Chut ! A l’approche de l’élection présidentielle, c’est le seul mot d’ordre audible et sincère que les citoyens ont envie d’entendre. Le plus respectueux serait donc de se taire. Militons pour cette utopie-là, une société enfin débarrassée de tout ce tintamarre médiatique. Notre classe politique qui a collectivement échoué dans ses missions cardinales depuis des années devrait apprendre la pondération et l’introspection. Le renoncement sans fracas, sans flonflons, sans gloriole n’est pas un acte honteux. Difficile pour ces personnalités publiques saturées d’ondes hertziennes de résister au brouhaha, ce vacarme des hémicycles et des plateaux télé, ce besoin d’exister par la force du verbe.
L’après-guerre avec sa mondialisation tentaculaire et la prolifération des réseaux sociaux au cœur même de l’intime ont bouleversé les rapports humains, perverti jusqu’à l’art délicat de la conversation. Un mode de vie décomplexé où le clinquant fait désormais office de paravent, où l’éclat remplace l’intelligence.
« Sur la terre un endroit écarté »
Une conséquence aussi de notre incapacité à nous arrêter, à observer la nature, les visages, les corps sans cet irrépressible pulsion de commenter, de gesticuler, de perdre en somme toute singularité. Faut-il absolument parler, s’agiter pour que notre voix porte loin ? Dans un monde qui refuse les temps morts, les longues plages d’abstinence, qui court après une célébrité criarde, une audience tapageuse, le silence fait peur. Il met à distance les égos. Il tétanise les fanfarons. Il a une vertu quasi-révolutionnaire, celle de reposer l’âme et de la nourrir en profondeur. Avant de s’engager dans la campagne, tous les candidats devraient lire Histoire du silence – De la Renaissance à nos jours d’Alain Corbin aux Editions Albin Michel.
Ils prendraient une magistrale leçon de maintien à travers les âges, une invitation à la componction et au calme intérieur. « Le silence n’est pas seulement absence de bruit » écrit-il, en prélude, de son ouvrage. L’historien travaille depuis longtemps sur les signaux faibles, les marqueurs sensoriels et autres liens invisibles qui agrègent la communauté nationale. On lui doit notamment des livres tels que Le Miasme et la Jonquille, Les Cloches de la terre (Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXème siècle) ou Histoire du corps. En s’appuyant sur les textes de grands écrivains (Gracq, Claudel, Huysmans, Proust, Hugo, etc…), il tente d’inventorier les différentes formes de silences dans des lieux ouverts (la mer, la montagne, les bois, la ville) ou fermés (la chambre, les couloirs, le monastère, la bibliothèque, la prison). Une gamme chromatique passionnante de nuances, de frémissements presque imperceptibles et de recul sur soi. On ressort apaisé de cette lecture, les sens en alerte prêts à capter l’infiniment petit.
Comme une clarté intérieure
D’un style clair sans jargonnage universitaire, Alain Corbin dessine une fragile ligne de crête entre le bruit et l’être. Son étude subtile du recueil Un été dans le Sahara d’Eugène Fromentin paru en 1857 éclaire certaines zones d’ombre, notamment le sentiment d’infini qui saisit le voyageur dans le vide du désert. « Le silence communique à l’âme un équilibre que tu ne connais pas, toi qui as vécu dans le tumulte : loin de l’accabler il la dispose aux pensées légères » notait-il dans son récit. L’historien s’intéresse également aux quêtes méditatives du XVI et XVIIème siècle en se référant à Ignace de Loyola, Bossuet et l’abbé de Rancé. Cette recherche de l’oraison intérieure produisait sur les individus une réflexion existentielle. Le recueillement ne nuisait pas forcément à la rencontre avec l’autre, voire même au partage.
Alain Corbin « une histoire du silence » par la-grande-librairie
Il s’imposait plutôt comme une forme de rempart contre la vanité. En avançant dans les époques, le silence devient un instrument pour dompter les caractères que ce soit à l’école, à l’armée ou dans le labeur agricole, il sous-entend les hiérarchies et les différences de classes. Le silence corporel qui régente les repas ou les attitudes en société institue de nouvelles règles de politesse. Il est alors synonyme de distinction et d’élévation sociale. L’historien dresse enfin « les bienfaits et les méfaits » du silence dans une étude des caractères que La Bruyère aurait validée. Espérons que les postulants au titre suprême fassent preuve à minima de mesure dans leur propos. La République l’exige.
Histoire du silence – De la Renaissance à nos jours – de Alain Corbin – Albin Michel
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