La métropole Aix-Marseille-Provence a été imposée par l’État pour favoriser le développement économique et la mobilité d’un territoire grevé par les difficultés de sa ville-centre. Mais la prospère Aix rechigne à convoler avec Marseille. Reportage.
Gare aux diablines ! Ces minuscules navettes électriques serpentent dans les rues piétonnes du Vieil Aix. Dans ce paisible centre historique que réveillent les foules étudiantes, les façades blondes en pierre de taille disputent la primauté aux petits commerces franchisés. À quelques pas de l’hôtel de ville et de la cathédrale, des atlantes soutiennent le portail d’un splendide hôtel particulier Grand Siècle. Sur le cours Mirabeau voisin, les étals de fruits, légumes et spécialités du pays réjouissent touristes et bourgeois du cru, dont on décèle à peine l’accent.
Maryse Joissains contre la métropole
Rien dans cette image d’Épinal provençale ne laisse soupçonner la colère qui gronde. « Je ne veux pas que Marseille gère mon budget ! Lorsque vous mettez une pomme pourrie dans un panier, qui gagne ? Pas celle qui est en haut du panier », s’emporte Maryse Joissains, 76 ans, maire (LR) d’Aix systématiquement réélue depuis 2001. L’édile gouailleuse, épouse séparée de l’ancien maire Alain Joissains (1977-1983), aussi controversée qu’appréciée de ses administrés, ne cesse de fulminer contre la métropole Aix-Marseille-Provence (AMP) officiellement créée le 1er janvier 2016. Certains murmurent que les récents ennuis judiciaires – une condamnation en appel le 28 mai à un an d’inéligibilité et six mois de prison avec sursis pour détournement de fonds et prise illégale d’intérêts[tooltips content= »La justice reproche à Maryse Joissains la promotion expresse de son ancien chauffeur au sein de l’administration communale, ainsi que l’embauche d’une collaboratrice de cabinet chargée de la condition animale au sein du pays d’Aix. Défendue par Me Obadia, la maire d’Aix se pourvoit en cassation. »]1[/tooltips] – de cette fille de docker toulonnais ne seraient pas sans rapport avec sa croisade antimétropole.
Contre l’avis de la quasi-totalité des maires concernés, Marseillais exceptés, l’État a institué cette nouvelle couche du mille-feuille administratif pour améliorer le développement économique, l’aménagement et la mobilité d’un territoire appelé à peser dans la mondialisation. S’il s’agit de la plus grande métropole française (1,8 million d’habitants répartis sur 3 148 km2) loin devant le Grand Paris et le Grand Lyon, AMP inverse l’habituel schéma métropolitain : Marseille, sa ville-centre, est bien plus pauvre que sa périphérie. Et souffre d’une dette intercommunale abyssale que sa rivale historique Aix-en-Provence n’a aucune envie d’assumer.
Hétéroclite, la métropole en archipel AMP regroupe six intercommunalités (Marseille Provence Métropole, Pays d’Aix, Pays d’Aubagne, Pays de Martigues, Salon-Étang de Berre-Durance et Syndicat d’agglomération nouvelle Ouest Provence autour d’Istres et Fos) dans une institution nouvelle placée entre la commune et le département, avec lequel elle est censée fusionner. Depuis novembre 2018, la Marseillaise Martine Vassal (LR), présidente du Conseil départemental, a d’ailleurs repris les rênes d’Aix-Marseille-Provence au premier des Marseillais Jean-Claude Gaudin (LR), bientôt 80 ans au compteur.
Mais l’équation se complique : les frontières de la métropole ne se confondent pas avec celles des Bouches-du-Rhône, le pays d’Arles refusant obstinément de s’y fondre.
Où est passée l’Arlésienne ?
Un dernier réduit résiste encore et toujours à la métropole Aix-Marseille-Provence : le pays d’Arles. Couvrant toute la Camargue, ce territoire représente 40 % des Bouches-du-Rhône, mais accueille à peine un dixième de la population du département. La députée Monica Michel (LREM) aime citer l’étude de deux cabinets de conseil qui évalue à 17 millions d’euros le surcoût fiscal qu’engendrerait l’entrée du pays d’Arles dans la métropole. Si bien que plusieurs référendums locaux ont donné 80 % de non à la métropole sur fond d’abstention massive. Et la parlementaire macronienne de brandir l’argument de la proximité : « Le cœur de la décision ne peut pas se prendre à 130 kilomètres du citoyen. » À raison : le pays d’Arles se développe en effet bien davantage vers le Gard et le Vaucluse. En cas de fusion métropole-département, Monica Michel propose de créer par la loi une collectivité territoriale arlésienne à statut particulier qui bénéficierait des anciennes compétences départementales tout en nouant des conventions avec AMP. Un modèle corse que Matignon hésite sans doute à reproduire.
