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Agde: le maire, la diseuse de bonne aventure et les culs nus

La correspondance de Jonathan Miller, dans l'Hérault


Agde: le maire, la diseuse de bonne aventure et les culs nus
Le Cap d'Agde, image d'archive © WITT/SIPA

Les récents déboires judiciaires du maire d’Agde (34) projettent une lumière crue sur la ville, dont une partie du territoire est minée par des activités sexuelles un peu sordides.


Madame Irma est canon !

Que se passe-t-il à Agde, ville méditerranéenne dont le maire vient d’être arrêté, accusé d’avoir utilisé de l’argent qui ne lui appartenait pas pour payer une prétendue diseuse de bonne aventure ventriloque qui l’avait apparemment ensorcelé ? Soupçonné d’avoir détourné 300 000 euros d’argent public, Gilles d’Ettore, ancien policier, maire LR d’Agde depuis vingt ans, a été placé en garde à vue pour « corruption passive, prise illégale d’intérêt et détournement de fonds publics », révèle Le Midi Libre. Aussi arrêtée : Sophia Martinez, qui ne ressemble pas du tout au stéréotype de la voyante mature un peu moche.

Les procureurs disent que Mme Martinez a admis avoir dupé d’Ettorre, 55 ans, avec des séances mettant en vedette sa voix projetée, depuis qu’ils se sont rencontrés en 2020. Sur l’insistance de la voix, le maire l’aurait inondée de faveurs financées par la municipalité, y compris le paiement de son deuxième mariage dans un château, l’octroi d’emplois au conseil à son mari et à cinq membres de sa famille, et la fourniture d’une voiture du conseil et d’un chauffeur.

« Protégez Sophia, protégez Sophia, prenez soin d’elle et de son peuple », aurait imploré la voix dans des appels téléphoniques réguliers au maire dans son bureau, a déclaré la police. « Sa stratégie consistait à modifier sa voix, y compris avec les membres de sa famille et ses amis proches », a déclaré Raphaël Balland, le procureur. « En utilisant cette voix masculine et rauque, elle a réussi à leur faire croire qu’ils parlaient avec un être surnaturel de l’au-delà », a-t-il ajouté.

Gilles d’Ettore n’est pourtant pas un idiot : il détient une maîtrise de la faculté de droit de Montpellier. Durant son parcours professionnel, il est inspecteur de police et lieutenant dans les renseignements généraux à Lyon de 1992 à 2000. D’Ettore s’est donc justifié auprès des enquêteurs, expliquant avoir été contacté par téléphone depuis l’au-delà… La voix entendue au bout du fil lui aurait demandé de faire des dons d’argent et de financer des projets… Confronté à la version de la voyante qui a avoué ses méfaits, l’élu a maintenu sa version : il assure avoir été contacté par des voix de l’au-delà et non pas par la médium, selon La Dépêche ! (Révélation complète : je connais le maire Gilles d’Ettore. Il s’est marié avec une fille du pays dans le parc de ma maison dans un village près d’Agde. Il a ensuite généreusement offert des stages à plusieurs de mes étudiants de l’université du Michigan.)

C’est quoi ce bordel ?

M. d’Ettore n’est pas seulement maire d’Agde, il est aussi président de l’agglomération locale et a siégé une fois à l’Assemblée nationale (député UMP 2007-2012). Le voilà en prison ! Il est probablement temps pour les autorités d’examiner attentivement la situation à Agde, et de ne pas limiter leurs efforts à l’incident bizarre de la diseuse de bonne aventure. Ils devraient prêter une attention particulière à l’énorme enclave naturiste du Cap d’Agde, une station balnéaire qui m’a été décrite dernièrement par un agent des forces de l’ordre local comme « le plus grand bordel d’Europe ».

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Le Cap d’Agde est réputé non seulement pour le libertinage débridé de la plage connue localement sous le nom de Baie des Cochons, mais aussi comme centre de prostitution, de pornographie ou de drogue. Pourquoi est-ce apparemment toléré ? Les habitants ont leurs soupçons et racontent des histoires qu’il serait judiciairement dangereux de répéter. Pendant la journée, la plage est connue pour ses exhibitions sexuelles nues. La nuit, le centre commercial abrite des boîtes de nuit. Les soupçons selon lesquels le quartier est infesté de gangsters sont renforcés par des actes de violence, dont des incendies criminels – que certains attribuent aux activités de racket de protection. Les enquêtes des autorités n’ont jamais été concluantes.

