Pour la parution du dernier livre d’Alain Finkielkraut, À la première personne, une conférence était organisée le 23 septembre 2019, à la salle Gaveau, dans le cadre des Rencontres Le Figaro. L’occasion de revenir sur ce premier récit autobiographique.
Nous connaissons Alain Finkielkraut pour sa pensée prolifique et ses essais d’une clairvoyance subtile. Il était question, lors de cette conférence du 23 septembre 2019, d’évoquer un Finkielkraut d’un genre nouveau, celui du « je ».
À ceux qui se plairaient à penser que l’autobiographie est le pis-aller de l’écrivain asséché ou un vil accès d’opportunisme, une objection s’impose d’emblée : « Une autobiographie ne doit rien à la mode. On n’y cherche que la vérité humaine. » (Anatole-France, La Vie littéraire, 1888)
La vocation de Finkielkraut
Par ce « je » qui n’a rien de l’autosuffisance, c’est donc le substrat de sa pensée qu’il retrace pour nous dire : « voici les miens, mes maîtres, ma lignée… » (Albert Camus, Le Premier homme, 1994), que ce soit dans l’assentiment ou dans la contradiction. Par-là, il consent aussi à répondre à l’âpreté d’une question qui permet déjà l’économie d’une pensée : « d’où tu parles ? » J’ai donc moi-même voulu comprendre, à l’aune de cette autobiographie, l’homme derrière le penseur mais aussi et surtout, les mobiles de son engagement.
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Alain Finkielkraut revient, d’abord, sur son parcours. Après un passage en khâgne/hypokhâgne à Henri IV, il est admis à l’École Normale Supérieure en 1969, puis obtient l’agrégation de lettres modernes en 1972. Tout le prédestinait, a priori, à une carrière institutionnelle. Ce n’est pas le choix qu’il fera, et pour cause. Une quarantaine de livres à son actif et autant d’années passées à animer fidèlement Répliques sur France Culture tous les samedis matin. Le Nouveau Désordre amoureux écrit avec son ami Pascal Bruckner en 1977 marque la naissance d’une vocation. Il confesse lui-même : « Pascal m’a décoincé ». Depuis lors, Alain Finkielkraut n’a cessé de penser le monde qui l’entoure et, à l’élégance pompeuse de la forme, il a choisi de privilégier la puissance d’une herméneutique de la réalité.
Moderne? Assurément. Mais progressiste…
Par cette notoriété fortuite, le philosophe est très vite devenu le penseur du tout et, par là même, de la question la plus fondamentale : qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Car l’impulsion de la pensée finkielkrautienne émane, sans nul doute, de l’acuité d’une sensibilité qui est celle d’un homme avant d’être celle d’un intellectuel. L’inspiration est à la hauteur de l’aspiration : « Penser est une chose, exister dans ce qu’on pense est autre chose ». C’est précisément par cette absence d’altérité radicale entre la vie de l’esprit et la vie elle-même qu’Alain Finkielkraut est devenu un homme « qui ne sait pas ne pas réagir ».
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Alors, refusant de se plier à la binarité stérile du débat, le philosophe s’oppose, de facto, à jouer le rôle de musicien fantoche d’une partition déjà écrite. Quitte à accepter d’encourir quelques risques. Face aux Modernes-progressistes, Alain Finkielkraut a pourtant tôt fait d’apparaître comme un Ancien-réactionnaire : « je souffre des épithètes inamicales parfois accolées à mon nom », déclare-t-il. Mais dans l’hystérie du débat, c’est bien de regarder avec ses propres yeux et d’éprouver avec sa propre sensibilité que nous lui savons gré.
Littérature et écologie poétique
En ce sens, sa prédilection pour la littérature est évidente. Ce récit « humain, trop humain » est avant tout celui d’un homme de lettres et d’un amoureux des mots. Car ce sont les romans qui, se départissant de la froide technicité de la philosophie, ont conquis ce cœur intelligent. Il confie : « Kundera m’a redonné le goût de la vérité romanesque », avant d’ajouter : « les grands livres nous lisent : voilà ce que mon éducation supérieure m’avait ôté de la tête et qui me revenait en mémoire ». Il n’est pas surprenant, dès lors, que le philosophe prône une écologie poétique. Face à l’obsession des chiffres, il répond par l’esthétique des mots qui, eux seuls, recouvrent la profondeur des choses. De cette rencontre avec le verbe est née l’action, puisque l’engagement d’Alain Finkielkraut a très vite été résolument tourné vers la préservation de la langue et, avec elle, de la beauté du monde.
Le 10 avril 2014, le penseur, désormais académicien, « entre dans le cercle étroit des patriciens des arts et des lettres ». Les écrits de Péguy relèvent sans doute de l’ineffable prophétie pour ce fils de maroquiniers qui, à l’instar de l’écrivain, pouvait décidément n’avoir de destin que littéraire. Par cette consécration, Alain Finkielkraut ne s’est pourtant pas sanctifié lui-même en démiurge plein de soi mais s’est investi comme gardien reconnaissant d’un héritage. Inquiet du péril que ce dernier encourt, il se refuse alors de prêter allégeance béate à son immortalité. C’est que la langue, l’identité, la civilisation, les particularismes et singularités, sont des trésors et que ces trésors sont mortels. Mais surtout, que « les morts peuvent encore mourir ». Si l’apothéose est, certes, un accomplissement, elle ne signe pourtant pas la fin du combat. Face à l’indigence ravageuse, l’inquiétude se révèle être une adjuration : « De ce que j’ai aimé, que restera-t-il ? » (Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes, 1939)
Le courage de faire bande à part
Dans ce récit écrit à la première personne, l’honnêteté intellectuelle ne cède nullement la place à l’introspection égotique. Comme tout le monde, Alain Finkielkraut préfère sûrement être aimé que haï. Une chose est pourtant sûre : il préfèrera toujours la vérité à la reconnaissance. Son ambition est aussi son credo : « Pourvu qu’il me soit permis à moi de vivre pour la vérité » (Baruch Spinoza, Lettre à Oldenburg, 1665.). C’est l’autre mauvais procès qui est fait au philosophe, finalement.
Face au clan de la bien-pensance, il n’a d’autre choix que de faire bande à part. Mais il ne s’agit pas d’aimer la vérité parce qu’elle est aimable mais parce qu’elle est. D’aucuns appelleront cela pessimisme ou désespoir, ce n’est pourtant rien d’autre que du courage.
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