Autre bizarrerie administrative, les deux communes du Vaucluse (Pertuis) et du Var (Saint-Zacharie), respectivement membres des pays d’Aix et d’Aubagne, ont intégré la métropole, mais pas les Bouches-du-Rhône.
Des maires vent debout
Au-delà des querelles de clocher, Aix a-t-elle tort de craindre une mainmise de Marseille sur la métropole ? Sur les 240 membres du conseil métropolitain distribués au prorata démographique, 108 ont été attribués à la cité phocéenne (860 000 habitants) contre seulement 55 à Aix-en-Provence (142 000 âmes). Sur fond de chicayas entre Maryse Joissains et Jean-Claude Gaudin, la droite se divise en deux groupes au sein du conseil métropolitain : les Marseillais et les autres. « La ville de Marseille a transféré à l’intercommunalité Marseille Provence 2,6 milliards d’euros de dette. En ajoutant la piscine et la salle de sport en difficulté, le stade qui n’est pas aux normes de sécurité, les écoles mal entretenues, cela donne une dette potentielle de 4 à 6 milliards ! » calcule Maryse Joissains. De quoi faire dire à la peu diplomate maire d’Aix que la métropole confie « au dernier de la classe le destin du premier ». Pour autant, mutualiser la dette ne signifie pas la solder. Certes, les taxes foncières métropolitaines, la taxe sur les ordures ménagères portée par ménages et entreprises, la contribution forfaitaire économique (CFE) ont été unifiées à un taux métropolitain moyen, pénalisant les territoires les mieux gérés et les moins gourmands en impôts. Du côté de Berre-l’Étang, le maire (PS) Mario Martinet ne mâche pas ses mots : la métropole n’aurait d’autre but que d’absorber la dette marseillaise – passée de la ville à sa communauté urbaine puis à la métropole, et bientôt au département ? – afin d’éviter de mettre la deuxième ville de France sous tutelle…
Mais l’enjeu métropolitain ne se résume pas à des comptes d’apothicaire. À 25 kilomètres au nord de Marseille, Aix ressasse souvent les poncifs qui opposent la ville romaine tournée vers l’intérieur des terres au comptoir maritime fondée par les Grecs. Sous l’Ancien Régime, Colbert octroya à Marseille le statut de port franc de manière à favoriser ses échanges commerciaux avec le grand large. Si bien que l’Hexagone considérait les marchandises marseillaises comme des produits étrangers importés. Siège d’une chambre de commerce dès 1599, jalouse de son autonomie, Marseille étendait ses marchés au gré des conquêtes coloniales. Faisant cavalier seul, la ville de parlement et d’université qu’était Aix servait de relais provençal au centralisme parisien. La révolution industrielle surprit les deux cités. Si bien que Marseille a transformé quelques produits de base (huile, sucre, savon) pendant qu’Aix s’attirait une réputation de belle endormie. Il y a bientôt un siècle, Léon Daudet marquait ainsi cet antagonisme : « Si Marseille est un grand village semé de monuments de pierre, mais qui a gardé l’allure du marché à bestiaux, à femmes, à poissons et à grains qui résume son histoire commerçante, Aix a pris l’aspect d’un tombeau que respecte la végétation environnante. C’est un cénotaphe en plusieurs palais, enfoui dans son propre passé et qui ne saurait plus servir à rien autre chose qu’à l’émouvante conservation des morts. »
Depuis la décolonisation, Marseille cherche un modèle économique de rechange. Ces vingt dernières années, l’arrivée du TGV Méditerranée à Aix et Marseille a contribué à dynamiser la région. Peut-être un peu trop : la qualité de vie aixoise fait flamber les prix de l’immobilier à 7 000 euros le mètre carré, y compris dans l’éco-quartier d’affaires excentré de la Duranne.
