Daniel Lindenberg a inauguré le nouveau siècle par la publication en 2002, dans la collection « La République des idées » que dirige Pierre Rosanvallon, de son livre Le rappel à l’ordre. Depuis cette date, mon nom figure sur toutes les listes noires des « néo-réacs ». Je me croyais donc blindé et – ce qui est excessif étant, comme chacun sait, insignifiant – hors d’atteinte. Les dénonciations pleuvent, la caravane passe, me disais-je en me félicitant de ma force d’âme. C’est fini. La caravane ne passe plus. Je suis atterré et très affecté par les attaques féroces de ces dernières semaines.[access capability= »lire_inedits »] Me voici, après la parution de La seule exactitude, doté d’« intentions putrides » et d’une pensée « nauséabonde ». Avec mon « hystérie de croisé en préretraite », je suis également accusé d’exploiter sans vergogne un « filon publicitaire », d’être un allié objectif du Front national et de n’avoir d’autre existence intellectuelle que celle que m’accordent généreusement les médias. Toute différence, en outre, est abolie entre Zemmour, Onfray, Debray, Nadine Morano et moi, par ceux-là mêmes qui ne manquent pas une occasion de dénoncer l’odieuse pratique de l’amalgame. Il n’y a plus de débat intellectuel en France. Le débat, c’est la confrontation des points de vue, l’échange parfois musclé des arguments. Ce qui en tient lieu désormais, c’est l’invective, l’anathème, la chasse à l’homme.
Que se passe-t-il ? Comment expliquer cette flambée de haine ? Par l’amour. Quand on a épousé la cause des opprimés, des démunis, des damnés de la terre, quand on a pris le parti des plus faibles, quand on défend les valeurs d’égalité et de fraternité, on ne rencontre pas d’interlocuteurs ni même d’antagonistes, mais partout et toujours des scélérats. La seule contradiction à laquelle on ait affaire, c’est la déferlante du mal ; la seule adversité, c’est le scandale de l’iniquité ; le seul vis-à-vis, ce sont les vents et marées des passions basses.
Dans son livre culte, Aden Arabie, Paul Nizan écrivait déjà : « Il n’existe plus que deux espèces humaines qui n’ont que la haine pour lien : celle qui écrase, et celle qui ne consent pas à être écrasée. » Et dans Les chiens de garde, livre récemment réédité aux éditions Agone, Nizan ne voyait à l’œuvre que deux partis : le parti de l’homme et le parti de la bourgeoisie. Mais Nizan était communiste. Et il se plaçait dans la perspective de la Révolution. Or la haine aujourd’hui n’est plus limitée à la radicalité. Elle n’est plus le signe distinctif des extrémistes. Elle a cessé d’être l’apanage d’Alain Badiou, d’Emmanuel Todd ou d’Edwy Plenel. Elle déborde l’université, toujours prompte à la surchauffe et à l’irresponsabilité politique, elle mobilise – d’Anne Roumanoff à Stéphane Guillon – tous les professionnels du rire et, gagnant le progressisme mainstream, elle s’étale dans les pages de L’Obs, du Monde et de Libération.
Pourquoi ? Quelle mouche a piqué la presse démocratique, et conduit, par exemple, l’ancien quotidien de référence à tourner brutalement le dos au devoir d’impartialité ? La mouche de la pseudo-mémoire. Les destructeurs actuels de la conversation civique ne militent pas pour le renversement du capitalisme, ils combattent résolument le nouvel avatar de la Bête immonde. Dans la vision binaire de la nouvelle gauche divine, l’exclu remplace l’exploité, le Musulman est, après le Juif, la nouvelle figure de l’Autre.
Mais il y a un problème. Sous prétexte de solidarité avec le peuple palestinien, il règne, parmi les titulaires de l’altérité, dans les territoires perdus de la République, un antisémitisme de plus en plus explicite et de plus en plus virulent. Et nombre de ceux que l’on soutient au nom des principes républicains manifestent sans détour leur aversion pour la laïcité, la liberté de l’esprit, l’égalité des hommes et des femmes. Parce que la réalité leur échappe, parce qu’ils sont trahis par les faits, les antifascistes deviennent furieux. Et plutôt que de chercher à penser la spécificité de la situation présente, ils redoublent de haine à l’égard des porteurs de mauvaises nouvelles idéologiques. Pour le dire d’un mot : L’Obs et ses frères d’arme fusillent maintenant les observateurs.
Le réel ne donnant aucun signe de vouloir rentrer au bercail, le jeu de massacre va continuer.[/access]
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