Un jour Alain Bauer[1. Aucun lien de parenté avec le Jack Bauer de 24 heures.], conseiller spécial pour le terrorisme à l’Elysée et président de l’observatoire de la délinquance, a lu un livre. En conséquence de quoi, Julien Coupat un jeune philosophe qui veut changer la vie, est en prison depuis quatre mois, sans preuve.
Lire un livre, un vrai, cela n’a pas dû arriver souvent à ce tâcheron surdiplômé, Mozart du rapport insipide et surpayé mais authentique virtuose quand il s’agit de mettre en musique les paranoïas à la mode : terrorisme, délinquance, violences urbaines fin du monde, etc. Comme il les enveloppe avec des couvertures dont ne voudrait pas Gérard de Villiers, il attire l’attention de ceux qui aiment tout ce qui brille et qui fait peur, comme le président Sarkozy, car Bauer, franc-maçon venu de la gauche, ou disons de la droite extrême de la gauche est typiquement ce genre de spécialiste autoproclamé dont les concepts clinquants font rire les vrais experts et lui valent dans le milieu universitaire et criminologique une solide réputation de faiseur et de marchand de piano.
C’était à la fin de l’été 2007 et le livre s’appelait L’insurrection qui vient, signé par un mystérieux Comité Invisible. Alain Bauer avait dû lire trop de Tom Clancy sur la plage et se prendre pour Jack Ryan, cet analyste de la CIA qui depuis son bureau annihile à la force du cortex les pires menaces terroristes planant sur les USA : tout seul, avec ses deux ordis de rien du tout, il empêche Al Qaida de s’emparer de toute l’Asie, des suprématistes blancs de fomenter un poutche à Washington ou les Français d’y exporter du Roquefort.
Que fait Alain Bauer, une fois qu’il a terminé péniblement L’Insurrection qui vient ? On peut imaginer sa perplexité : le texte est magnifiquement écrit et Alain Bauer est plus habitué à la poésie involontaire des rapports technocratiques qu’aux éclairs rimbaldiens et post-situ de ce chef d’œuvre. Oui, imaginons Alain Bauer, enseignant des disciplines n’existant pas dans diverses écoles de police se trouver tout à coup confronté à des phrases comme « On a brûlé en enfants perdus les premiers bibelots d’une société qui ne mérite pas plus d’égards que les monuments de Paris à la fin de la Semaine Sanglante, et qui le sait. ». Il ne peut pas comprendre mais comme tous les Danubes de la pensée, il croit comprendre, ce qui est bien pire. Il va justifier la confiance mise en lui par le président qui lui a aussi demandé de conseiller MAM à propos de toute la toute nouvelle DCRI, fusion des RG et de la DST. Bauer n’hésite pas une seconde, casse sa tirelire et achète quarante exemplaires de L’Insurrection qu’il distribue illico à tous les patrons de la sécurité intérieure. Il accompagne tout ça, non pas d’une boite de chocolats, mais d’une note circonstanciée où il explique que nous sommes potentiellement exposés au risque d’une dérive politico-militaire similaire à celle d’Action Directe à la fin années 1970. Il faut faire preuve d’une certaine nullité idéologique pour croire à ces sornettes, mais Alain Bauer connaît le marché. Il sait, comme on dit au poker, qu’il ne va pas falloir tarder à amuser le tapis pour occuper l’opinion qui voit le tsunami économique lui arriver dessus, dans un ralenti terrifiant. Bauer attend un prétexte, il l’a avec quelques sabotages de TGV en novembre. C’est l’invention de la fameuse mouvance anarcho-autonome, et le fiasco de Tarnac, en novembre, où l’on assiste au risible et terrifiant spectacle d’unités antiterroristes surarmées investissant une épicerie corrézienne sur de très aléatoires présomptions.
Ayant rejoint Jack Ryan au panthéon des sauveurs de l’Etat, Bauer se fait plus discret au fur et à mesure que le fiasco judiciaire est un peu plus manifeste. Il n’entend pas pour autant renoncer à son golden parachute: une chaire de criminologie créée à son usage aux Arts et Métiers (CNAM). Evidemment, la plupart de ses éventuels collègues mettent leur veto, arguant, les naïfs, de l’incompétence de ce Père Joseph de mauvais conseil. Mais bon, cela n’a pas suffi. Le décret créant cette chaire et l’attribuant à l’espion qui venait du rocardisme tiède vient d’être signé par le président lui-même.
Julien Coupat, lui, est toujours en prison.
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