Le centre qui cache la forêt
Gare à l’illusion d’optique : derrière « l’image carte postale du centre dont les circuits touristiques font le tour, l’attraction touristique et culturelle d’Aix se limite à 10 % du territoire de la ville et à 15 000 habitants », prévient Lucien-Alexandre Castronovo, conseiller municipal divers gauche depuis 1983. Le décor en carton-pâte du Vieil Aix cache des quartiers périphériques champêtres et même des zones urbaines prioritaires (Jas-de-Bouffan, Encagnane, Corsy…). Des petites concentrations de logements sociaux certes bien moins sinistrées que les quartiers nord de Marseille. « Par rapport à Marseille, Aix semble être Monaco, mais nous avons 14,7 % d’habitants sous le seuil de pauvreté », précise la sénatrice et conseillère municipale aixoise Sophie Joissains, fille et dauphine putative de Maryse.
Symbole de la mésentente historique entre les deux sœurs ennemies, une seule voie ferroviaire relie Aix à Marseille. Le trafic sur l’autoroute qu’empruntent des dizaines de milliers de personnes chaque jour s’engorge aux heures de pointe, sachant qu’il faut fréquemment une heure et demie pour relier le nord et le sud de Marseille. Un vague projet de RER Aix-Marseille auquel plus personne ne croit prend la poussière depuis des décennies.
Trois ans et demi après le lancement de la métropole, Aix ne se résout toujours pas à faire caisse commune avec Marseille. Les Joissains défendent mordicus l’autonomie financière du pays d’Aix, quitte à vouloir scinder AMP en deux métropoles distinctes. Sans quoi elles craignent une paupérisation générale… Bref, la mairie d’Aix ne se résigne au mariage forcé qu’à condition de faire chambre à part.
Big is beautiful ?
En matière de politique métropolitaine, deux grandes écoles s’affrontent. Menés par le géographe Gérard-François Dumont, d’aucuns estiment que ce n’est pas la taille qui compte. « L’idéologie de la métropolisation s’appuie sur une lecture dépassée de la mondialisation telle qu’elle s’est développée dans les années 1990. » Or, « tout territoire peut trouver sa place dans la mondialisation » en innovant, y compris des bourgs comme Espelette ou Saint-Gilles-Croix-de-Vie, où siège le leader mondial de la navigation de plaisance Bénéteau. Pire, la politique des grands ensembles institutionnels nuit parfois à l’efficacité administrative : « Une décision qui prenait trois mois en Auvergne requiert maintenant neuf mois dans la grande région Auvergne-Rhône-Alpes », déplore Dumont. Le député (LR) du Vaucluse Julien Aubert partage cette critique, convaincu qu’« au nom de la décentralisation, on a créé des mini-Paris un peu partout » en éloignant les décisions des citoyens. Pour l’heure, on ignore toujours si le président de la métropole sera élu au suffrage universel direct, ce qui affaiblirait du même coup la légitimité des maires…
Dans l’autre camp, l’astrophysicien proche du PS Jacques Boulesteix parie sur des métropoles qui facilitent les échanges. Intellectuel à l’esprit aiguisé, Boulesteix entend dépasser « la démocratie un peu croupion, verrouillée par la proximité communale ou associative » au profit d’une « démocratie-usage » structurée par de grands projets d’avenir. Quels transports et services publics veulent les citoyens pour leurs enfants qui n’habiteront pas forcément la même commune qu’eux ? À l’échelle mondiale, ce n’est pas tant le « Big is beautiful » des grands Länder allemands qui comptent mais « un nœud intermétropolitain » coordonné entre les grands ports du sud de l’Europe en fonction des spécialités de chacun : les usines automobiles à Valence, les hélicoptères à Marseille, les chantiers navals à Gênes. La mondialisation heureuse a du pain sur la planche.
