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Ahmadinejad joue et gagne


Ahmadinejad joue et gagne

Il est dangereux de prévoir le prévisible : le président iranien Mahmoud Ahmadinejad l’a démontré lundi dernier à Genève, lors de la Conférence de l’Onu sur le racisme. Le monde entier s’est ému d’une phrase qui n’avait pas été prononcée. En effet, la version anglaise du discours distribuée par les diplomates iraniens comportait deux mots remettant en cause la réalité de l’Holocauste (« Les Alliés ont créé l’Etat d’Israël après la Seconde Guerre mondiale sous le prétexte des souffrances des juifs et de la question ambiguë et douteuse de l’Holocauste »), mots que le président iranien n’a finalement pas prononcés.

Selon les règles du jeu habituelles de l’Onu, lorsque l’orateur s’exprime à la tribune dans une langue non officielle – comme en l’occurrence le farsi –, c’est le texte distribué par la mission diplomatique qui fait foi. Or, c’est ce texte anglais, diffusé par les Iraniens à l’avance – comme il est d’usage dans ces cas-là – qui est parvenu aux chancelleries occidentales et qui a motivé la décision de quitter la salle pendant le discours d’Ahmadinejad et sa mise en scène spectaculaire. À en juger par les réactions, le piège a été efficace. Ainsi l’ambassadeur britannique Peter Goderham a-t-il déclaré que « de tels propos antisémites ne devraient pas avoir leur place dans une conférence consacrée à la lutte contre le racisme », faisant clairement référence à la version anglaise et non pas au discours effectivement prononcé.

Le président iranien a donc savamment tendu une embuscade aux diplomates européens : alors qu’on attendait d’éventuels propos négationnistes, il s’est « borné », en fin de compte, à qualifier le gouvernement israélien de « régime raciste » – presque un lieu commun dans une enceinte de l’Onu et dans pas mal de médias. Manœuvre habile donc, car si la négation de la Shoah est très largement considérée comme une affirmation délirante, l’équation « sionisme = racisme » bénéficie d’une audience à la fois plus large et plus respectable. Par conséquent, certaines délégations, comme celle du Vatican, ont décidé de rester dans la salle et d’écouter le discours d’Ahmadinejad dans son intégralité. Interrogé par un journaliste, le représentant du Saint-Siège l’a d’ailleurs dit clairement : s’il est resté dans la salle, c’est justement parce que le président iranien n’a finalement pas tenu les propos négationnistes annoncés. Jeremy Paxton, le célèbre grand reporter de la BBC, ne pensait pas autre chose quand il a qualifié le « walkout » orchestré par la France de coup d’épate, arguant que les gens ont le droit de critiquer le sionisme.

Pour expliquer l’écart entre les deux versions, on peut, me semble-t-il, écarter d’emblée un soudain revirement d’opinion du président iranien qui l’aurait enfin convaincu de la réalité de l’Holocauste. Aurait-il cédé aux amicales pressions de Ban Ki-moon, Secrétaire général des Nations unies, ou de quelqu’un d’autre, ou bien s’agit-il d’un calcul ? Dans les deux cas, le résultat est le même : face à l’électorat iranien (appelé aux urnes dans quelques semaines) et à l’opinion publique mondiale, Ahmadinejad a poussé les Européens et notamment la France, à manifester leur solidarité avec Israël et non pas avec les victimes de la Shoah. Autrement dit, il a préféré orienter son discours vers l’antisionisme plutôt que risquer de créer l’unanimité contre lui en sombrant dans l’antisémitisme et le négationnisme. L’exploit d’Ahmadinejad est à saluer : au lieu de se laisser coincer, le jour de l’anniversaire d’Adolf Hitler, dans la position intenable d’un Faurisson à turban, il aura réussi à faire accroire à des millions de gens sur terre, grâce aux raccourcis inévitables des comptes-rendus médiatiques, que la France soutient publiquement Netanyahou et Lieberman.

C’est à ce coup de théâtre que se résume finalement la conférence de Genève ; Durban II ne laissera pas d’autre souvenir que le discours d’Ahmadinejad et le départ de l’ambassadeur de France – faux-départ d’ailleurs puisque la France ne s’est pas retirée de la Conférence. Ni les textes adoptés dont on salue « la relative modération » ni les rencontres en coulisses ne sont d’aucune importance. De nouveau il a été démontré que l’ONU n’est rien d’autre qu’une scène où chacun récite son couplet. Le président iranien l’a parfaitement intégré et, à l’instar de ceux qui avaient détourné Durban I en 2001, il a su l’utiliser pour faire sa com’. Pour les gouvernements qui pensaient être plus malins que lui, Ahmadinejad a préparé une petite surprise.

Voilà, en tout cas, qui démontre bien la faiblesse de la stratégie française dans ce dossier. La France avait décidé au dernier moment de participer à la conférence pour se démarquer des Etats-Unis, se montrer à l’écoute du tiers-monde et, cerise sur le gâteau, battre Ahmadinejad à son propre jeu. Pour logique qu’il soit, ce raisonnement passait à côté de l’essentiel, l’efficacité médiatique de ces héros du tiers-monde que sont Ahmadinejad et Chavez, dignes successeurs dans ce domaine du colonel Kadhafi.

La France aurait mieux fait de ne pas aller à ce casse-pipe diplomatique annoncé, quitte à laisser Ségolène Royal s’excuser plus tard devant les damnés de la terre.

Mai 2009 · N°11

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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