Accueil Médias Ainsi parlait Célestine. Ou Greta, Manès, Maya…

Ainsi parlait Célestine. Ou Greta, Manès, Maya…

De petits singes savants guidant le peuple...


Ainsi parlait Célestine. Ou Greta, Manès, Maya…
Manès Nadel, 15 ans, Capture d'écran Le Parisien

Des visages d’anges au service d’une idéologie pas toujours divine…


En 2018, le monde apprit l’existence de Greta Thunberg, cette très jeune Suédoise qui dénonçait chaque vendredi les gouvernements occidentaux supposément inactifs face au réchauffement climatique. Elle avait alors quinze ans, l’allure et l’élocution d’un robot dyslexique, le regard mauvais. Son discours tenait en quelques mots rageurs, ses gestes étaient asynchrones et sa bouche, déformée par des spasmes, lançait de dures sentences et de lourdes menaces. 

Grincheuse Thunberg

Les médias et les écolos profitèrent d’avoir ce monstre de foire sous la main pour affoler les citoyens. Les parlements nationaux et européen invitèrent la jeune créature à vomir sa bile verdâtre dans leurs enceintes – après s’être fait copieusement insulter, ils applaudirent à tout rompre le dragon suédois qui venait de les cramer devant les caméras du monde entier. Les Verts s’agenouillèrent devant la grincheuse, quémandèrent sa bénédiction en se signant frénétiquement, promirent de porter son message à travers les villes et les campagnes.

Greta Thunberg le 23 septembre 2019, occupe l’imaginaire de nombre de fanatiques du « progressisme » et de l’écologi © Jason DeCrow/AP/SIPA

Benoît Hamon se réveilla en sursaut, déclara: « C’est elle, le génie européen », puis retourna dans les catacombes politiques où il demeurait depuis sa déroute aux élections présidentielles. Les colères apocalyptiques de Greta Thunberg sont écoutées comme des oracles par une partie de la jeunesse et les représentants politiques adeptes d’un écologisme sectaire et prêt à tout pour détruire notre industrie, notre agriculture, notre indépendance énergétique, nos paysages et notre identité. La propagande continue de battre son plein, à l’école et dans les médias, et vise principalement la partie de la population la plus perméable à ce type d’idéologies, la jeunesse petite-bourgeoise attirée par les idées simplistes mais mortifères du gauchisme écolo-wokiste.

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La jeune Scandinave qui ânonnait des diatribes apprises par cœur a maintenant vingt ans. C’est jeune, biologiquement parlant, mais déjà presque obsolète pour des médias en quête de phénomènes de cirque à peine sortis de l’enfance ou des jupes de leur mère. Un de ceux-là, âgé de quinze ans, est apparu tout récemment sur nos écrans. Élève de seconde au lycée Buffon à Paris, représentant du syndicat La Voix lycéenne, le juvénile Manès Nadel rabâche métronomiquement les discours des Insoumis et des Verts, ses références. « Ce sont les mouvements révolutionnaires à tendance tyrannique qui croient que pour mettre en place de nouvelles conditions il faut commencer par les enfants », écrit Hannah Arendt (1). Les mouvements radicaux cherchent à embrigader une jeunesse d’autant plus manipulable que les adultes, apeurés ou eux-mêmes idéologisés, ne savent ou ne veulent plus faire montre du minimum d’autorité nécessaire pour remettre simplement à sa place la marmaille. Des parents et des professeurs courbent l’échine devant de très jeunes gens vindicatifs et colériques que de plus malins qu’eux manipulent sans vergogne dans le but de détruire « ce monde qui a pourtant besoin d’une protection qui l’empêche d’être dévasté par la vague des nouveaux venus qui déferle sur lui à chaque nouvelle génération (1) ». Manès Nadel et ses congénères, adolescents bercés d’utopies révolutionnaires, sont à la fois des marionnettes manipulées par des politiciens affranchis et des tyranneaux. L’écologisme et le gauchisme, ces deux plaies du monde, semblent s’être donné rendez-vous dans le corps chétif de cet adolescent qui admoneste le gouvernement en répétant, tel un singe savant, les tours de langage de ses aînés politiques ou syndicalistes. Les médias s’extasient devant ce perroquet jacassant et commentent le plus sérieusement du monde un bredouillis remâché et encore plus ridicule lorsqu’il sort de la bouche d’un enfant. Un journaliste plus que cinquantenaire parle avec lui d’égal à égal, comme si rien ne les séparait, surtout pas les nombreuses années qui font la différence entre un blanc-bec et un homme expérimenté. Dans L’ingratitude, Alain Finkielkraut rappelait l’effroi de Henry James, de retour en Amérique après vingt ans d’absence, devant les enfants de Boston qu’il qualifie de « petit démocrates endiablés par la démocratie » – non pas la démocratie en tant que régime politique mais en tant que forme sociale où l’égalitarisme est arrivé à son point le plus haut et, ce faisant, a englouti toutes les notions de hiérarchie, d’écart, de différence entre les individus, en particulier de différence d’âge. Dans une nouvelle de James, notait encore Alain Finkielkraut, un personnage, Miss Sturdy, s’insurge contre la glorification de cette jeunesse dans la société américaine égalitariste : « Les gens parlent de la jeunesse, la considèrent, la respectent, s’inclinent devant elle. Elle est partout, et partout où elle est, c’est la fin de tout le reste. […] En tant que femme de cinquante ans, je proteste. Je tiens à être jugée par mes pairs. C’est trop tard […] la maturité sera manifestement de plus en plus dévalorisée. » Dans une France atteinte aujourd’hui du même mal égalitariste et ultra-démocratique, un adolescent à peine sorti de l’enfance peut avoir le sentiment d’être totalement autonome et se croire arrivé – sentiment renforcé par l’agrément d’adultes soucieux de ne pas passer pour des monstres autoritaires ou, pire encore à leurs yeux, anti-démocratiques. Manès Nadel, petit démocrate endiablé par la démocratie, n’est entravé par aucune autorité – en hyper-démocratie, « autorité » est devenu un gros mot, on l’évite, au même titre que « hiérarchie », « transmission » ou « héritage ». En revanche, le mot « égalité » est sur toutes les lèvres, y compris et surtout celles des marmots.