La tolérance y’a des maisons pour ça

Curieusement, il y a quelques années, lorsqu’un membre du conseil municipal d’Agde, Florence Denestebe, a osé soulever la question, le maire M. d’Ettore a refusé d’écouter et a fermement défendu le quartier naturiste comme étant essentiel à l’économie locale. Agde, qui compte 25 000 habitants, accueille 225 000 visiteurs par an, dont beaucoup se rendent sur les plages de nudistes.

Les visiteurs viennent du monde entier, mais les plaques d’immatriculation belges, allemandes et britanniques sont particulièrement bien représentées dans les parkings. C’est essentiellement sordide et hideux. Dans le Sunday Times de Londres, la journaliste Helena Frith Powell a décrit le Cap d’Agde comme un « village de vacances en béton sinistre ». Bâtie sur un marais dans les années 70, Agde a une réputation sulfureuse, depuis des décennies. Il y a cinq ans, Le Midi Libre rapportait l’existence d’une étude qui avait osé classer la ville comme la commune « la plus dangereuse de France » ! Une allégation alors démentie avec colère par le maire. Reste que, quand la conseillère municipale de l’opposition Florence Debeneste a défié le maire d’agir contre le quartier naturiste, elle s’est vue opposer une fin de non-recevoir ! Et pour des raisons inexplicables, les médias locaux ont adopté une attitude très tolérante à l’égard du fameux quartier naturiste. En 2005, le roman Les Particules Elémentaires de Michel Houellebecq en avait dressé un portrait peu reluisant. Roman auquel La Tribune de l’Hérault a répondu par un article largement à décharge : « Il ne nous appartient pas de juger le livre, la liberté d’expression tout comme la liberté sexuelle est un droit que nous ne nions à personne. Il serait toutefois utile de rappeler aux lecteurs que si ce type de pratiques sexuelles se développent et peuvent être considérées comme un véritable phénomène de société, le Cap d’Agde demeure une station de villégiature familiale. »

Le Midi Libre va plus loin et célèbre régulièrement le Cap d’Agde, avec des reportages annuels, richement photographiés, sur des vacanciers nus ! “C’est une chose de plonger dans la grande bleue sans maillot. C’est une autre paire de tongues que se balader les fesses à l’air dans le plus grand village naturiste d’Europe, et finalement du monde” s’enthousiasme la journaliste Annick Koscielniak. Cependant, une recherche dans les archives du journal révèle aussi toute une série de problèmes, y compris, plus récemment, des allégations d’agression contre trois vigiles employés à la station. L’affaire est en instance.

« Nos visiteurs y trouvent une multitude d’autres activités et de loisirs beaucoup plus consensuels et populaires » assurait en 2005 Patrick Vincent sur le site Hérault Tribune. « La micro-société « échangiste et libertine » est encore minoritaire dans un Village Naturiste où la pratique saine et familiale du naturisme est engagement de respect mutuel, excluant toute pratique qui pourrait nuire à autrui. L’amalgame et le raccourci qui peuvent être faits dans les médias pourraient être préjudiciables à terme, pour l’image de notre station, il serait bon d’en mesurer les effets » ajoutait-il.

Entre-temps, le Cap d’Agde est devenu plus sordide que jamais, selon un ami qui y travaille. Une recherche sur le terme « Agde » sur les sites pornographiques permet de s’en rendre compte. Il y a par exemple toute une micro-industrie qui filme la copulation publique à la Baie des Cochons… La longue suzeraineté du malheureux maire d’Ettore sur la ville touche vraisemblablement à sa fin, mais, étant donné que le Cap d’Agde est littéralement une vache à lait pour la ville, il est peu probable que les choses changent vraiment un jour, à moins que les autorités supérieures ne s’y intéressent enfin d’un peu plus près.




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Jonathan Miller est un ancien conseiller municipal d'une ville du Sud de la France, il est correspondant français du "Spectator" londonien et l’auteur de "France : a Nation on the Verge of a Nervous Breakdown" (Gibson Square, 2015).

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