Dans Le Château des Rentiers, Agnès Desarthe parle à ses lecteurs d’elle-même et de ses racines juives avec une touchante sincérité.
Dans son nouveau livre, Le Château des Rentiers, la romancière Agnès Desarthe a souhaité quitter brièvement la fiction pure, pour en revenir à elle-même de manière très autobiographique. Elle nous livre un récit éclaté de sa vie, insistant sur les origines centre-européennes de sa famille, non loin des rivages de la mer Noire. Ses ancêtres « venaient tous de la même région, écrit-elle. La Bessarabie. Que certains appellent la Moldavie. Et que d’autres associent à la Bucovine. » Agnès Desarthe fait le lien avec ses grands-parents russophones Boris et Tsila Jampolski, « deux Juifs immigrés en France au début des années 1930 ». Tous deux décident, avec leurs amis migrants, de s’installer à Paris dans un même immeuble, rue du Château des Rentiers, dans le 13e arrondissement. C’est ce quartier, cet univers, ce monde presque imaginaire qui aura bercé l’enfance d’Agnès Desarthe, elle qui adorait sa grand-mère, une femme « douce et discrète ».
Une petite communauté juive
Agnès Desarthe se replonge avec une délectation évidente dans l’évocation de cette petite communauté juive, dont elle est issue. « Personne n’était riche. Tout le monde avait souffert. Sur certains poignets, on lisait une série de chiffres tatoués. Je n’ai su que des années plus tard ce que cela signifiait. » Agnès Desarthe se comporte comme une enfant aimante, mais peu curieuse. Elle le regrette aujourd’hui, au moment où elle désirerait en savoir plus : « Si j’avais été sérieuse, j’aurais posé des questions, je me serais intéressée à ces gens, mais je pensais qu’ils étaient là pour toujours, comme mon enfance qui durerait éternellement. » Le temps passe, destructeur, et arrivent les regrets de n’avoir pas été plus redevable aux autres.
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Les aléas de l’histoire, eux aussi, ont apporté leurs bouleversements et leurs drames. La Shoah, bien sûr. La mère d’Agnès Desarthe était « enfant de déporté », c’est-à-dire « enfant cachée ». En 1996, elle a témoigné dans une vidéo de la fondation Spielberg sur ses années de guerre, et l’attente vaine du père, disparu à Auschwitz. Agnès Desarthe remet la main sur l’enregistrement de sa mère, qu’elle n’avait pas regardé jusqu’à présent. Elle prend dès lors la mesure de cet événement historique dans sa propre vie. Ce grand-père qui ne revient pas, l’espérance déçue de sa mère, et finalement la résignation, tout cela forge chez elle, par une sorte d’atavisme, « une patience face au quotidien, un attrait pour l’irrésolu qui, aujourd’hui encore, me fait préférer les questions aux réponses ». Comme une blessure qui ne se referme pas.
Nécessité de la résilience
Au milieu de tous ces malheurs, Agnès Desarthe apprend la nécessité de la résilience. De fait, sa grand-mère, puis sa mère, lui ont inculqué la joie de vivre, la foi en l’avenir. Un projet naît en elle : reconstituer en plein Paris une sorte de « phalanstère », sur le modèle de celui de ses grands-parents, rue du Château des Rentiers, où elle pourrait habiter plus tard avec sa bande d’amis. Pour Agnès Desarthe, la vieillesse est tout sauf un naufrage. D’une manière positive, la vieillesse se définirait même comme une incessante victoire sur la mort. Agnès Desarthe parle d’ailleurs très peu de la mort, comme si c’était une fatalité hors champ. En revanche, le trop-plein de la vie s’affirme pleinement en évacuant la perspective de la finitude, comme renvoyée à un passé révolu : « La mort était ce à quoi ils avaient échappé », écrit-elle de ses grands-parents et de leurs compagnons juifs.
Dans Le Château des Rentiers, Agnès Desarthe a su parler d’elle-même et de ses racines juives avec une touchante sincérité. Au seuil d’une vieillesse qu’elle voudrait heureuse, prenant modèle sur les femmes de sa famille, elle relève la tête crânement, pour ne rien dérober au futur. Optimiste par héritage, moderne par nécessité, elle voudrait préserver la meilleure part de ce qui lui reste à vivre, en bannissant toute perspective funeste. C’est un pari audacieux et sympathique, une manière de repousser la mort aux calendes grecques, à la manière épicurienne.
Agnès Desarthe, Le Château des Rentiers. Éd. De l’Olivier.
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