En exécutant le 2 janvier Nimr al-Nimr, une figure religieuse chiite de l’Arabie Saoudite, le royaume des Saoud a envoyé deux messages :
– il ne fait plus confiance aux Etats-Unis
– il a l’intention de s’opposer énergiquement à la montée en puissance de l’Iran dans la région.
Pour la première fois depuis 1945, l’Arabie saoudite semble avoir compris que les Etats-Unis ne sont plus ce qu’ils étaient : la puissance protectrice qui empêcherait quiconque de perturber la production et l’exportation du pétrole ainsi que le pèlerinage vers La Mecque.
Depuis le pacte signé par Roosevelt et le roi Ibn Saoud à bord du Croiseur USS Quincy en février 1945, les relations entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite ont certes connu des moments de tension, mais le sentiment que les intérêts des deux pays convergent de moins en moins n’a jamais été aussi aigu. Et la goutte qui a fait déborder le vase a été le printemps arabe, a fortiori depuis le déclenchement de la crise syrienne.
Il y a déjà plus de deux ans, l’un des plus grands connaisseurs saoudiens des Etats-Unis, le prince Bandar Ibn Sultan, avait rendu publique son analyse : l’inaction américaine en Syrie et sa politique d’ouverture vis-à-vis de Téhéran poussent Riyad à envisager un virage important dans ses relations avec Washington. L’homme qui a été pendant 22 ans ambassadeur aux Etats-Unis exprimait alors la déception de Riyad, faute de soutien américain à la politique saoudienne à Bahreïn[1. Le royaume des Saoud a aidé le gouvernement soutenu par la minorité sunnite à réprimer violemment la révolte de la majorité chiite.]. Les propos du prince – à l’époque chef des renseignements du royaume – ont sans doute été prononcés pour être « fuités », une audace permise par le roi d’alors – Abdallah. Fin 2013, Riyad, déçu et encoléré par la reculade d’Obama début septembre – qui avait refusé de frapper la Syrie malgré l’usage d’armes chimiques par Assad – a donc envoyé un premier message public à l’administration américaine. Il y annonçait clairement ses intentions : les termes de l’accord de Quincy allaient être changés, l’Arabie saoudite ne souhaitant plus dépendre des Etats-Unis pour défendre ses intérêts vitaux.
Vu de Riyad, les deux années qui viennent de s’écouler n’ont fait que confirmer les pires craintes de la monarchie wahhabite : après plus de trente ans de guerre froide, les Etats-Unis cherchent à renouer avec l’Iran. Or, si dans les années 1960-1970, Riyad acceptait de jouer le jeu de la stratégie des deux piliers – une stratégie américaine consistant à s’appuyer sur ses deux alliés du Golfe, l’Iran du Shah et l’Arabie saoudite –, quatre décennies plus tard, cette option n’est plus à l’ordre du jour. La nature même du régime iranien – une république islamique chiite – ne le permet plus. La lutte pour l’influence dans la région est désormais indissociable de la question religieuse et des affrontements entre sunnites et chiites, à la fois cause et symptôme des toutes les autres tensions entre les deux pays.
Le cheikh Nimr n’était donc rien de plus qu’un pion dans le grand jeu du Golfe. Les Iraniens ont tout fait depuis son arrestation en 2012, et encore plus depuis sa condamnation à mort en 2014, pour le transformer en martyr et faire de son éventuelle exécution une déflagration diplomatique. C’est un peu l’hôpital qui se moque de la charité, sachant que l’Iran a exécuté 1000 personnes en 2015 contre 157 pour l’Arabie saoudite. L’indignation iranienne est donc perçue à Riyad comme un moyen de semer encore plus le trouble dans la province chiite du royaume saoudien, riche en pétrole. Qui plus est, le rejet des appels américains à la modération tout comme la rupture des relations diplomatiques de l’Arabie avec l’Iran, après l’incendie de son ambassade à Téhéran et d’un consulat à Meshaad, démontrent que Riyad est en train d’appliquer les idées du prince Bandar.
La politique agressive de l’Arabie saoudite en matière de prix du pétrole, son intervention militaire au Yémen et sa détermination nouvelle tant vis-à-vis de Téhéran que de Washington ne laissent plus de place au doute : les Saoud sont décidés à mettre en échec l’Iran, fût-ce au prix de ses relations privilégiées avec les Etats-Unis.
*Photo : SIPA.00736494_000005.
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