…Que vous avez empoché 700 millions d’euros de bénéfices nets en vendant votre belle entreprise et que vous avez décidé d’en distribuer 10% à vos salariés, soit 70 millions. C’est alors que vos problèmes vont commencer…
Les chroniqueurs d’économie politique sont parfois accusés d’exagérer leurs critiques à l’encontre de la sur-administration française associée à une sur-taxation omniprésente. Dans le cas présent, nous sommes confrontés à ce que l’État peut faire de pire non seulement en matière de gestion économique et fiscale mais également de justice sociale. En quelques paragraphes, voici l’histoire.
Le très généreux donateur s’appelle Alain de Krassny et c’est un entrepreneur acharné et un phénomène dans son genre. Après de brillantes études en France et aux États-Unis, il entre chez Rhône-Poulenc dont il gravit de nombreux échelons avant d’être nommé PDG d’une filiale du groupe, Donau Chemie, dont le siège est à Vienne en Autriche. Il finit par racheter l’entreprise à Rhone-Poulenc, par le biais d’une fondation familiale de droit autrichien pour qu’en cas de coup dur, ses enfants soient préservés d’impôts trop lourds sur les successions. C’était l’époque en effet du matraquage fiscal d’un fiscaliste socialiste, François Hollande, parvenu jusqu’à l’Élysée et responsable du plus grand exil que la France ait connu depuis Louis XIV et son Édit de Nantes.
L’affaire était mal gérée et les salariés étaient malheureux
Puis c’est le grand pari industriel avec le rachat en décembre 2013 de Kem One, un chimiste en redressement judiciaire basé à Lyon qu’il reprend avec l’appui d’un fonds américain, Open Gate. L’affaire était mal gérée et les salariés étaient malheureux. Alain de Krassny qui partage son temps entre l’Autriche et la France, redresse magnifiquement l’entreprise en quelques années, avec l’appui inconditionnel de ses salariés. Kem One devient un producteur de premier plan en Europe pour la fabrication de PVC et de soude caustique, le PVC étant principalement utilisé dans le bâtiment, l’emballage et des applications médicales. Ses 1 400 salariés qui travaillent sur huit sites industriels retrouvent le sourire. De nouveaux sites industriels sont créés en France, à Lavéra et Fos-sur-Mer.
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C’est alors qu’un autre fonds américain, Apollo, propose à Krassny qui va avoir 80 ans, de lui racheter ses parts dans Kem One au printemps 2021. L’entreprise est devenue très solide. Elle réalise près d’1 milliard d’euros de chiffre d’affaires et dégage des bénéfices très confortables (190 millions d’euros en 2021 selon la CGT). Notre PDG finit par obtenir 710 millions pour ses actions et signe avec Apollo en décembre dernier. C’est alors que, pour lui et ses salariés, des problèmes sans fin vont commencer. (1)
Une prime de 6 800 euros par année de présence
En effet, à l’occasion de son achat de Kem One en décembre 2013, Alain de Krassny qui voulait motiver les salariés, leur avait fait une promesse dans un engagement écrit devant le tribunal de commerce de Lyon lors de la reprise du groupe, alors en redressement judiciaire : s’il réussissait à relancer l’entreprise très mal en point, avec l’appui de ses salariés, il distribuerait « 10 % de la plus-value nette réalisée en cas de cession ultérieure », à l’ensemble de ses collaborateurs ayant eu au moins deux ans de présence dans l’entreprise. 10 % : autrement dit, une distribution extraordinaire de 70 millions d’euros qui concernera au total 1 830 employés qui pourront toucher, en théorie, 6 800 euros par année pleine et jusqu’à un maximum de 54 000 euros. Mais, en théorie seulement…
Le problème, en effet, qui se pose alors très vite, est celui de la distribution des fonds, l’État français ayant d’emblée, via ses services de Bercy, refusé tout aménagement : les primes en question ne pourront être versées que sous forme de salaires, après déduction plein pot des cotisations sociales, les salariales et les patronales. La prime individuelle maximum se trouve ainsi ramenée de 54 000 à 27 000 euros, ce qui change tout, du simple au double, mais à l’envers ! Dans cette affaire, Bercy se conduit sauvagement comme un associé racketeur exigeant et prioritaire, ce qui aboutira à ce que la moitié des 70 millions rejoindra le tonneau des Danaïdes de l’État et ne parviendra jamais dans les poches des heureux salariés de Kem One que leur généreux donateur voulait honorer et récompenser.
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Une généreuse donation qui va finir en queue de poisson
Mais ce n’est pas tout. La belle prime va virer au casse-tête avec une « multiplication de couacs » selon le syndicaliste de FO, Franck Zarbo : « On nous déduit les jours d’absence : maladies, grèves, congés paternité… mais pas maternité. Où est l’égalité homme-femme ? » Sans compter l’impôt sur le revenu qui va encore dégrever le montant final versé, avec possibilité de changements de tranche d’imposition. Pour celui ou celle qui va toucher la moitié de la prime versée par le PDG vendeur, mais qui devra payer des impôts supplémentaires correspondant à ce surplus de revenus, la douloureuse risque d’être dure à digérer. Même si globalement, le geste exceptionnel et rarissime de ce patron hors du commun a été largement apprécié par l’ensemble des salariés concernés, il n’en reste pas moins que sa généreuse donation finira en queue de poisson face à l’étatisme outrancier des services de Bercy qui bénéficieront de plus de la moitié du magot.
(1) L’essentiel des informations contenues dans cet article provient d’une enquête parue en avril dernier dans Les Échos, signée Léa Delpont, correspondante à Lyon.
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