On a gagné ! À force d’entendre quelques ânes et ânesses à carte de presse déverser en boucle leur fiel sur notre « Rabbi », le surnom affectueux et gentiment moqueur que nous avons donné à Alain Finkielkraut, on avait presque fini par croire que cette détestation vociférante était, sinon unanime, largement partagée. Lui aussi d’ailleurs, qui semble souvent plus atteint par la bassesse des attaques que réconforté par la chaleur des encouragements. Comme si la rage haineuse de quelques-uns pesait plus que la gratitude des milliers de lecteurs, auditeurs et élèves qui ont appris à penser par eux-mêmes avec lui, parfois contre lui. Il est vrai que beaucoup, parmi ces derniers, sont des sans-grade quand les premiers, pour la plupart, occupent d’éminentes positions à partir desquelles ils peuvent défourailler sans risque sur quiconque leur déplaît. Après tout, Finkielkraut n’est pas non plus muselé – on le lui reproche assez –, il a la chance de pouvoir rendre les coups. Et il ne s’en prive pas. C’est qu’Alain Finkielkraut est un écrivain de combat. Et le combat d’aujourd’hui, ce n’est pas d’arracher le pouvoir aux puissances conservatrices, c’est de sauver ce qui peut l’être face aux saccages du pseudo-progressisme. On ne saurait trouver meilleur champ de bataille que l’Académie française.
Cependant, ce serait lui faire injure que de prétendre le soustraire à la critique et à la contestation – nos amicales engueulades en témoignent. On a parfaitement le droit de ne pas partager l’inquiétude fondamentale qui guide sa plume et sa pensée. Mais ses adversaires ne le critiquent pas, ils le calomnient ; ils ne réfutent pas sa vision du monde, ils la caricaturent ; ils ne contestent pas ses idées, ils insultent sa personne. Il est des noms qui empêchent de penser. Que « Finkielkraut » en fasse partie n’est pas le moindre paradoxe de notre temps. Un intellectuel peut et doit accepter la contradiction, et même se nourrir d’elle. Contre le mensonge, on ne peut rien. Que répondre à une Aude Lancelin, plumitive de Marianne, qui s’autorise à décréter, à propos de L’Identité malheureuse, que « le “feel good book” réactionnaire de l’automne dernier était aussi un livre d’une grande faiblesse intellectuelle » ? − on aimerait connaître l’œuvre qui justifie la prétention de cette péronnelle, aussi servile devant ses maîtres qu’elle est arrogante face à ceux qu’elle a érigés en ennemis. Que penser du portrait que dresse de lui l’inénarrable Aymeric Caron, l’homme qui défend la tolérance à coups d’injures et exprime son amour de l’humanité en crachant sur ses adversaires ? « L’étrangeté grandissante de ses mimiques, la traviolitude désespérante de ses bésicles, l’agitation inquiétante de ses paluches, le saccadé laborieux de son propos ou l’emportement fiévreux de son indignation lui confèrent l’aura du prêtre illuminé prédisant à ses ouailles la prochaine apocalypse. » Bizarre, tout de même, ces remarques sur le physique quand on se targue de démonter une pensée.
On dirait que, contre Finkielkraut, tous les coups sont permis. Surtout les plus bas. Sans doute accorde-t-on trop d’importance à ces petits esprits, qui ne sont même pas minoritaires mais groupusculaires. En tout cas, quand, quelques jours avant l’élection, d’éminents académiciens ont joint leur voix, courageusement anonyme, à celle des professionnels de la dénonciation, on s’est surpris à douter. Alors remercions- les tous : grâce à eux, une élection imperdable est devenue une victoire éclatante. Celle d’Alain Finkielkraut, de ses proches et amis, mais aussi celle de tous ces anonymes qui assistent en silence à la destruction de ce qu’ils aiment, à la diabolisation de ce qu’ils pensent. Notre victoire à tous, qui aimons, comme le suggérait Montaigne, « frotter notre cervelle à celle d’autrui ». Notons enfin que, jusque dans les synagogues, on s’est réjoui de l’honneur fait à ce juif qui a pourtant choisi la voie du savoir plutôt que celle de l’étude. Ce qui lui a inspiré ce commentaire lors de notre rencontre hebdomadaire sur RCJ : « Il s’est produit à travers moi l’événement inattendu d’une double reconnaissance : la reconnaissance du désarroi identitaire d’un nombre croissant de Français, la reconnaissance aussi, parce que prononcer mon nom est difficile, de la présence juive en France. » Alors, cher « Rabbi », cher Alain et cher Maître – titre donné aux académiciens –, au nom de toute l’équipe de Causeur : Mazel tov !
*Photo : JEROME MARS/JDD/SIPA. 00667245_000009.
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