Accueil Politique Agnès Thill: « Le tribunal des réseaux sociaux n’est autre que l’inquiétant gibet d’antan! »

Agnès Thill: « Le tribunal des réseaux sociaux n’est autre que l’inquiétant gibet d’antan! »

Entretien avec la députée Agnès Thill (2/2)


Agnès Thill: « Le tribunal des réseaux sociaux n’est autre que l’inquiétant gibet d’antan! »
Agnès Thill manifeste contre la PMA à Paris, octobre 2019 © Olivier Coret/SIPA Numéro de reportage: 00927006_000022

En la traitant d’homophobe et en la caricaturant en catho bigote, ils ont essayé de la faire taire. Ils l’ont ensuite exclue de la République en marche. Certains songent à présent à pétitionner pour qu’elle ne puisse pas retrouver son travail de directrice d’école, une fois son mandat terminé. La médiatique mésentente d’Agnès Thill avec la majorité présidentielle ne s’est pas passée comme on vous l’a raconté. Dans Tu n’es pas des nôtres, son témoignage publié chez l’Artilleur, la députée de l’Oise livre sa version des faits. Suite et fin de son entretien avec Causeur.


>>> Suite d’hier <<<

Martin Pimentel. Dans le livre vous écrivez que votre mère était assez dure avec vous et votre père très aimant. Sans faire de la psychologie de bazar, est-ce que vous diriez que votre histoire personnelle peut expliquer votre engagement contre la PMA sans père? 

Agnès Thill. Cela en fait partie, sûrement, dans le sens où j’ai connu un père extraordinaire. Tout le monde n’a sûrement pas un père comme ça. J’avais un père d’une bonté extraordinaire, alors que ma mère n’était pas tellement gentille. Mon père n’a jamais élevé la voix sur moi. Cette loi fait qu’on ne donnera même pas la chance à un enfant de connaître cela. Or je ne serai pas là aujourd’hui si je n’avais pas eu la chance d’avoir un père comme le mien.

Est-ce que vos convictions religieuses personnelles peuvent aussi expliquer votre combat contre la PMA sans père ?

Pas du tout ! Les députés de la majorité m’ont mise dans la case « catho » sciemment. Mais ce n’est pas du tout cela qui m’a conduite à penser cela. Le problème, c’est qu’ils ont tellement échoué à réduire la fracture sociale qu’ils mettent à présent les gens dans des cases. Religion, race, homme, femme, orientation sexuelle… Ils créent des luttes inédites. En revanche, la religion m’a peut-être donné cette infinie liberté. Mais s’ils me disent qu’ils sont contre l’avortement, je m’en fiche: je suis pour l’avortement.

Que pensez-vous de l’amendement voté en catimini pendant l’été sur l’interruption possible d’une grossesse pour détresse psycho-sociale jusqu’à la fin de la grossesse ?

La loi de bioéthique a été votée du 27 juillet au 31 août, et cet amendement précis a été voté la nuit du 31 juillet au 1er août à 3 heures du matin. Plus personne n’en pouvait plus, tout le monde était fatigué, et l’amendement est passé. Le rapporteur a dit non, le ministre a dit « sagesse », et résultat, les députés ont voté pour. C’est scandaleux ! L’IMG il faut savoir que ça existe déjà. Elle est valable pour deux raisons: soit la grossesse met en péril grave la vie de la mère, soit l’enfant présente une pathologie si grave qu’elle est incurable. On peut faire l’IMG jusqu’au bout du fait de ces deux raisons. Mais les députés ont passé un amendement où ils ajoutent la « détresse psycho-sociale » comme péril grave. C’est quelque chose que personne ne peut définir clairement. Au 8e mois c’est un infanticide. C’est tuer l’enfant dans le ventre de sa mère.

Il y a vraiment un problème de liberté d’expression (…) Il suffit qu’il y ait trois parents pour dire « une directrice homophobe, ce n’est pas possible » et ce sera fini pour moi!

Les mêmes qui ne veulent pas qu’on aille rechercher le renardeau au fond du trou, veulent bien qu’on aille chercher l’enfant dans le ventre de sa mère à huit mois de grossesse ! Je ferai tout pour être présente sur ce dossier, ça va repartir au Sénat, heureusement. Il faut être conscient qu’en 2022, ce seront ce genre de choses qui passeront avec un deuxième mandat de Macron.

Pensez-vous qu’il faudrait revenir sur cette loi de la PMA sans père ou bien prenez-vous acte de cette évolution ? Même si on peut le déplorer, après tout, il y a eu un vote démocratique…

Je n’ai pas du tout envie de prendre acte, comme vous dites. Si on pouvait revenir dessus, ce serait avec plaisir! Je me dis aussi que rien n’est acquis. On ne sait pas, tant que ce n’est pas voté. Tout peut encore arriver. Regardez, LREM se casse la figure depuis deux jours. Qui l’aurait dit?

Selon vous, on n’aura même plus besoin d’une loi pour la GPA. Vous écrivez « la jurisprudence suffira, elle s’imposera au nom de l’égalité ». Que voulez-vous dire par là ?

