Être offensé par une œuvre écrite il y a cinquante, cent ou deux mille ans, et justifier une censure au nom de cette offense, c’est partir du principe qu’un auteur devrait écrire pour un lectorat invariable.
Au risque de faire réagir certains lecteurs, j’oserai dire que les partisans de l’idéologie woke, celle des « sensitivity readers » et de la « cancel culture », n’analysent pas toujours à tort les ressorts complexes, et profonds, de nos civilisations occidentales : c’est même ce qui les rend, parfois, si difficiles à contredire – les conclusions qu’ils tirent de leurs observations, en revanche, et, surtout, les solutions qu’ils préconisent pour mettre celles-ci à exécution, laissent invariablement pantois.
Sensitivity readers: les censeurs du wokisme
Ainsi se heurtent-ils l’esprit à intervalles réguliers, sans d’ailleurs qu’on ne leur ait rien demandé, en lisant ou relisant les œuvres de celle que l’on surnomma en son temps la « Duchesse de la Mort », Agatha Christie. En 2020, déjà, ils obtenaient que le roman les Dix petits nègres fût renommé en Ils étaient dix. Et voilà que, coup de tonnerre prévisible d’un ciel de plus en plus nègre, (« un ciel si noir ne s’éclaircit pas sans orage », écrivait Shakespeare), l’éditeur français – Le Masque – de l’auteur du Crime de l’Orient Express, de Mort sur le Nil, et de ce petit chef-d’œuvre méconnu qu’est La
