Le débat sur les limitations à apporter à l’emploi des phytosanitaires passe souvent par pertes et profits quelques questions élémentaires. En voici cinq, aux réponses souvent inattendues.
Les agriculteurs sont-ils en moins bonne santé que la moyenne de la population ?
Admettons que les phytosanitaires soient vraiment un cauchemar sanitaire. Les agriculteurs et leurs familles étant en première ligne, ils devraient être particulièrement exposés à de multiples maladies. Ce n’est pas du tout le cas. À âge égal, les paysans sont en bien meilleure santé que la moyenne de la population. L’indicateur en la matière, l’étude Agrican, est très fiable. Lancée en 2005 par la Mutualité sociale agricole, elle repose sur l’observation de 180 000 agriculteurs ou conjoints d’agriculteur. Ils apparaissent beaucoup moins touchés par les cancers, en particulier les plus mortels. Moins 50 % pour les tumeurs des voies respiratoires, moins 17 % pour les cancers de l’estomac, moins 39 % pour les cancers de la vessie, etc. Pour quelques types de tumeurs seulement, les chercheurs ont relevé un excès par rapport à la moyenne de la population (myélome et mélanome, plus 25 %).
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Les phytosanitaires restant en tout état de cause des produits toxiques, il faut envisager l’hypothèse la plus stupéfiante : les paysans sont intelligents – autant que des journalistes ou des défenseurs de l’environnement. Ils prennent les précautions requises pour eux et leurs proches quand ils traitent leurs cultures. L’étude Agrican, du reste, a seulement confirmé les résultats de l’enquête Agricultural Health Study (AHS), lancée aux États-Unis en 1993, et qui portait sur 90 000 personnes. Des enquêtes aussi longues et portant sur autant de cas pèsent d’un poids considérable en science. Il est un peu facile de les évacuer sous prétexte qu’une équipe de chercheurs a trouvé une fragile corrélation entre les pesticides et l’autisme dans une vallée de Californie (étude publiée en mars 2019 dans le British Medical Journal, reprise par toute la presse).
Avons-nous vraiment tous du glyphosate dans nos urines ?
Probablement, mais à dose très faible, et sans certitude sur sa provenance. Initiée par l’association Campagne glyphosate, le mouvement des Pisseurs involontaires de glyphosate (PIG) a réussi un très joli coup médiatique, en proposant à tout citoyen de faire analyser ses urines par un laboratoire en Allemagne (moyennant 80 euros, tout de même). « 100 % des analyses ont été positives », assure le site de l’association. À Langouët, la commune de Daniel Cueff, les taux relevés dans les urines des volontaires le 4 mai 2019 étaient en moyenne de 1,44 microgramme par litre (µg/l). « Empoisonnement général », a conclu Campagne glyphosate, qui souligne que la norme pour l’eau potable est de 0,1 µg/l. 144 fois la norme dans les urines ! À ceci près que ce seuil, qui existe dans la réglementation, correspond à une simple « non-conformité ». Ce n’est pas du tout un seuil de danger, à peine celui où un captage est placé sous vigilance.
Concernant le glyphosate, le seuil au-dessus duquel l’eau ne serait plus potable est fixé par les autorités européennes à 900 µg/l, soit 625 fois le niveau moyen trouvé dans les urines à Langouët… On est très loin de l’empoisonnement général. Les microgrammes sont des millionièmes de grammes. Ces infimes traces de glyphosate dans les urines disparaîtraient-elles si la France bannissait totalement le produit ? Oui, sauf s’ils proviennent d’aliments importés…
La finesse des moyens actuels d’analyse est anxiogène. Pour dater les grands crus anciens, les experts traquent le césium 137, une substance inexistante à l’état naturel, issue d’une explosion nucléaire atmosphérique. Une bouteille de Pétrus qui en contient un taux record est probablement de 1961, grande année d’essais russes. Ceux qui renonceraient à la boire par peur de la radioactivité peuvent la faire parvenir à la rédaction de Causeur, à nos frais.