Le 29 septembre 2018, le Conseil d’État a jugé qu’en matière de procréation, les situations sont différentes et qu’elles justifient donc des décisions différentes. Un couple hétérosexuel est différent d’un couple homosexuel, et donc cette différence justifie une décision différente. Quand les militants nous chantent qu’il y a une rupture d’égalité, c’est faux. C’est du mensonge.
C’est maintenant qu’il faut dire non, car si cette loi passe, il y aura effectivement discrimination et inégalité [pour les hommes seuls et les couples d’hommes NDLR].
Cette loi est prévue pour les femmes en couple et les femmes seules. N’oublions pas les femmes seules, je me suis fait lyncher parce que j’ai pris l’exemple d’une fille de 20 ans au RSA et on a tout de suite crié à la discrimination financière ! Mes réserves n’ont rien à voir avec l’orientation sexuelle, je n’ai rien du tout contre les femmes lesbiennes. Qu’elles adoptent.

Vous avez reçu des mots durs. Le député du Nord Christian Hutin vous a qualifiée de « psychorigide ». Dans l’hémicycle, la députée de Paris Anne-Christine Lang vous a traitée de « tache »…

Par la récurrence, j’ai compris que je vivais l’expérience du harcèlement. Mais cela ne m’a jamais vraiment atteinte. Je n’ai pas fait de dépression. Je n’ai rien à me reprocher, je suis libre et n’ai pas fait de bêtises. Je me dis simplement que ce sont eux qui sont bêtes et intolérants.

On a l’impression, en vous lisant, que ça passe surtout mal avec les plus jeunes d’En Marche. 

Nos décideurs actuels ont la quarantaine, ils pensent que le monde a toujours été comme ils l’ont toujours connu. Du coup, pour essayer de me faire comprendre de cette nouvelle génération qui est aux manettes, toute la première partie de mon livre, j’ai raconté mon enfance et des modes de vie pas si lointains qu’ils n’ont peut-être pas connus.
Avant 2017, je n’avais jamais entendu le mot « race » dans le débat public. Quand j’étais enfant, il n’y avait pas ces mots.
Les députés de la majorité créent des fractures entre les gens, les générations.

Généralement, les progressistes disent qu’ils font de “l’inclusion”. Ce qui est bon, et n’est bien sûr pas critiquable… Dites-vous qu’en luttant pour l’inclusion, ils créent en réalité des communautés ?

Plutôt que d’œuvrer pour l’intérêt général, oui. J’étais pour le dépassement du clivage droite-gauche, mais si c’est pour recréer un clivage progressiste-populiste, ce n’est pas un progrès, et ce n’est certainement pas rassembler.

Quand vous êtes allée vers Macron, le candidat progressiste, vous ne l’avez pas senti venir ? 

Je ne l’avais effectivement pas vu venir. En 2016, je me suis demandé pour qui j’allais voter. Je me suis penchée sur Macron, je n’ai pas compris au début que derrière sa candidataure, il s’agissait en réalité de l’ex-PS. En plus, comme Macron disait qu’il s’était émancipé de l’ancien quinquennat, je me suis dit que nous n’aurions pas un autre PS. Je ne voulais surtout pas de Hamon, à cause du revenu universel. Et là je m’aperçois que chez LREM, certains le demandent ! LREM s’adresse à tout le monde, dit à chacun ce qu’il veut entendre. Mais au lieu de rassembler, ça crée des luttes de classes. Et puis, ce qui explique les problèmes au sein de LREM, c’est qu’ils n’écoutent personne. Il y a en réalité un groupe de 20 qui commande, puis les autres sont des Playmobil.

Vous dénoncez une dictature de la pensée au sein de LREM. N’y allez-vous pas un peu fort, parce que vous êtes une femme blessée ?

Un pays qui a un groupe parlementaire majoritaire qui empêche la discussion… il y a vraiment un problème de liberté d’expression.
Je faisais exprès de poser des questions, et l’on m’a répondu que je « récidivais ». Avais-je donc interdiction de parole ? C’est grave si tel est le cas. J’ai parlé d’une anecdote dans le livre. Nous avions des réunions à huis clos, et Carole Bureau-Bonnard avait posé une question sur la PMA post-mortem. Elle avait dit qu’un enfant qui porte le prénom d’un individu défunt dans sa famille, c’est déjà dur, et du coup être né d’une PMA post-mortem pouvait poser problème. Comme je trouvais sa remarque pertinente j’avais donc tweeté cette phrase : porter le prénom d’un individu défunt dans sa famille, c’est déjà lourd, alors naître d’un mort… N’y a-t-il pas des conséquences ?
Je veillais à mettre toujours en question. Figurez-vous que cela fait partie des 10 tweets qui me sont reprochés !

Une majorité n’a-t-elle pas besoin d’une certaine discipline pour faire voter les lois, pour faire avancer le projet présidentiel ? 

