contribuerait à améliorer les choses et à nous faire gagner un combat culturel !
Alain Finkielkraut. Est-ce que ça les conduirait pour autant à adopter vis-à-vis des femmes une attitude plus ouverte, plus respectueuse ? Est-ce qu’ils adopteraient pour autant les codes de la séduction tels que notre civilisation les a élaborés, ce n’est pas sûr. Vous avez raison, cela serait peut-être un progrès.
Elisabeth Lévy. Allez Alain, on regardera un match ensemble…
Alain Finkielkraut. Ah n’exagérez pas ! Je n’en suis pas sûr, ne m’en demandez pas trop !
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