#balancelesadultes

La lecture du dernier roman d’Alexis Legayet, Ainsi parlait Célestine (2), permet d’appréhender ce phénomène sur un mode littéraire. Célestine a treize ans. Elle est écologiste et végétarienne. Pour « sauver la planète », elle a renoncé à la douche et trie les détritus domestiques dans sept poubelles de différentes couleurs ; son père peine à ne pas déroger aux règles qu’elle impose, en particulier l’interdiction de fumer, de boire de l’alcool ou de manger de la viande. Prête à tout pour culpabiliser et changer ce « vieux monde », Célestine installe un spyware (logiciel espion) sur le portable de son géniteur et s’aperçoit avec horreur qu’il visite des sites pornographiques. Après avoir créé avec sa copine Lucette le #balancetonpère, elle diffuse un premier message en guise de manifeste: « Nos pères sont des irresponsables. La planète brûle et ils boivent, fument, baisent, regardent le football et roulent en 4×4. Le mien s’appelle Francis Durand. Il mélange les poubelles, fume en cachette, mange du saucisson, refuse le train et le covoiturage et mate des films pornos en cachette ! » Le succès est au rendez-vous, le nombre de Gardes Verts augmente de jour en jour, avec des conséquences catastrophiques pour les « vieux mâles dominants » dénoncés par leur progéniture. Plusieurs hashtags voient le jour et complètent la panoplie totalitaire : #balancelesadultes, #balancelesvoisins, puis, finalement c’est plus simple, #balancetoutlemonde. Tandis que les adultes sont rééduqués grâce à des stages sur mesure, Célestine et ses acolytes lancent les Brigades de la Planète, occupent les collèges, séquestrent les professeurs qui veulent leur imposer la lecture de cette vieillerie qu’est Le Rouge et le Noir, affolent le gouvernement qui se refuse à les « maltraiter », réclament finalement l’extension du droit de vote aux enfants à partir de onze ans et la possibilité d’être élu maire, député ou président à partir de treize ans. Je vous laisse découvrir si ces jeunes et féroces activistes parviendront à leurs fins. 

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Ce roman, très drôle, est également assez angoissant : les sermons et les agissements extrêmes des jeunes protagonistes, la torpeur des adultes infantilisés, la défaillance de l’État, la léthargie de la société hébétée, ne sont déjà presque plus des caricatures. Jean-Luc Mélenchon proposait, s’il était élu, d’abaisser l’âge du droit de vote à seize ans. Des individus à peine pubères sont interviewés sur la réforme des retraites comme s’ils avaient derrière eux une longue pratique du travail et une immense expérience de la vie. Le journal moribond L’Humanité encense bien entendu le « jeune prodige », Manès Nadel, et, lors d’un micro-trottoir, n’hésite pas à interviewer Maya, élève en CM2 qui, doctement, donne son avis sur la politique du gouvernement. On voit par là que le roman d’Alexis Legayet n’est pas un roman d’anticipation, mais une prophétie dystopique en train de s’accomplir – et que ce monde déglingué continue de sombrer dans l’abîme. Inévitablement, nous pensons une fois de plus à Jaime Semprun: « Quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : “Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?”, il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : “À quels enfants allons-nous laisser le monde ?” (3) » Les médias et l’Éducation nationale formatant nos très jeunes hyper-démocrates enivrés d’hyper-démocratie, les adultes refusant d’endosser leur rôle – qui est de protéger les enfants vis-à-vis de la société mais aussi de protéger le monde vis-à-vis des enfants – il y aura évidemment de plus en plus de Manès et de Célestine et, évidemment, le monde n’en sortira pas indemne.


(1) Hannah Arendt, « La crise de l’éducation » dans La crise de la culture, Folio essais.

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(2) Alexis Legayet, Ainsi parlait Célestine, Éditions Territoires Témoins.

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(3) Jaime Semprun, L’abîme se repeuple, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances.

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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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