En la traitant d’homophobe et en la caricaturant en catho bigote, ils ont essayé de la faire taire. Ils l’ont ensuite exclue de la République en marche. Certains songent à présent à pétitionner pour qu’elle ne puisse pas retrouver son travail de directrice d’école, une fois son mandat terminé. La médiatique mésentente d’Agnès Thill avec la majorité présidentielle ne s’est pas passée comme on vous l’a raconté. Dans Tu n’es pas des nôtres, son témoignage publié aujourd’hui chez l’Artilleur, la députée de l’Oise livre sa version des faits. Entretien.
Martin Pimentel. Dans votre livre, vous écrivez « je croyais notre démocratie en sécurité dans les mains d’Emmanuel Macron, je m’étais fourvoyée ». Pourquoi ?
Agnès Thill. Comment est-ce possible d’être virée pour rien ?! Peut-être que deux fois j’ai été maladroite, notamment en parlant de “lobby gay”, chose pour laquelle j’ai présenté mes excuses dès le lendemain. Mais, ne peut-on rien dire sur le sujet de la PMA ? Dans le dossier d’instruction de la commission des conflits, il y avait dix tweets, uniquement des questions ! Le dossier était vide. Il y a peut-être eu deux tweets malheureux, mais les autres étaient des questions. On me reproche de poser des questions. D’ailleurs, Raphaël Gérard me l’a bien dit : « On sait ce que tu cherches avec tes questions. Tu cherches à semer le doute ». Oui, effectivement, je cherche à semer le doute et éveiller les consciences. C’est précisément ce que réclamait le président aux Bernardins. « Vous avez cette liberté qui laisse libre et éveille les consciences ». Mais ils m’ont exclue.
Je m’étais donc complètement fourvoyée.
Je me dis que j’ai retrouvé chez LREM le PS de 1991, en pire ! Au moins en 1991 il y avait des courants (rocardiens, fabiusiens, etc.). Là il n’y a pas de courant, il y a tout le monde derrière un seul homme. Et le tout est parti de cinq ou six personnes dans une péniche. Il n’y a aucune idéologie, rien. Adrien Taquet n’a-t-il pas dit qu’il fallait qu’il y ait les initiales d’Emmanuel Macron dans le nom du parti, de manière subliminale ? Il y a un homme qui sait bien communiquer, et qui dit à tout le monde ce qu’il veut entendre et règne en maître.
Vous dénoncez une société d’ayant-droits. Vous combattez des militants qui sont toujours à la conquête infinie de droits et qui refusent d’entendre parler de leurs devoirs, ou la moindre objection. Mais, est-ce que face à ces militants des nouveaux droits, vous n’avez pas failli à votre propre devoir en contredisant une majorité qui vous avait permis d’obtenir un siège de députée ?
Dans le petit livret qu’on distribuait aux gens, jamais ce point n’était mentionné. En revanche, les réductions de fonctionnaires, oui, les 15 000 places de prison, aussi. Mais pas la PMA sans père. Donc ce qu’il y a dans le programme, on en fait abstraction quand on veut aujourd’hui. Et si c’était vraiment si clair qu’on le prétend aujourd’hui, je n’aurais pas eu le vote de toute ma communauté musulmane défavorisée, dans mon quartier à Beauvais. Même chose pour les agriculteurs de ma circonscription. Si cela avait été un argument de campagne, ils ne m’auraient pas élue. Non seulement, ce n’était pas un argument de campagne, mais aujourd’hui j’ai écrit mon livre pour faire comprendre aux gens que si on revote pour Macron en 2022, tout ce qui n’est pas encore passé passera. La PMA transgenre, post-mortem, etc adviendront par exemple.
Qu’appelez-vous PMA transgenre ?
