En Afrique du Sud, la libération imminente de Janusz Jakub Waluś, emprisonné pour l’assassinat d’un communiste il y presque trente ans, ravive les passions et les tensions de l’époque des luttes pour mettre fin à l’apartheid.
C’est une décision qui a soulevé un tollé en Afrique du Sud. Condamné pour le meurtre en 1993 de Chris Hani, charismatique leader communiste, Janusz Jakub Waluś va être prochainement libéré après avoir passé plus de trente ans derrière les barreaux. Polonais d’origine, il avait émigré en Afrique australe durant sa jeunesse et s’était engagé comme militant au sein du mouvement de résistance afrikaner, AWB, d’Eugène Ney Terreblanche.
L’annonce de sa prochaine libération a ré-ouvert des plaies en Afrique du Sud. Aujourd’hui âgé de 69 ans, il cristallise encore autour de lui toutes les passions héritées de la lutte anti-apartheid. Arrivé dans les années 80 en Afrique du Sud où sont déjà installés son père et son frère (ils ont réussi à fuir le régime communiste de Varsovie), il va rapidement adopter l’idéologie d’un pays marqué par l’histoire de la ségrégation raciale et adhérer au Parti National (NP) qui dirige le pays depuis 1948. Il travaillera, un temps, dans l’entreprise familiale de verrerie avant de se reconvertir en conducteur de camion. Avec l’entrée des métis et des Indiens au parlement, Janusz Jakub Waluś va de plus en plus se radicaliser. Il ne tarde pas à rejoindre le mouvement de résistance afrikaner (AWB) dont la svastika à trois branches dans un cercle blanc sur fond rouge n’est pas sans rappeler celle du nationalisme-socialisme allemand. Le parti est dirigé par Eugène Ney Terreblanche, un descendant de huguenots français, dont les diatribes enflammées sont dirigées contre le NP, accusé de trahir la minorité blanche.
Le tournant politique de Janusz Jakub Waluś intervient entre 1990 et 1991, quand le président Frederik de Klerk annonce, à la surprise générale, la fin de l’apartheid, la légalisation du Parti communiste sud-africain (SACP) et la libération de Nelson Mandela, le leader historique de l’African National Congress (ANC). C’est justement des rangs de ce parti qu’est sorti Martin Thembisile Hani. Ce natif du Transkei, un bantoustan créé de toute pièce par Pretoria, est un catholique qui s’est s’engagé dans le combat contre l’apartheid dès 1957. Il a tout juste 15 ans. Il va apprendre les rudiments de la lutte armée, les passages d’une nouvelle bible qui lui paraît plus inspirante : celle écrite par Karl Marx. Son activisme armé lui vaut d’être arrêté à plusieurs reprises au cours des décennies suivantes. Surnommé « Chris » par ses camarades de combat, il va se former militairement en Rhodésie du Sud (actuelle Zimbabwe) et se mue peu à peu en chantre de l’insurrection générale contre le gouvernement blanc. Chris Hani quitte l’ANC et rejoint le Parti communiste sud-africain dont il va gravir rapidement les échelons jusqu’au poste de secrétaire-général.
Pour une partie de la jeunesse africaine, il est un leader né à qui nombre d’analystes politiques prédisent un destin présidentiel. Chris Hani ne cache pas ses ambitions, devient l’ennemi numéro un de l’extrême-droite afrikaner. Mais aussi de l’ANC qui l’accuse de vouloir plonger le pays dans une vaste guerre civile au moment où le parti de Nelson Mandela tente de négocier une transition pacifique avec le NP. Une situation conflictuelle dans laquelle Janusz Jakub Waluś est partie prenante. L’idée de voir un communiste noir accéder au strapontin suprême et humilier les Blancs lui est insupportable. Son racisme est nourri par les discours de Terreblanche et par ses discussions avec des membres du Parti conservateur (CP). Il se décide à agir. Le matin du 10 avril 1993, Janusz Jakub Waluś, au volant de sa Ford Laser rouge, se positionne devant la maison de Chris Hani. Il attend patiemment que le leader communiste sorte de chez lui. L’attente sera brève. Alors qu’il s’apprête à fermer la porte de son garage, Hani est fauché par deux coups de feux.