Un combat d’arrière-garde ? « La métropole existe de fait. Il y a dix ans, j’avais suggéré à Maryse Joissains de bâtir deux métropoles séparées. Aujourd’hui, sa proposition arrive trop tard et n’est plus qu’un argument électoral », soupire Jean-David Ciot, ex-député PS, maire du Puy-Sainte-Réparade, sur les hauteurs d’Aix, et président du groupe socialiste au conseil métropolitain. Le jeune quinquagénaire défend le principe de subsidiarité contre les prétentions tentaculaires de la métropole, laquelle a arraché 37 compétences aux communes et intercommunalités. Prévu le 1er janvier 2020, le transfert définitif à l’échelon métropolitain de prérogatives telles que la voirie, l’extension des cimetières, la gestion du mobilier urbain, ou le ramassage des déchets dépasse l’entendement. « Il y a un consensus politique total de l’extrême droite à l’extrême gauche pour redonner des compétences aux communes. Ne s’y opposent que quelques députés LREM qui n’ont jamais exercé de mandat local », renchérit Ciot. Loin de développer quelques axes stratégiques (économie, mobilité, environnement), la métropole a obtenu des pouvoirs qu’elle n’a pas les moyens d’assumer. Elle les redélègue donc aux communes sous forme de conventions. Du pur Ubu. Sans être un partisan inconditionnel de la métropolisation, le maire du Puy voudrait construire « un territoire industriel, prospère, créateur de richesses », dont l’économie ne reposerait pas sur « l’immobilier et les bouteilles d’Orangina ! »
Les start-ups soutiennent la métropole
À quelques kilomètres de là, un entrepreneur dynamique relève ce défi. Pascal Lorne, quadra bronzé, s’est installé au Jas-de-Bouffan à son retour de San Francisco, il y a trois ans. Le directeur de la boîte d’intérim Gojob dirige le label French Tech Aix-Marseille, un ensemble de 12 chefs d’entreprise du numérique reconnus qui font bénéficier de leur réseau l’ensemble du secteur local. De son point de vue, la métropole relève de l’évidence. « Les guéguerres entre Aix et Marseille sont ridicules ! Quand ma boîte était à Marseille, je galérais pour faire descendre mes salariés d’Aix parce que le train met des plombes et le bus est hyper cher. Maintenant, je galère pour faire venir les gens de Marseille »¸expose cet habitué du TGV qui passe deux jours par semaine à Paris. Il est vrai que 60 % des habitants de la métropole ne logent pas dans la commune où ils travaillent. Un géographe parlerait de bassin de vie. À trois heures de Paris, la métropole rêve de devenir une Silicon Valley française et peut déjà se targuer d’avoir détrôné Sophia-Antipolis, victime de l’enclavement ferroviaire niçois. Malgré la matière grise que fournit Aix-Marseille, plus grande université francophone du monde, le start-uppeur ne recrute localement que 8 % de ses intérimaires. Rien d’étonnant pour une zone que l’OCDE classe championne des inégalités socio-économiques et bonnet d’âne de la productivité par rapport à Gênes et Barcelone. La saturation du marché numérique parisien autorise cependant quelque espoir. « Un peu comme à San Francisco, ça devient très difficile de recruter et de monter une boîte à Paris parce qu’on se fait débaucher le personnel en permanence. Il faut payer les employés les yeux de la tête et les loyers sont trois fois plus élevés qu’ici. »
Un doute m’étreint : l’adhésion à la métropole tracerait-elle la frontière entre l’ancien et le nouveau monde ? Pas si simple. D’après la conseillère municipale Noëlle Ciccolini-Jouffret (PS), « si demain on organise un référendum d’initiative citoyenne comme le propose la sénatrice Sophie Joissains, les Aixois diront non à la métropole ». Fille de l’ancien maire socialiste Félix Ciccolini (1967-1978), l’élue d’opposition approuve donc le combat des Joissains mère et fille contre AMP, rappelant au passage que son père entretenait une mésentente cordiale avec son homologue marseillais Gaston Defferre, pourtant du même bord. Les guerres picrocholines entre barons locaux agacent les soutiens de la métropole. Pour l’ex-directeur des services de la communauté du pays d’Aix, Philippe Neveu, « nos élus médiocres raisonnent toujours à l’échelle du département et y entretiennent des murailles, alors que l’enjeu est européen, voire planétaire ». L’ex-fonctionnaire territorial reconverti en avocat rappelle qu’Aixois et Marseillais ne vivent plus en vase clos. Où les Aixois se soignent-ils ? Dans les grands hôpitaux marseillais. Où font-ils régulièrement leurs courses ? Au Plan de Campagne, grande zone commerciale entre Aix et Marseille. Où prennent-ils l’avion ? À Marignane. Il y a une dizaine d’années, Neveu prêchait dans le désert en tâchant d’imaginer « les aménagements nécessaires à ces flux ». Ainsi, le bus à haut niveau de services (BHNS) 100 % électricité en service d’ici quelques mois ne desservira que l’intérieur d’Aix. Quand il était encore en responsabilité, Philippe Neveu avait « demandé aux services de travailler sur une hypothèse qui a été balayée par la maire et présidente du pays d’Aix : un axe de transport collectif Aix centre-zone industrielle des Milles-Gare TGV-Aéroport de Marignane. » En vain. Quoique financé par une taxe prélevée sur les entreprises, ce projet ignore les flux économiques. Une énième manifestation de l’esprit de clocher.