Si on instaurait une bande de 150 m sans traitement autour des constructions, que deviendraient les terrains ainsi gelés ?
La question peut sembler anecdotique. Elle ne l’est pas du tout. Par définition, ces bandes seraient inconstructibles, sauf à déplacer le problème. Le développement des villages et des hameaux se heurterait à une très forte opposition des agriculteurs. Des millions d’hectares perdraient quasiment toute valeur. Insensé. Les quelque 50 maires qui ont pris des arrêtés antipesticides (calqués sur celui de Langouët) prennent d’ailleurs soin d’accorder une dérogation au bio. Si leur objectif est d’accélérer la transition vers l’agriculture biologique, pourquoi ne pas annoncer la couleur ? Peut-être pour ne pas regarder en face la réalité en face : le bio est une méthode d’agriculture exigeante, passionnante, mais elle suppose d’augmenter les prix des aliments, sans supprimer les traitements.
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Peut-on réellement se passer de traitements en agriculture ?
Une année, sur une parcelle, oui. À grande échelle, personne n’y est jamais parvenu. D’où l’exception, déjà évoquée, accordée aux préparations homologuées en agriculture biologique (AB). On dénombre plus de 200 de ces phytos AB et les agriculteurs bio les emploient intensivement. En dépit du discours sur les « parcelles à l’équilibre » et l’« autorégulation de la nature », le bio est gourmand en traitement. En 2017, sur 68 000 tonnes de produits phytosanitaires vendus en France, 27 % étaient homologués AB, alors que le bio occupe seulement 6 % des surfaces cultivées.
Autrement dit, la progression régulière de l’agriculture bio fait grimper les tonnages de phytosanitaires consommés ! Bien entendu, le bio emploie de la paraffine, des huiles essentielles ou du soufre, infiniment moins toxiques, à poids égal, que les produits artificiels. Cela ne veut pas dire que les phytosanitaires AB sont sans danger. Le spinosad est toxique pour les milieux aquatiques, l’huile de neem (ou azadirachtine) est un perturbateur endocrinien avéré. Sans parler de la roténone, insecticide bio retiré du marché en 2011 quand les chercheurs se sont aperçus qu’il favorisait la maladie de Parkinson. Les précautions d’usage (distance à respecter, tenue de protection, etc.) sont identiques pour les phytosanitaires de synthèse et pour les phytosanitaires AB. Ces derniers, du reste, sont souvent des produits dits d’« hémisynthèse », c’est-à-dire des molécules naturelles, multipliées et raffinées dans des cuves parfaitement industrielles. Quand ce ne sont pas des extraits de plantes elles-mêmes traitées avec des phytosanitaires conventionnels !
L’éventuelle interdiction des phytosanitaires de synthèse sonnerait-elle le glas de l’agro-industrie et le retour à une agriculture à taille humaine ?
Rien n’est moins sûr. Nombre de défenseurs de l’environnement se veulent aussi anticapitalistes et visent implicitement la fin de l’agro-industrie. Ils s’exposent à une sévère désillusion. L’interdiction des phytosanitaires de synthèse ne mène pas nécessairement à l’agriculture bio. Il y a aussi la culture sous serre, hypersophistiquée, sans pesticides et sans terre. Les légumes plongent leurs racines dans un substrat riche en nutriments. C’est ainsi que sont cultivées les tomates Savéol (qui ne manquent d’ailleurs pas de saveur). Le bio, du reste, est parfaitement compatible avec le grand capital et les exploitations géantes. Les industriels de la protection des plantes comme Bayer ou Syngenta l’ont bien compris. Ils ont tous en catalogue une gamme bio et biocontrôle (pièges à phéromones, coccinelles mangeuses de pucerons, etc.). Elle rapporte sans doute plus, à volume constant, que le glyphosate. Tombé dans le domaine public en 2000, l’herbicide honni est vendu à prix cassé par des dizaines de fournisseurs, les Chinois dominant le marché mondial.
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