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Comment externaliser les pesticides chez les pauvres

Le scandale derrière la pyréthrine, traitement préféré de l'agriculture bio


Comment externaliser les pesticides chez les pauvres
Culture de pyrèthre, un insecticide botanique produit à partir de chrysanthème à Musanze, Rwanda, 24 octobre 2013. (©) STEPHANIE AGLIETTI / AFP

Interdire les phytosanitaires de synthèse et préférer des traitements bio ? Magnifique, à ceci près que le plus courant d’entre eux, la pyréthrine, est issue d’une fleur cultivée en Tanzanie ou en Papouasie-Nouvelle-Guinée, à grand renfort de pesticides conventionnels !


Les pyréthrines sont des insecticides produits à partir de pyrèthres de Dalmatie et de chrysanthèmes. On les retrouve dans des dizaines de préparations homologuées en agriculture biologique. Sauf que les fleurs en question doivent être cultivées quelque part, en l’espèce au Rwanda, en Tanzanie (60 % de la production mondiale), en Papouasie-Nouvelle-Guinée et au Kenya. Selon une étude kenyane, il faut 52 000 plants pour obtenir 25 kg de poudre. Le pyrèthre, sans surprise, est attaqué par des ravageurs comme les champignons. En 2010 déjà, des chercheurs allemands avaient relevé le paradoxe. Le Kenya produit des fleurs séchées de pyrèthre, mais « 95 % de la pyréthrine brute est exportée vers des pays développés plus soucieux de l’environnement, où elle est vendue à prix premium, laissant le Kenya importer des pesticides de synthèse meilleur marché [tooltips content= » I. Macharia, D. Mithöfer, et H. Waibel, « Potential Environmental Impacts of Pesticides Use in the Vegetable Sub-Sector in Kenya », worldagroforestry, 2009. »](1)[/tooltips] ». Autrement dit, le « poison » synthétique ne disparaît pas. Il migre de nos campagnes vers les hauts-plateaux d’Afrique ou d’Océanie.

A lire aussi: Santé publique: on nous empoisonne ! ou pas…

Une autre étude conduite par des chercheurs australiens et américains [tooltips content= »Sarah J. Pethybridge (dir.), « Diseases of Pyrethrum in Tasmania : Challenges and Prospects for Management », in Plant Disease, sept. 2008. « ](2)[/tooltips] s’est penchée sur « les fongicides efficaces » dans la culture du pyrèthre. Leurs dénominations sentent bon la panoplie du petit chimiste : éthylène-bis-dithiocarbamates, captane, bénomyl, difénoconazole… Ce dernier produit possède à peu près toutes les caractéristiques proscrites par l’agriculture bio : toxique pour les mammifères et pour les milieux aquatiques et persistant ! Quant au captane, il est interdit en Europe depuis 2009 ! Les chercheurs ne précisent pas quelle quantité de pesticides conventionnels est nécessaire pour produire un kilo de pesticide bio, mais ils écrivent que « plusieurs traitements » sont nécessaires pendant la croissance des plantes. Espérons qu’il ne faut pas un kilo de pesticide conventionnel pour produire un kilo de pyréthrine…

Cette réalité est systématiquement passée sous silence par les défenseurs de l’agriculture biologique, alors qu’ils revendiquent une réflexion globale sur les liens entre l’agriculture et la nature. La réflexion doit-elle s’arrêter aux frontières ? En termes de biodiversité, il est fort probable que les campagnes d’Afrique de l’Est sont au moins aussi importantes que les plaines de la Beauce. Mais comment se passer de pyrèthre ? C’est une des meilleures armes de la panoplie des phytosanitaires bio, singulièrement moins large que celle des produits de synthèse…

Un monde sans pesticides, vraiment ?

Soutenir que la France ne fait rien pour limiter l’usage des phytosanitaires est une mauvaise
plaisanterie. On trouve au contraire plusieurs exemples de situations très difficiles créées par
le renoncement à l’arsenal chimique.

Les palmiers de la Côte d’Azur condamnés
Si vous êtes passés par Nice cet été, vous avez peut-être aperçu des palmiers mourants
soutenus par des étais, quand ils n’étaient pas déjà morts. Ils sont attaqués par un coléoptère
originaire d’Asie du Sud-Est, le charançon rouge. Signalé pour la première fois en 2006, il a
déjà tué la moitié des palmiers de la Côte d’Azur, dont il ronge le cœur. Pour s’en débarrasser,
il faudrait traiter les arbres en profondeur, par injection. Le produit le plus radical et le moins
cher est l’imidaclopride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes. Son emploi a été
interdit par un arrêté du 9 août 2018, les néonicotinoïdes étant dangereux pour la biodiversité.
Les moyens de bio-contrôle disponibles contre le charançon montrant une efficacité assez
limitée, il faut s’attendre à une raréfaction drastique des palmiers dans le Sud d’ici quelques
années. Libre à chacun de considérer que la nature reprend ses droits, le palmier étant
relativement récent dans la région (XIX e siècle). On ne peut en dire autant de l’olivier. Or, il est
lui aussi menacé.
Péril mortel sur les oliviers
Début septembre 2019, la bactérie Xixella fastidiosa a été repérée pour la première fois sur
deux oliviers en France, à Menton. C’est une terrible nouvelle. Cette bactérie d’origine
américaine, identifiée en Europe en 2013, s’attaque à près de 400 espèces, qu’elle tue. La
parade la plus efficace est brutale. Elle consiste à raser les arbres atteints et à traiter les arbres

Les buis des châteaux de la Loire en sursis
Depuis bientôt une dizaine d’années, les milliers de kilomètres de haies en buis des châteaux de la Loire ou de Versailles sont menacés par la pyrale (un papillon asiatique) et par le Cylindrocladium (un champignon). Leur disparition totale est à craindre. En théorie, en vertu de la loi Labbé, les traitements de synthèse sont exclus. Concernant la pyrale, il existe des pièges et des traitements bio, d’une efficacité relative. Contre le champignon, il n’y a rien. À tel point que le gouvernement a laissé passer en 2017 un amendement autorisant des spécialités bien chimiques telles que le kresoxim-méthyl ou le tétraconazole, afin de sauver les buis. L’amendement a été déposé par le sénateur Louis-Jean de Nicolaÿ, dont la famille est propriétaire du château du Lude, dans la Sarthe.

Le temps des cerises, mais d’importation
En février 2016, le ministère de l’Agriculture a interdit l’emploi d’un insecticide nommé le diméthoate, suspecté d’être nocif pour les abeilles. C’était hélas le produit le plus efficace contre une mouche ravageuse des cerisiers, Drosophila suzukii. Les producteurs français ont subi de lourdes pertes. Les distributeurs, quant à eux, se sont tournés vers d’autres pays, où le diméthoate reste autorisé, en particulier la Turquie ! Le gouvernement a finalement été obligé de prendre des arrêtés pour interdire l’importation de cerises traitées avec cette substance. La production française est néanmoins en baisse de 7 % depuis 2016.

Octobre 2019 - Causeur #72

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste

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