Djihad : après la Syrie, l’Irak


Djihad : après la Syrie, l’Irak

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La prise de Mossoul, deuxième ville la plus peuplée d’Irak, par les hommes de l’Etat Islamique d’Irak et du Levant (EIIL), est une grande victoire pour ce mouvement djihadiste. Depuis le début de l’année 2014, plus de 5000 Irakiens ont été tués dans la guerre civile qui oppose le gouvernement de Bagdad, dominé par les chiites, alliés aux autorités du Kurdistan, quasi-indépendant depuis 2003, et l’insurrection sunnite, qui mêle des nostalgiques du régime de Saddam Hussein, des tribus hostiles au pouvoir central, et des groupes islamistes, comme l’Etat Islamique d’Irak et du Levant, qui a aujourd’hui l’initiative sur tous les fronts.

Un temps affilié à Al-Qaïda, l’EIIL est devenu un puissant mouvement autonome, qui s’étend de la Syrie à l’Irak. Dans les deux pays à la frontière poreuse, il est le plus groupe djihadiste le plus fort, qui impose l’ordre islamique dans les zones qu’il conquiert. Estimé à une dizaine de milliers d’hommes en Syrie, un peu moins en Irak, il attire les nombreuses recrues venues d’Europe : Mehdi Nemmouche, le « loup solitaire », selon la terminologie officielle, du Musée juif de Bruxelles, en aurait grossi les rangs, lors de son séjour guerrier en Syrie.

En Irak, la région du « triangle sunnite » (Falloujah, Ramadi, Tikrit), fief des insurgés sunnites depuis l’invasion américaine du 2003, était en partie contrôlée par l’insurrection depuis mai dernier. Celle-ci pousse maintenant au Nord, mettant en déroute l’armée gouvernementale irakienne, à la valeur militaire inexistante. Après Mossoul, les hommes de l’EIIL menacent de s’emparer de Samara et d’y détruire le mausolée chiite.

Ville sunnite, Mossoul était une cible stratégique pour les rebelles, qui affirment « libérer » la population du régime chiite de Bagdad. On sait que cette « libération » s’est accompagnée d’exactions, de la fuite de 500 000 civils, et de l’évanouissement de la communauté chrétienne locale, qui laisse derrière elle des églises centenaires.

Le pouvoir kurde, disposant de sa propre armée, semble prêt à intervenir pour repousser les rebelles, et en profiter pour étendre son territoire sur Mossoul, historiquement revendiquée par les Kurdes. Le gouvernement de Bagdad s’y refuse, mais n’a plus d’hommes pour imposer son autorité. De leurs côtés, les chrétiens de Qaraqosh ont demandé aux Kurdes de les protéger de la menace imminente des djihadistes. En effet, l’offensive djihadiste met en péril les communautés chrétiennes établies dans la province de Ninive, et en particulier dans la ville de Qaraqosh. Celle-ci, qui compte 50 000 habitants, presque tous de confession syriaque catholique, était un refuge pour les chrétiens qui fuyaient Bagdad ces dernières années.

Onze ans après l’invasion américaine de l’Irak, la situation est pire que jamais. Plaquant leurs représentations idéologiques de « dénazification », les Etats-Unis ont dès leur arrivée détruit la colonne vertébrale du pays, le Parti Baas et l’armée irakienne, en proscrivant leurs membres, qui rejoignirent en masse la rébellion. La démocratisation par le nombre ne pouvait ensuite que donner le pouvoir à la majorité chiite, marginalisant la minorité sunnite, entrée en guerre ouverte contre le gouvernement irakien. Enfin, le djihadisme s’est nourri de ce « choc des civilisations » matérialisé entre Occident et Islam.

Les tardives manœuvres de contre-insurrection, puisées dans les manuels français de Lyautey et de David Galula par le général américain David Petraeus, de 2007 à 2008, limitèrent les dégâts, et scellèrent une alliance improbable entre les militaires américains et certaines tribus sunnites, contre les islamistes. Mais elles n’ont pas réparé des années d’erreurs, ni répondu à la source du problème : la guerre politico-religieuse entre sunnites et chiites. Les djihadistes, exclusivement sunnites, mettent aujourd’hui plus d’énergie à s’attaquer aux hérétiques chiites qu’aux Occidentaux. Dans cette guerre, les Chrétiens d’Irak sont à la fois des victimes collatérales, faciles à rançonner car dépourvues de milices, et des cibles pour les islamistes, qui procèdent à une épuration religieuse. Sur le million de chrétiens qui vivaient en Irak avant 2003, il n’en reste plus que 300 000. Si rien ne change, ils disparaîtront du pays.

Ces derniers événements démontrent, s’il en était encore besoin, combien la « croisade » américaine en Irak fut désastreuse. La vision néoconservatrice, abusée par l’idéologie, s’est durablement écrasée sur les limites humaines, historiques et culturelles de l’Orient compliqué. Toutefois, il convient d’éviter un autre écueil, celui des analphabètes du GUD, qui collèrent il y a quelques années dans les rues de Paris des affiches au slogan inepte : « Chrétiens d’Orient – Et si Saddam avait raison ? ». Il se trouve que le nationalisme arabe, même laïcisant, comme en Irak et en Syrie, n’a jamais considéré les chrétiens comme des citoyens à part entière. Il les tolérait contre leur allégeance au pouvoir, qui demeurait musulman. Le fondateur du parti Baas, Michel Aflak, né grec-orthodoxe puis devenu musulman, préconisait lui aussi cette soumission des chrétiens à l’islam dominant la nation arabe. Défendre des dictatures face à la vague islamiste est compréhensible mais l’aveuglement naïf à leur égard est une faute.

Quant au crime, il résidera, si rien n’est fait, dans l’inaction des chrétiens d’Occident face au drame des chrétiens d’Orient. Comme le résume l’écrivain Sylvain Tesson, dans le dernier numéro du Point, »à la souffrance de ces hommes s’ajoute l’assourdissante indifférence de nos édiles, de nos évêques, lesquels, à force de crier à la discrimination pour tous, ne parviennent même plus à discerner ceux de leurs frères qui la subissent le plus cruellement ».

En revanche, l’inaction américaine dans la lutte contre l’EIIL pourrait être opportune. Face aux djihadistes d’Irak et de Syrie, Washington aurait tout intérêt à « sous-traiter » le combat à des alliés objectifs, qui partagent la nécessité de réduire à l’impuissance l’Etat islamique. Qui ne pense pas à l’Iran?

*Photo : AP/SIPA. AP21581073_000001.



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