Accueil Édition Abonné Avril 2020 Alain Finkielkraut: « Jamais tant de féroces inepties n’ont été proférées sous le drapeau de la liberté d’expression »

Alain Finkielkraut: « Jamais tant de féroces inepties n’ont été proférées sous le drapeau de la liberté d’expression »

La bêtise des intelligents


Alain Finkielkraut: « Jamais tant de féroces inepties n’ont été proférées sous le drapeau de la liberté d’expression »
Giorgio Agamben © Leonardo Candeno Leemage

Tout le monde, les médecins comme les profanes, le gouvernement comme les citoyens, a été pris au dépourvu par l’irruption du nouveau coronavirus.


On a cru d’abord que l’épidémie resterait cantonnée à la Chine. Les hautes autorités médicales elles-mêmes ont longtemps été rassurantes. Le professeur Raoult, notre Pasteur, n’était pas le dernier à railler les alarmistes. Quand l’Europe a été atteinte, on a tiré du fait que 98% des malades guérissent la conclusion réconfortante qu’il s’agissait d’une grippe saisonnière carabinée. Et nous voici, tous autant que nous sommes, assignés à résidence pour une durée indéterminée. Cet événement dont personne n’avait prévu l’ampleur ni la virulence nous invite à la modestie.

Nous devrions nous dire avec Péguy : « Tout est immense, le savoir excepté ; tout arrive, il suffit d’avoir un bon estomac ». Eh bien non, l’heure est au procès des politiques. Ils ont réagi trop tard, disent les uns ; ils en font trop, disent les autres. Ceux-là dénoncent leur incurie, crient au scandale et parlent même de crime d’État. Ceux-ci fustigent l’instauration de l’état d’exception et s’insurgent de voir les libertés élémentaires anéanties par ce qu’ils appellent, après Michel Foucault, le « biopouvoir ». Ils savaient et ils n’ont rien fait, hurlent les premiers. Ils érigent une simple grippe en peste noire pour mettre toute la population sous surveillance, affirme sans sourciller le disciple autoproclamé d’Hannah Arendt, Giorgio Agamben : « Il semblerait qu’une fois le terrorisme épuisé comme justification des mesures d’exception, l’invention d’une épidémie puisse offrir le prétexte idéal pour étendre celles-ci au-delà de toutes limites. » Et si les gens obéissent sans broncher, ajoute Agamben, c’est parce que notre société ne croit plus qu’à la survie : « C’est un spectacle

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Avril 2020 - Causeur #78

Article extrait du Magazine Causeur




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Alain Finkielkraut est philosophe et écrivain. Dernier livre paru : "A la première personne" (Gallimard).

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