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Va-t-on confier la mort aux bureaucrates?

Le regard libre d’Elisabeth Lévy


Va-t-on confier la mort aux bureaucrates?
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Le projet d’aide à mourir suscite beaucoup de réactions. Quelle est celle d’Elisabeth Lévy ?


Alors qu’après la constitutionnalisation de l’IVG, certains parlent déjà de revoir la clause de conscience des médecins, un autre débat sociétal s’ouvre : la fin de vie.
Deux remarques préalables :

  • Je ne méconnais pas les souffrances qui accompagnent souvent la fin de vie et la nécessité de les apaiser ;
  • J’estime que ce sujet est trop délicat pour les certitudes, et surtout pour le militantisme.  

Cependant, ce projet gouvernemental français demeure troublant, même si on a proscrit le terme « mourir dans la dignité », une expression affreuse selon moi, qui condamnait à l’indignité ceux qui ne veulent pas mourir – « aide à mourir », c’est tout de même mieux.
Une précision: contrairement à ce qui a pu être entendu, le projet ne proscrit pas le suicide assisté. Ce dernier demeure ouvert à ceux qui ne peuvent pas s’administrer le produit eux-mêmes.
Avant d’aborder ce qui se passe en France, évoquons les expériences étrangères. On observe qu’on commence toujours par des lois très restrictives, et puis finalement, on ouvre au fur et à mesure à de plus en plus de cas… Ainsi au Canada, depuis 2016, des patients atteints de maladies incurables peuvent demander l’assistance au suicide, et désormais on discute pour l’ouvrir aux mineurs de plus de 12 ans (!) et aux malades mentaux. En outre, de nombreux cas révèlent une pression exercée sur les vieux dans ce pays, conduits à se sentir inutiles. On a aussi accordé l’euthanasie à un homme qui ne supportait pas le bruit dans une maison de retraite. Et en Belgique, on s’en souvient, on a aidé une adolescente à mourir. Tout cela n’est pas très encourageant.

Cependant, sous prétexte qu’il y a des excès, ne faut-il rien faire ?

Mais on ne fait pas rien !
Primo, il faut mettre le paquet sur les soins palliatifs, deuxio la loi Claeys-Leonetti règle déjà énormément de cas, tertio – pardon de le rappeler – aucune loi n’interdit le suicide. Enfin, une forme d’euthanasie ou d’aide au départ, cela se pratique déjà, au cas par cas, dans le secret des médecins, des familles et des soignants.
Certes, c’est injuste pour ceux qui n’ont ni famille ni médecin, ni le courage ou la capacité de se suicider. Oui. La vie est injuste, la mort aussi.
Il y a dans tous ces projets un hubris prométhéen, une naïveté progressiste dans la croyance qu’on peut inverser au bout du chemin tout ce qui a déraillé avant. Il sera toujours plus facile de mourir aimé et entouré que seul. Va-t-on faire une loi contre la solitude ?

Une de « Charlie Hebdo », actuellement en vente.

La dernière chose qu’on doit encadrer c’est la mort

Vous me direz que, puisque ça se pratique dans le secret des hôpitaux il faut bien un cadre. Eh bien non ! La dernière chose qu’on doit encadrer, c’est la mort. Peut-être que mon prochain ou mes proches peuvent m’aider à mourir. Mais, s’il vous plait, pas l’État.
Si l’État peut me garantir une mort douce, pourquoi ne devrait-il pas aussi assurer mon bonheur ? Bien mourir ou être heureux ne sont pas des droits constitutionnels. On ne peut pas rendre la mort cool, ni la faire entrer dans des protocoles. C’est notre dernière manifestation de souveraineté et de liberté. On ne peut pas la confier aux bureaucrates.


Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio

Retrouvez notre directrice de la rédaction du lundi au jeudi dans la matinale de Patrick Roger.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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