Les bourgeois d’Aix
Au début du siècle dernier, les notables aixois avaient refusé l’arrivée du rail de peur que le passage des trains fasse tourner le lait des vaches, le vin des barriques et charrie son lot d’indésirables. Le train a alors bifurqué de l’autre côté de l’Étang de Berre, offrant une opportunité économique inespérée. Cent ans plus tard, la ville a peut-être commis une nouvelle erreur stratégique. « Alors qu’un bon politique aurait maillé l’administration métropolitaine de fonctionnaires issus de l’administration du pays d’Aix pour préserver ses intérêts, Maryse Joissains a interdit aux services de l’agglomération de participer aux travaux d’élaboration », regrette Neveu.
Cependant, rien n’est joué. Dans l’attente des arbitrages gouvernementaux, le président du groupe PS Jean-David Ciot presse l’État de fusionner métropole et département, quitte à réinjecter des moyens financiers, car « si Marseille et le Sud s’effondrent, cela fera s’affaisser une grande partie de la France ». Un autre risque existe : la lourdeur bureaucratique. En additionnant le nombre d’employés de la métropole, du département et des intercommunalités devenues conseils de territoire, on atteint en effet le pic de 20 000 fonctionnaires.
Quelques Aixois s’inquiètent d’une éventuelle « contagion » des quartiers nord de Marseille. Mais puisque les plans locaux d’urbanisme ont été transférés au niveau des conseils de territoire, il est impossible à la métropole d’imposer des HLM aux communes récalcitrantes.
Gaudin, héritier de Defferre
Aucune chance que les quartiers nord de Marseille débordent à Aix. Ouf, les Aixois respirent un grand coup, cantonnés à quelques kilomètres de ces ghettos urbains où le commerce du cannabis se fait à ciel ouvert. « On s’accommode de ce trafic qui permet à la ville de ne pas exploser. Si on coupait le robinet du trafic de drogue, qui fait vivre des milliers de Marseillais, des dizaines de cités s’enflammeraient », accuse le sénateur (RN) Stéphane Ravier, ancien maire des 13e et 14e arrondissements. La part de logements sociaux y atteint des sommets (47 % du parc immobilier), alimentée par « la délirante politique d’immigration » que dénonce le cadre lepéniste. Son lointain prédécesseur, Pierre Rastoin, 88 ans, impute à la suppression de la police de proximité par Sarkozy une grande responsabilité dans le décrochage de ces quartiers. Descendant d’une grande lignée d’industriels marseillais, ce catho de gauche, sosie de Philip Roth, a conquis l’ancien fief communiste en 1989, poussé par le maire de Marseille (1986-1995) Robert Vigouroux, dont il vante encore les qualités de planificateur. « Gaudin est malheureusement l’héritier de Defferre », maire de 1953 à 1986. Tous deux ont massivement délaissé les quartiers nord, l’un par défiance envers les communistes, l’autre pour y concentrer les HLM afin d’épargner le sud rupin.
Si Marseille a mis si longtemps à redécouvrir la Provence, c’est que Defferre comme Gaudin ont eu tendance à se détourner de l’arrière-pays. On pourrait faire un inventaire à la Prévert des rendez-vous manqués de Marseille avec sa périphérie. N’en citons que deux : en 1966, le pouvoir gaulliste propose aux grandes villes françaises de former des métropoles d’équilibre. Niet de Gaston Defferre, opposant du Général encerclé par les communistes. Pour contrecarrer ce projet, Defferre crée la ceinture verte : sur les 10 000 hectares de Marseille, grande comme Paris et Lyon réunis, mille hectares sont sanctuarisés pour former une ceinture verte non constructible. Les entreprises en extension partent enrichir les environs de Marseille. Pendant ce temps, le projet rhodanien Grand Delta de réorientation industrielle de Marseille vers Lyon échoue lamentablement. Quatre ans plus tard, la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale) présente un plan visionnaire pour former un arc sud-européen Barcelone-Naples-Marseille. Craignant de diluer sa ville, Defferre rejette l’offre, tout en laissant le port de Fos accueillir l’extension industrielle de Marseille. « Un sale coup de l’État ! Marseille n’avait plus rien à proposer d’un point de vue économique », affirme le reporter Philippe Pujol. Résultat, des milliers de chômeurs parmi les masses immigrées des quartiers nord.
