Voilà deux mois que j’ai sur ma table le Moment populiste, d’Alain de Benoist (Pierre Guillaume de Roux Editeur). Deux mois que j’attends le bon moment de parler d’un livre intensément érudit et qui explore toutes les facettes d’un mot qui pue un peu aux narines des crétins — sauf qu’il rentre justement en grâce ces temps-ci.
Populisme : le terme pour ma génération a été longtemps associé à « poujadisme » (certification vintage Pierre Poujade 1953-1958, avec résurgence Gérard Nicoud et CIDUNATI, 1969), et ne concernait guère que les revendications des petits commerçants — à ceci près que l’Union Fraternité Française, qui obtint 52 députés en 1956 (dont Jean-Marie Le Pen, réélu en 1958) dépassa rapidement la stricte défense des Beurre-Œufs-Fromages.
L’avènement d’un populisme new style
Puis vint Georges Marchais, maillon indispensable pour comprendre comment un mot longtemps associé à l’extrême-droite a glissé peu à peu sur l’arc politique, au point d’être aujourd’hui l’œil du cyclone à partir duquel se définissent les politiques. À partir duquel s’est construite, surtout, « l’extraordinaire défiance de couches de la population toujours plus larges envers les « partis de gouvernement » et la classe politique en général, au profit de mouvements d’un type nouveau » : c’est l’attaque du livre d’Alain de Benoist — et j’aimerais beaucoup qu’on lui fasse grâce des étiquettes a priori, dans une France qui justement, comme il l’analyse fort bien, s’ébroue hors du marigot gauche-droite.
Ce que des journalistes paresseux ont nommé le « trumpisme » (croient-ils vraiment que le peuple américain qui a voté pour le faux blond le plus célèbre au monde croit en ses vertus ?) n’est en fait que la mesure du « fossé séparant le peuple de la classe politique installée ». Inutile donc d’« accumuler les points Godwin » en criant au retour des années 1930 dès qu’un mouvement politique parle au peuple : en fait, de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon en passant par Nicolas Dupont-Aignan et tout ce qu’il reste du chevènementisme, ce sont moins les politiques qui parlent au peuple que le peuple qui parle aux politiques. Et qui même lui crie aux oreilles.
A émergé il y a une dizaine d’années un populisme new style. Alain de Benoist évoque la victoire du « non » au référendum de 2005, le référendum confisqué par les pseudo-élites qui nous gouvernent, droite et gauche mêlées — bien la preuve qu’il n’y a plus de droite ni de gauche quand il s’agit de défendre les avantages acquis de l’oligarchie au pouvoir. Je pencherais plutôt pour les élections de 2002, où entre les 16,86% de Jean-Marie Le Pen (ajoutons-y les 2,34% de Bruno Mégret et sans doute les 4,23% de Jean Saint-Josse) et les 5,33% de Jean-Pierre Chevènement de l’autre côté de l’arc électoral, cela fait quand même près de 30% de voix qui ne se portaient pas sur les deux partis traditionnels qui monopolisent depuis quarante ans les chaises musicales au sommet de la République.
Une absence d’alternative
Mais je comprends le raisonnement d’Alain de Benoist : l’élection de 2005 était la preuve par neuf qu’une seconde oligarchie, européenne celle-là, se superposait à la vieille oligarchie française. De surcroît, le cumul des mandats étant ce qu’il est, c’était pour ainsi dire la même classe politique de l’UMPS qui se partageait les dépouilles électorales, à Bruxelles comme à Paris. « La droite a abandonné la nation, la gauche a abandonné le peuple », dit très bien notre philosophe, citant Pierre Manent. Que la Gauche ne soit plus représentée que par un quarteron de bobos parisiens — qu’elle ait à ce point rompu avec le peuple (et la candidature de Jospin en 2002 est emblématique de cette scission) est une évidence. Que la Droite se soit européanisée, mondialisée, et ait renié le bonapartisme jacobin qui caractérisait la politique gaulliste est une autre évidence.
Et de citer le célèbre poème de Brecht, « Die Lösung » (« la Solution ») :
« Ne serait-il pas
Plus simple alors pour le gouvernement
De dissoudre le peuple
Et d’en élire un autre ? »
Le populisme moderne est né d’une absence d’alternative. Rien à voir, sinon à la marge, avec le populisme des années de plomb : il ne s’agit pas de revanche (sur le traité de Versailles / les Juifs / les Francs-macs ou que sais-je) mais d’une révolte face à…
Lisez la suite de l’article sur le blog de Jean-Paul Brighelli.
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