Puisque la PMA est autorisée pour les femmes en couple, un individu qui est né homme et est devenu femme, devrait pouvoir y avoir recours. Bien sûr je pense que les journalistes qui sont acquis à la PMA éviteront de poser ces questions…
Au-delà de la presse qui est globalement plutôt favorable à ces évolutions, la classe politique, et curieusement la droite (pour qui vous appelez désormais à voter), semble indifférente à ces révolutions anthropologiques majeures. Comment expliquez-vous cela ?
À droite, ils votent contre, mais ils n’en font pas un totem. Je pense que c’est électoral. Ils ont peur qu’on les traite à leur tour de conservateurs ou d’homophobes. Et puis il y a un électorat qui se résigne, qui se dit « c’est le progrès, c’est comme ça, nous n’avons pas le choix ». Ils ne se rendent pas compte de tout ce que cela signifie. Ça veut dire qu’aujourd’hui, on marie science et biologie pour satisfaire un désir.
Je n’avais donc pas compris qu’il y avait cette question de la PMA sans père dans le programme d’Emmanuel Macron. Dans l’Oise, j’ai récemment rencontré un maire qui a tracté avec nous. Je lui ai demandé s’il se souvenait que ce point était dans le programme. Il m’a répondu que lui l’avait vu, mais que ça ne l’avait pas interpellé. Il pensait alors que la PMA – a fortiori la procréation – concernait nécessairement une femme et un homme. Il pensait que certaines femmes en étaient exclues pour des raisons diverses, et donc qu’il pensait militer pour que toutes les femmes y aient accès, et que le cas contraire aurait été injuste. Personne n’avait compris qu’il s’agissait des femmes lesbiennes et/ou seules. Ce maire pensait que c’était pour les couples hétérosexuels.
Mounir Mahjoubi a trouvé le titre de votre livre. Faut-il en déduire que c’est à cette personnalité que vous en voulez le plus ?
Non. Je n’en veux à personne. Je veux dénoncer les mensonges de mon ancien groupe. Pour que les gens ne se fassent pas avoir en 2022. Je me sens tellement libre désormais, que je n’en veux à personne. J’ai reçu des menaces, mais cela ne me fait ni chaud ni froid.
Vous vous voyez donc comme une paria ?
C’est surtout un problème de liberté d’expression. Ces gens-là se disent pour Charlie mais excluent ceux qui parlent et qui disent quelque chose qui ne va pas dans leur sens. C’est un vrai souci. Les membres de LREM me disaient que je pouvais être contre la PMA. Mais, il ne fallait pas que je le dise. Ils voulaient bien aussi que je vote contre, mais ils ne voulaient pas que je le dise. C’est bien là le drame.
Quand je suis allée à la commission des conflits, ils étaient trois, alors que les statuts disent qu’ils doivent être six. Pour statuer à six, trois n’est même pas la majorité. Il y en avait certes une quatrième en visio-conférence. Ils me disaient : « Tout de suite, dès qu’on parle du sujet, elle récidive ». Mais je ne récidive pas. Je pose des questions. À la première commission des conflits, on m’avait dit que c’était un avertissement et qu’il ne fallait pas que je recommence à blesser. Mais évidemment, tel n’était pas mon but. On ne m’a pas dit : « Maintenant, taisez-vous ! ». Il ne m’a jamais été interdit de parler. Ils ont bâillonné la liberté d’expression en m’excluant.
Si j’ai commis deux maladresses, je m’en suis excusée immédiatement. Mais à LREM, il n’y a ni pardon, ni excuses. Je suis condamnée dans le parti et dans ma vie professionnelle. C’est une mort sociale. Alors que tout le monde fait des maladresses parmi les députés de la majorité !
Est-ce que vous regrettez de vous être excusée ?
Non, si on fait du mal à quelqu’un, il faut toujours s’excuser. En revanche, eux ne reconnaissent pas qu’ils blessent ceux qui ont eu un père aimant. Je dois tout à mon père. Moi, leurs propos me blessent quand ils prétendent que ce n’est pas grave si mon père n’avait pas été là.
>>> Suite de l’entretien <<<
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