Fêtons Noël en musique avec Alain Bashung et le groupe Elysian fields. Profitez-en, il est encore temps de préparez vos cadeaux !
Alain Bashung – En amont
En France, on n’a pas de pétrole, mais on a Bleu pétrole. Et on a des idées surtout, paraît-il. Comme celle, fabuleuse (« Fambueneuse » même), d’avoir donné vie à des chansons restées dans les tiroirs pendant les sessions de Bleu pétrole, dernier album studio de Bashung sorti de son vivant. En amont n’est pas le premier disque posthume de l’artiste, une relecture du cultissime L’homme à tête de chou de Gainsbourg, interprétée joliment par Bashung, était sortie en 2011. Mais En amont apparaît comme le prolongement « logique » de l’œuvre au noir du rocker désabusé aux multiples facettes, la suite naturelle de Bleu pétrole, celle qu’on rêvait d’entendre sans y croire, puisqu’il était de notoriété publique que le vaste chantier de l’époque avait laissé en rade de nombreux enregistrements. Attention, ces chansons ont été écartées à l’époque, en 2008, uniquement parce que leur traitement (production, arrangements) ne satisfaisait pas le chanteur, sans remettre en cause la qualité intrinsèque de ces compositions. Edith Fambuena, ex-Les Valentins (« J’ai triste », « On le sait », « Les pieds dans la lune », etc.), co-réalisatrice de Fantaisie militaire et ordonnatrice de ce En amont a juste tout remis à plat, ne conservant que les prises voix du rockeur pour broder un nouvel accompagnement dans un esprit minimaliste classieux, basé sur la guitare folk et blues.
Les moments forts : « Immortels », annoncé comme le morceau phare, méritait des cordes dans le final. « Il pleut des cordes sur ma guitare » chantait Bashung en 1986, c’était le moment d’accéder à sa vision. « Ma peau va te plaire » n’aurait pas déparé Bleu pétrole. La vraie pépite du disque arrive en plage 4 : « Elle me dit les mêmes mots », chanson écrite par Daniel Darc, titre cristallin désormais installé dans les incontournables du catalogue de Bashung. Ces mêmes mots qu’elle lui dit, on sent bien qu’ils relèvent de la même incertitude amoureuse, à bout de souffle, que les mots bleus de Christophe chantés également par Alain en 1992. Le reste est joliment réalisé, avec un Bashung toujours impérial dans ces volutes parties trop tôt en fumée mais gravées pour l’éternité désormais. « Montevideo » aurait pu être chantée par Johnny (« J’ai mis du vent sur ma moto / J’ai mis du vertige et de l’eau / Tu vois, ça fait longtemps que j’me fais peur / Des fois, je me dis que j’vais m’enfuir avant l’heure ») et un souffle d’outre-tombe passe sur « Nos âmes à l’abri », sanctuaire hivernal clôturant un disque touché par la grâce.
Curieusement, la pochette d’En amont rappelle trait pour trait celle de l’album du groupe américain Sonic Youth, The Eternal, paru en 2009, année de la disparition de Bashung. The Eternal sera également le dernier disque studio de la formation new-yorkaise, tout comme, pour le Français, En amont, dont le titre d’ouverture, rappelons-le, s’intitule « Immortels »…
Elysian Fields – Pink Air
Dans la famille qui envoie des ondes crépusculaires à chaque mesure, Elysian Fields a longtemps hanté de ses vapeurs à la paraffine l’âme grise de nos années 90. Le groupe continue à distiller régulièrement son romantisme noir fomenté à la lueur menaçante des forêts de Twin Peaks, et cette nouvelle saison de leur discographie, Pink Air, nous transporte à nouveau vers d’autres cieux, entre Pink Floyd et Air certes, mais aussi entre Talking Heads et Sonic Youth.
Au départ, ce n’était pourtant pas gagné : le dossier de presse m’indique en effet que l’album du duo new-yorkais aborde des thèmes aussi variés que « la menace écologique, le régime d’un narcissique dictateur en puissance, la suprématie blanche, la censure, l’effacement de l’histoire, le drame social des familles », etc. Du coup, je prends peur : la censure, l’effacement de l’histoire… j’espère que je ne suis pas en train d’écouter un album à moitié d’extrême droite. L’absence de sticker « Écouté et approuvé par Les Inrocks » confirme ma crainte. Dois-je dénoncer ce disque au CSA ? Comment se fait-il que ce groupe soit encore autorisé à jouer en France ? N’écoutant que mon courage, j’entreprends tout de même de poser le disque dans la platine, puisque de bonnes chansons, avec de belles mélodies et une production solide, suffisent à me combler de bonheur, au-delà de tout storytelling chausse-cerveau. Et je peux le dire : quel pied ! Quel ravissement, quelle langueur pas monotone ! Avec un disque pareil, on se fout comme de sa première chemise fuchsia de l’avenir des gilets jaunes, puisque l’air est rose. Radioactif mais rose. Et poétique. Une poésie qui plaira aux vrais esthètes, comme Jérôme Leroy. Extrait : « Votre tête est tombante comme une rose / Quand le soleil a oublié de l’embrasser ». Une poésie aussi envoûtante que la voix de la chanteuse, Jennifer Charles.
Parmi les sommets de ce bouquet de roses épinemment électrique, argileux et jazzy : « Philistine Jackknife » (chanson de l’année, rien que pour le titre), la blues-rugueuse « Household Gods » et le single entêtant « Karen 25 » :
Joyeux Noël avec ce clip enchanteur d’Eric Clapton, qui montre que le blues de l’enfance mène à tout (à condition de ne pas en sortir) :
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