Les arrêtés municipaux instaurant une distance de 150 mètres entre habitations et zones d’épandage des pesticides n’ont aucun fondement scientifique. Si cette campagne de diabolisation fait les affaires du bio, ce dernier ne saurait remplacer l’agriculture conventionnelle.
Le gouvernement a ouvert le 9 septembre une consultation sur les distances minimales à respecter entre les habitations et les zones d’épandage de produits phytosanitaires (communément appelés pesticides). La décision fait suite à une série d’arrêtés municipaux, instaurant des zones tampons sans traitement de 150 m. Le mouvement a été lancé par un maire breton, Daniel Cueff. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce dernier n’est pas prophète en son pays.
« Daniel Cueff voulait faire un coup de communication. Il a réussi. Le reste, il s’en moque. » L’homme qui s’exprime ainsi n’est pas le porte-parole du lobby agroalimentaire breton, mais Olivier Allain, vice-président LREM chargé de l’agriculture au Conseil régional de Bretagne, coordinateur des états généraux de l’alimentation, par ailleurs producteur d’œufs bio et éleveur de vaches allaitantes à Corlay, dans les Côtes-d’Armor. Dire qu’il juge sévèrement le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine, 600 habitants) serait une litote. Pris en mai 2019, l’arrêté de ce dernier a été suspendu en référé par le tribunal administratif, sur saisine du préfet. Motif, un maire n’est pas compétent pour réglementer les pratiques agricoles. Le jugement sur le fond sera rendu le 14 octobre. À cette date, Daniel Cueff aura sans doute été imité par 60 ou 70 élus français (ils étaient déjà 50 fin septembre) décidés à protéger leurs administrés du péril phytosanitaire. Quel péril exactement ? Difficile à dire. Lancée par des militants écologistes, la campagne des Pisseurs involontaires de glyphosate (PIG) a montré que nous avions tous ou presque des résidus de cet herbicide dans notre organisme. Ce que les militants disent moins, c’est que les taux de présence de ces traces sont extrêmement faibles, bien en dessous du seuil auquel une toxicité a été identifiée pour le glyphosate.
Pas des produits anodins mais…
« Les phytosanitaires sont-ils dangereux ? Oui, évidemment, reconnaît Jean-Alain Divanach, président de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles du Finistère (FDSEA 29). Ce ne sont pas des produits anodins, mais les agriculteurs les emploient avec précaution. Avec la quantité d’insecticide qu’on trouve dans un collier antipuce pour animal domestique, je traite un hectare de terrain ! Le maire de Langouët devrait prendre un arrêté contre ces colliers, s’il veut protéger ses administrés des substances nocives. Ou interdire de fumer à moins de 150 m des écoles… »
Seulement, la protection de ses administrés est-elle vraiment le sujet ? Daniel Cueff (qui n’a pas trouvé le temps de nous répondre) sait parfaitement qu’interdire les traitements à moins de 150 m d’une maison ou d’un local d’activité revient à paralyser la moitié au moins des exploitations bretonnes. Le ministère de l’Agriculture parle d’un impact sur 20 % de la surface agricole utile. Dans les zones d’habitat dispersé telles que la Bretagne, ce serait bien davantage. « Le littoral entier serait incultivable, il y a des maisons partout », relève Ard Kaandorp. Néerlandais, il produit des bulbes de fleurs à Plomeur, dans le sud-Finistère. L’entreprise a été créée par son père en 1981. Avec deux concurrents locaux, ils couvrent le secteur d’immenses champs de jacinthes et de tulipes, au début de chaque printemps. « Si jamais on imposait une bande de 150 m, je ne vois vraiment pas où nous pourrions aller. » Aucun pays au monde n’a jamais adopté une telle mesure. Le consensus scientifique est à peu près reflété dans la position de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) qui préconise une distance de sécurité de 3 à 10 m, selon les cultures.
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L’association Eau et rivières de Bretagne a été plus franche que le maire de Langouët, dont elle soutient l’initiative. Elle réclame la fin totale des phytosanitaires d’ici cinq ans, avec une dérogation pour les préparations homologuées en agriculture biologique. Cette dérogation, cruciale, figure déjà dans l’arrêté de Daniel Cueff. La campagne PIG et les zones tampons larges comme des pistes d’aéroports prétendent protéger les citoyens d’un danger très hypothétique. Mais ne viseraient-elles pas plutôt à hâter la transition vers l’agriculture biologique ?
Le bio diabolise l’agriculture conventionnelle
« Les évolutions actuelles sont contrariantes pour les associations de défense de l’environnement et pour le bio, reprend Jean-Alain Divanach. Les agriculteurs ont tiré les leçons de leurs excès. Le recours à la chimie diminue. Les tonnages d’algues vertes ramassés chaque année sur les plages sont en baisse [tooltips content= »Les algues vertes touchaient exactement 345 ha de baies en 2018 contre 745 ha en 2007, sur 2700 km de côtes. Les tonnages ramassés, qui varient beaucoup d’une année à l’autre en fonction des conditions météo, sont plutôt orientés à la baisse. »](1)[/tooltips]. L’écart qualitatif entre le conventionnel et le bio se réduit. Savéol fait déjà des tomates sans pesticides, non homologuées bio parce qu’elles poussent sous serre. Pour défendre la spécificité du bio et justifier le surcoût, il faut diaboliser l’agriculture conventionnelle. »
Cette tactique est peut-être en train d’atteindre ses limites. Approuvée par 96 % des Français, selon un sondage IFOP pour l’association Agir pour l’environnement, la bande des 150 m sans pesticides ne convainc guère les professionnels. « Ce serait lancer la guerre pour rien, prévient Laurent Blouët, producteur d’œufs à Spézet (Finistère). Je suis en bio, mon voisin ne l’est pas. Il devrait geler une partie de ses terrains à cause de moi ? Je vais me retrouver dans une situation compliquée, c’est mon frère aîné ! Il faudrait revenir au bon sens et nous laisser travailler. Il y a de la place pour tout le monde, bio et conventionnel. »
C’est également le point de vue d’Olivier Allain, le vice-président du Conseil régional : « Les 150 m, c’est n’importe quoi, renchérit-il. Pourquoi pas 100 m ou 300, on ne sait pas. Si c’est une manière indirecte d’interdire les pesticides de synthèse, un peu de lucidité, nous sommes en économie de marché ! Il y aurait une bascule massive vers le bio et les prix s’effondreraient. Si tant est que la bascule en question soit possible techniquement, ce qui est loin d’être acquis. » En effet, la suppression des phytosanitaires de synthèse peut avoir des conséquences effrayantes. Pour certaines cultures, il n’y a pas d’alternative. « La fleur bio représente 0,5 % du marché mondial, commente Ard Kaandorp. Je vais tester des traitements l’an prochain, mais on en est vraiment au stade expérimental. » À elle seule, la filière fleur représente 5 000 entreprises et plus de 120 000 emplois en France. Êtes-vous pour une restriction inédite de l’emploi des phytosanitaires ? Pour leur interdiction ? Pour une casse sociale terrible sans gain avéré pour la santé publique et l’environnement ? Les trois questions sont interchangeables. La consultation est ouverte.