On s’est fait rattraper par le système. Il y avait 400 000 Marcheurs en 2017, et je serais curieuse de savoir combien ils sont maintenant.
J’ai suivi quelqu’un qui disait « dépassons les clivages, si ce que la personne dit est intelligent, prenons, peu importe qui il est ». J’étais parfaitement d’accord, que ce soit LR, FN, LFI… J’ai récemment signé une pétition contre l’écriture inclusive, mais ça n’a pas plu. Puisque c’est LR on ne prend pas. Vous voyez bien que LREM s’est fait rattraper par le système stérile des partis.
Voter à droite est désormais la seule alternative, et pourtant ce n’était vraiment pas mon histoire. Je fais partie de cette droite populaire qu’on veut mettre dans la droite populiste. Dès qu’on peut discréditer et salir et mettre dans une case… Populiste, homophobe, catho…

Les comptes anonymes qui vous mènent la vie dure sur Twitter (Claire Underwood, Paris pas rose…), ce lobby gay, vous pensez qu’il s’agit de qui ? 

C’est tous ceux qui ont appelé à voter Hidalgo. Mais dans la bande, il y a sûrement aussi des anciens PS qui sont députés LREM comme Benjamin Griveaux, Mounir Mahjoubi, Anne-Christine Lang, etc.. Il n’y a pas qu’une seule personne derrière ces comptes, puisqu’il y a des tweets bien informés, nuit et jour. Claire Underwood, elle n’est pas inconnue des LREM. Raphaël Gérard et Laurence Vanceunebrock sont très copain avec.
J’ai été confrontée à des adversaires acharnés, qui ont voulu donner de moi l’image d’une bigote stupide. Ils ont construit cette Agnès Thill. Or, je n’ai jamais parlé de ma religion. C’est cette fameuse Claire Underwood qui s’est demandé qui était cette Agnès Thill qui se mettait en travers de son chemin… Comme j’ai sorti un livre en 2015, Mots de Dieu pour les maux de la vie, alors ils ont pu me mettre dans la case catho.

Vous dites que le tribunal des médias et des réseaux sociaux, ce n’est autre que l’inquiétant gibet d’antan.

Nous venons encore de le voir à l’œuvre avec le journaliste Louis de Raguenel, il devait aller à Europe 1, il était recruté pour ses compétences. Il y va, et tout le monde se ligue contre lui. Qu’il s’agisse de militants, à la rigueur, on comprendrait, mais des journalistes ! C’est ce qui est arrivé à François de Rugy aussi. Il n’a rien fait, mais le tribunal médiatique s’en charge quand même. Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans un État de droit. Pour la suite, j’aurai les plus grandes difficultés. Si je retourne à mon métier, à l’école, il y aura des pétitions. C’est SE-Unsa qui le demande, et j’y étais syndiquée. Il suffit qu’il y ait trois parents pour dire « une directrice homophobe, ce n’est pas possible » et ce sera fini. Et on me convoquera pour me dire « pour votre bien, c’est compliqué de travailler dans ces conditions-là… ».

Vous êtes issue d’une famille populaire de Seine Saint-Denis, où on lisait Témoignage chrétien. Vous venez plutôt de la gauche. Est-ce que vous diriez que vous êtes maintenant une réac ? 

Je ne sais pas, mais mes anciens collègues de la majorité me traitent de réac ! Si être contre la PMA, croire en des valeurs, c’est être réac, alors je suis 100% réac, conservatrice même. Quand on ne porte plus de valeurs, quand il n’y a plus de règles, alors tout est permis, tout le monde peut faire n’importe quoi et ça devient vite chaotique.

À la lecture de votre livre, je me suis dit que vous étiez surtout de l’ancien monde. Qu’avez-vous vu de plus déplaisant dans ce nouveau monde où vous étiez égarée?

Les mensonges ! Il y en a 20 qui commandent et c’est tout. Les autres, ils lèvent le doigt. On fait semblant de les écouter. Les députés LREM se voient confier des missions, mais c’est pour qu’ils n’aient pas l’impression de ne rien faire. On avait signé pour du respect et de l’écoute de l’autre.
Quand Macron dit « votre problème, c’est que vous croyez que le père est un mâle » c’est du mensonge. Oui, le père est un homme. Ils sont complètement à l’ouest. Le fait de mentir m’est insupportable, car initialement on n’avait pas signé pour ça.

Est-ce que vous pensez briguer un nouveau mandat dans deux ans, ou est-ce que vous êtes morte politiquement ? 

Je ne sais pas ce que je ferai. Dans ma circonscription, les gens me disent d’y retourner. « Si vous saviez comme vous nous ressemblez ». Je leur demande pourquoi, et ils me répondent : « Vous allez au Lidl comme nous, vous faites les courses comme nous ». Les citoyens de l’Oise n’aiment plus les partis et n’en veulent plus, et les gens me disent de me présenter de nouveau, alors… Mais je n’ai pas encore décidé. Je ne suis pas morte politiquement.

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Rédacteur en chef du site Causeur.fr

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