Propos recueillis par Élisabeth Lévy, à l’occasion de notre centième numéro
Elisabeth Lévy. Vous faites partie de l’aventure Causeur depuis le début, aussi ne pouvions-nous faire ce bilan d’étape sans vous.
Alain Finkielkraut. Que Causeur puisse fêter son centième numéro sous l’empire médiatique du politiquement correct est un exploit digne d’admiration. Malgré certaines divergences, je suis heureux d’avoir participé à cette aventure, mais ce n’est pas d’abord un choix philosophique ni même politique. C’est un choix dicté par l’amitié. C’est par vous et pour vous, Élisabeth, que j’ai écrit dans Causeur au risque d’alourdir un dossier judiciaire déjà fourni. Nous nous sommes beaucoup disputés, nous continuerons à le faire, mais je ne regrette pas cette décision. Vous vous êtes, depuis longtemps, attachée à rétablir dans le monde journalistique le pluralisme et le souci de la vérité.
Causeur est apparu dans un monde verrouillé, et treize ans plus tard, nous avons l’impression qu’il l’est beaucoup moins. Nous sommes aujourd’hui beaucoup moins seuls.
Vous avez raison, mais comme le remarque Mathieu Bock-Côté, jamais on n’a fait un usage aussi extravagant du concept d’extrême droite. Dans les années 1980, nous vivions sous le règne de l’évidence. L’immigration apparaissait comme une chance pour la France, et il fallait être frileux, replié sur un Hexagone rabougri pour s’inquiéter du nombre grandissant de nouveaux arrivants. Le slogan et le badge « Touche pas à mon pote » faisaient de vous une « bonne personne ». Il a bien fallu voir ce qu’on voit : la ruée vers l’Europe de l’Afrique, du Maghreb et du Moyen-Orient est le problème majeur de notre société.
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Ce grand déplacement transforme le Vieux Continent, et marginalise les peuples historiques : l’exil, comme l’a écrit Edgar Quinet, n’est pas de quitter son pays mais d’y vivre sans rien reconnaître de ce qui le faisait aimer. Sur ce point, le Macron de 2017 avait absolument raison, nous entrons dans un nouveau monde. Et qui n’aime pas ce nouveau monde, qui en a peur est taxé de racisme. L’antiracisme déchaîné