Une gabegie marseillaise ?
Colportée par les élus aixois, la réputation de clientélisme institutionnalisé que Marseille traîne depuis l’après-guerre n’est hélas pas usurpée. Si la gestion d’Aix n’a pas toujours été irréprochable, à Marseille le pas de deux entre la mairie et le syndicat Force ouvrière plombe l’administration. À cet égard, un élu glisse : « L’emploi public à Marseille, si on ajoute les effectifs de la RTM, de la SEM, de la SERAM, de l’APHM, de la ville, du département et de la région, c’est pratiquement 200 000 emplois ! Quand on a 500 000 électeurs, cela constitue un système de dépendance… » La monnaie d’échange vire vite à la gabegie. Quelques anecdotes révélatrices désespéreraient le plus vaillant des chevaliers blancs. Au milieu des années 1970, Pierre Rastoin, alors fils du premier adjoint de Defferre, conquiert la présidence de l’Office HLM communal pourri par les détournements.
Il en assainit le fonctionnement de nombreuses années durant… avant qu’un nouveau cycle de corruption ne commence. Un grand commis de l’État a connu la même mésaventure dans les années 2000 au port de Marseille, sa droiture le poussant à la démission malgré le soutien personnel du maire, désespérément impuissant face à certains clans. Enfin, l’ancien proche de Defferre, Philippe Sanmarco, rallié à Gaudin il y a une dizaine d’années, a lourdement bataillé au sein de Marseille Aménagement, pour tenter de lancer un plan de rénovation du centre-ville. Caramba, encore raté ! Face aux pressions des propriétaires, Gaudin maintient le statu quo et laisse Sanmarco démissionner en 2009. Moins de dix ans plus tard, à l’automne 2018, les immeubles vétustes de la rue d’Aubagne s’effondrent, provoquant huit morts.
La retraite annoncée de Jean-Claude Gaudin après vingt-quatre ans de règne rebattra les cartes en 2020. Qui sait si Aix et Marseille se réconcilieront après les municipales ? D’ici là, une sardine bouchera peut-être le port de Marseille.
I comme Iter
Sur le territoire de la métropole Aix-Marseille-Provence, Cadarache abrite le plus grand chantier d’Europe : Iter (International Thermonuclear Experimental Reactor). Ce sigle barbare désigne à la fois un programme de recherche scientifique et un gigantesque projet de construction au service de la fusion nucléaire. Une technique de production d’énergie potentiellement cinq fois plus performante mais également plus propre que la fission puisqu’elle ne produira aucun déchet radioactif à vie longue.
Choisi il y a une quinzaine d’années par les trente-cinq pays qui forment Iter (Chine, UE, Suisse, Inde, Japon, Corée du Sud, Russie, Etats-Unis), le site de Cadarache dispose d’un statut extraterritorial qui ne l’isole toutefois pas de son environnement. « Depuis le début des travaux, on a passé 6 milliards d’euros de contrats dont trois milliards sont allés à des entreprises implantées dans la région. Toute une cascade de sous-traitance fait que les PME ont leur place sur le chantier », indique le responsable de la communication d’Iter Robert Arnoux. Fierté de la Provence, le projet emploie directement un millier de personnes au sein de la structure internationale Iter-Organization qui habitent principalement Aix et Manosque ainsi que 500 sous-traitants directs. La France a d’ailleurs ouvert à Manosque une école internationale pour accueillir les enfants des personnels Iter. 2 300 ingénieurs, techniciens et ouvriers œuvrent au chantier de la machine expérimentale (tokamak) dont l’assemblage débutera en 2020. Chargées depuis le port de Fos-sur-Mer, les énormes pièces fabriquées par les Etats membres traversent l’Etang de Berre sur une barge puis prennent la route de nuit par un itinéraire spécialement aménagé par la France. Chaque convoi nocturne mobilise cent cinquante personnes dont deux escadrons de gendarmerie. « Cela ressemble à la bulle du Tour de France », s’amuse Arnoux.
Cap est mis sur 2025 pour un « premier plasma », prélude aux opérations à pleine puissance nucléaire en 2035.Après une vingtaine d’années d’exploitation, le tokamak sera démantelé. En attendant, l’énergie de demain fournit les emplois d’aujourd’hui.
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