La colère gronde en Afrique du Sud. Depuis septembre dernier, des milliers d’étudiants défilent dans les rues pour défendre leur droit d’accès à l’Université. Leur slogan : #Feesmustfall (les prix d’inscription doivent baisser). Le mouvement étudiant pourrait toutefois s’étendre. L’ANC, parti au pouvoir depuis la fin de l’apartheid, pourrait faire les frais d’une action perçue comme étant de plus en plus au service d’une classe dirigeante. L’enjeu est considérable : le gouvernement avait annoncé une hausse de 10,5% des frais de scolarité. Selon des chiffres révélés par Le Monde, pour Witwatersrand, la plus prestigieuse université du pays, ces frais seraient passés de 29.620 rands (1930 euros) à 58.140 rands (3.800 euros) dans un pays où le salaire moyen d’un employé équivaut à 140 euros par mois. C’est beaucoup pour ce pays où 42 millions de Noirs (sur une population de 53 millions) avaient des attentes bien différentes quand la nation « arc-en-ciel » a remplacé l’apartheid.
Pour tenter de faire plier le gouvernement, les étudiants ont marché sur Pretoria, la capitale politique du pays. Arrivés devant le siège du gouvernement, les jeunes qui n’ont pas connu l’apartheid (les « born free ») ont interpellé le président sud-africain Jacob Zuma. C’est la police qui a répondu à coup de grenades étourdissantes et de gaz lacrymogènes. Depuis, le président Jacob Zuma a cédé. Les frais de scolarité n’augmenteront pas en 2016, ils vont donc rester très élevés et non pas très, très, très élevés… Mais dans le pays, la contestation est profonde et dépasse largement la question du ticket d’entrée à l’Université.
Au début des années 1990, à la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud avait la classe moyenne noire la plus importante au monde après les Etats-Unis. Un quart de siècle plus tard, un récent sondage a toutefois établi que les Noirs, 80% de la population, se partagent 3% des richesses nationales. La majorité est touchée par un chômage élevé (25,2% en 2013) et la pauvreté. Parti au pouvoir indéboulonnable, symbole de la fin de l’apartheid et de la présidence de Nelson Mandela, l’ANC pourrait pourtant voir sa légitimité vaciller. Pour Samadoda Fikeni, analyste politique interrogé par la BBC, les actuels dirigeants ne peuvent plus faire face aux transformations radicales du pays : « Sans convictions politiques, ils font le minimum nécessaire, se préoccupant avant tout du maintien de leur niveau de vie. » Et cet immobilisme pourrait donner naissance à un mouvement de contestation de plus grande ampleur.
Dès ce lundi, Julius Malema, le leader d’une partie dissidente de l’ANC, le Economic Freedom Fighters (EFF), a demandé la « nationalisation des mines », rapporte un reporter de la BBC. L’ancien président des Jeune de l’ANC, expulsé du parti en 2012 pour avoir « semé la discorde », a par ailleurs demandé aux banques l’arrêt du prélèvement de frais bancaires pour les pauvres et les personnes âgées. Déterminé à mettre en place une « véritable justice économique », Malema avait déclaré en novembre dernier : « Nous sommes sérieux, nous voulons pleinement profiter de notre économie. Nous sommes fatigués du bavardage et de la théorie, nous voulons passer à l’action. Il faut que chaque entreprise explique comment elle compte corriger les inégalités de notre économie. » Le succès du leader, très contesté au sein de la classe politique et souvent qualifié de populiste[1. …et condamné deux fois pour incitation à la haine, après avoir chanté une chanson appelant à tuer les Boers et dit, à propos d’une femme qui accusait le président Zuma de viol, « elle a dû bien s’amuser ».] aux dernières élections générales – sa formation devient le troisième parti du pays avec 6,4 % des voix en mai 2014 – témoigne d’un malaise social profond.
Il y a quelques semaines le président sud-africain Jacob Zuma a limogé son ministre des finances Nhlanhla Nene, qu’il a lui-même nommé après les élections de 2014, le remplaçant par un député peu connu. La manœuvre – presqu’unanimement condamnée comme une tentative de se débarrasser d’un homme qui empêche le pillage du budget national – a crée un tel tollé (et une chute vertigineuse de la monnaie) que Zuma a rapidement changé d’avis, et nommé à ce poste clé Pravin Gordhan, un ancien ministre expérimenté qui a déjà eu la charge de ce portefeuille entre 2009 et 2014. Ce rétropédalage – peu de temps après son revirement concernant les frais de scolarité – n’a pas arrangé les choses. Il y a quelques jours, l’agence de notation Fitch a encore abaissé la note de la dette sud-africaine. La raison principale du risque accru – et donc du prix plus élevé du financement – sont les prévisions de croissance faible : 1,4% cette année, 1,7% en 2016. Or, le pays a besoin d’une croissance annuelle de l’ordre de 7% pour créer un nombre d’emplois à la hauteur de la forte dynamique démographique de la société sud-africaine, où naissent chaque année plus d’un million d’enfants [2. 25% de plus qu’en France pour une population moins importante de 20%.].
*Photo : SIPA.AP21813689_000005.
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