Le marché a toujours raison. Pour une raison simple : nous sommes tous des êtres rationnels qui, dans un égoïsme bien compris, allons permettre à une main invisible d’organiser le monde merveilleux des harmonies spontanées. Demandez-le à n’importe quel trader, il vous l’expliquera très bien.
En plus, marché rime avec démocratie. Bon, il faudrait voir dans quelle langue, parce qu’en français, non seulement ça ne rime pas mais il n’y a même pas d’assonance. Je me suis laissé dire que ça ne rimait pas non plus en chilien comme pourront vous le confier les Chicago boys de Friedman, l’ami de Pinochet, qui ont eu besoin d’un putsch pour appliquer leurs mesures économiques. Mais bon, c’est une affaire entendue, le doux commerce de Montesquieu est une réalité et on sent très bien la saine et pacifique émulation qui règne entre les grandes puissances économiques aujourd’hui.
On comprend bien pourquoi la furie des privatisations, qui frise parfois le pathologique, se poursuit avec les résultats brillants que l’on connaît depuis les débuts de la révolution néo-conservatrice. Demandez, parmi mille autres exemples, à la poste suédoise, aux chemins de fer anglais ou à l’industrie nucléaire japonaise, par ordre croissant de gravité. Bon, être obligé d’aller chercher un colis chez son épicier de Malmö est certes moins gênant que de dérailler avec le néo-libéralisme en gare de Paddington (31 morts et 500 blessés en 1999) ou de se faire irradier du côté de Fukushima alors que Tepco, le grand opérateur privé du nucléaire japonais, a géré la crise avec une telle compétence que l’Etat nippon a préféré redevenir l’actionnaire majoritaire en 2012 (avant, on disait nationalisation, mais plus maintenant car c’est un gros mot stalinien comme salaire minimum ou sécurité sociale).
Donc, il faut privatiser. C’est comme ça. Même si vous aviez l’impression que ça marchait mieux avant, c’était une illusion. Vous devez être de gauche et avoir un problème avec le réel, même si vous n’avez plus de facteur et que vous arrivez très en retard en train quand vous avez survécu au voyage : de toute manière, ce n’est pas grave, on vous repère dans le noir car grâce à Tepco, vous êtes phosphorescent.
Chez nous droite et gauche social-démocrate confondues ont privatisé. C’est ainsi que cet été, on vient d’apprendre qu’Air France, qui n’appartient plus aux Français depuis 2004, a merveilleusement profité de la privatisation. Déjà, pour se débarrasser de personnels jugés inutiles. 2500 postes seront supprimés d’ici 2015 nous a annoncé au cœur de l’été la direction de la compagnie aérienne. Depuis les quatre dernières années, on atteint les 15 000 postes disparus. Oui, mais enfin, me direz-vous, ce n’est pas le rôle de l’Etat de transporter des gens en avion. Sauf sur les lignes non rentables, évidemment : dans ce cas-là on invoque des obligations de service public, ce qui revient à faire d’Air France un boxeur qui monte sur le ring du marché avec un bras lié dans le dos. Et puis, si Air France licencie autant (on appelle ça le plan Transform 2015), c’est sûrement pour de bonnes raisons. Le secteur privé sait ce qu’il fait, contrairement à l’Etat toujours prêt à subventionner des emplois bidons avec l’argent du contribuable.
Le problème, c’est qu’il semble qu’Air France privatisée ait fait des choix stratégiques désastreux et que les pertes d’emploi soient là pour réparer les pots cassés d’une direction qui a privilégié à contre temps les longs courriers et qui a également cherché à gagner 20% de productivité en utilisant l’emploi comme variable d’ajustement, pour faire mieux que les petits camarades.
Heureusement, un actionnaire sympa est toujours dans le capital de l’entreprise. Il s’appelle l’Etat et il est présent à hauteur de 16%. Et l’Etat, il est très cool. Le marché peut toujours compter sur lui pour réparer la casse sociale. Il suffit juste qu’il reste à sa place et qu’il réponde quand on le siffle, histoire de socialiser les pertes avec nos impôts. Et ça tombe bien, en France comme ailleurs, l’Etat, en plus, il obéit. À chaque fois.
*Photo : quixoticguide.
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