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Blessé, il se relève, titube et s’effondre dans une mare de sang. Calmement, pistolet à la main, Janusz Jakub Waluś vient de l’abattre froidement avant de lui asséner deux balles supplémentaires. Il sera arrêté plus tard dans la journée grâce aux témoignages du voisinage qui n’a raté aucun moment de cette scène.Le gouvernement de Frederik de Klerk a perdu la main. L’enquête démontre que Janusz Jakub Waluś a bénéficié de l’aide du député conservateur, Clive Deby-Lewis (1936-2016), et de son épouse qui lui ont fourni l’arme encore fumante retrouvée dans sa voiture. Pis, on découvre qu’elle fait parti d’un lot d’armements militaires volé par l’extrême-droite sud-africaine. Les obsèques de Chris Hani seront à la hauteur de sa réputation. Plus de 100 000 personnes assistent à ses funérailles, émaillées par des incidents et autres appels au calme relayés par Nelson Mandela. L’action du plus célèbre prisonnier de la lutte anti-apartheid permettra au pays de ne pas basculer dans une guerre raciale. Ce qui n’empêche pas les mouvements afrikaners (dont l’AWB et le CP), menés par le général Constand Viljoen, de se rassembler au sein de l’Afrikaner Volksfront (AVF) en prévision de l’inéluctable. En prison, Janusz Jakub Waluś suit les événements dans l’attente de son procès. Chez lui, on a retrouvé une liste de personnalités africaines à abattre dont le nom de Chris Hani en troisième position et celui de Mandela. En assassinant Hani, il espérait faire sombrer le pays dans le chaos pour mieux rétablir la domination de la « race blanche » et permettre l’instauration d’un régime militaire. L’attentat a renforcé les mouvements extrémistes afrikaner dans leur volonté d’empêcher les Noirs d’arriver au pouvoir. « Si Hani n’avait pas été abattu, je l’aurais fait moi-même ! » n’hésite pas à déclarer Terreblanche au cours d’un discours public à Port Elizabeth alors que le procès du meurtrier se tient en direct.
Janusz Jakub Waluś assume son crime et sera condamné à mort en octobre 1993 (avant que sa peine soit commuée à la prison à vie deux ans plus tard) devenant une légende au sein de l’afrikanerdom.
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Avec la mise en place de la Commission réconciliation et vérité (TRC), il tente d’obtenir une amnistie qui lui est refusée en 1998. Depuis, l’AWB a perdu de sa superbe et son leader a fini également en prison avant d’être assassiné en 2010, battu à mort par ses employés noirs. L’AVF a raté son coup d’Etat et accepté de participer in extrémis aux élections multiraciales de 1994 en échange d’un référendum sur l’établissement d’un volkstaat blanc (il n’a jamais été organisé). Janusz Jakub Waluś contemple l’échec de ses idées sans mot dire. En 2016, contre toute attente, la Haute-Cour de justice accepte de le libérer mais indique qu’il est déchu de sa nationalité, expulsable vers la Pologne. Face aux protestations, les accusations de parodie de justice (« La juge n’est qu’une raciste » déclare Limpho Hani, la veuve de Chris Hani, dans le Times), le ministère de la Justice intervient et fait annuler cette décision devant la Cour suprême. Retour à la case départ pour Janusz Jakub Waluś qui a réintroduit une nouvelle demande de remise en liberté en octobre 2021. Il aura fallu un an à la justice sud-africaine pour trancher de nouveau en sa faveur.
« J’ai beaucoup de remords pour ce que j’ai fait. Je me rends compte aujourd’hui que c’était totalement inacceptable. Depuis mon incarcération, je suis revenu à la foi catholique romaine, ce qui m’a aidé à comprendre pleinement mes méfaits. J’ai accepté la nouvelle Afrique du Sud et sa constitution », a déclaré Janusz Jakub Waluś au Times, affirmant même que «le régime d’apartheid avait été une erreur ». Une repentance qui n’a pas convaincu la famille de Chris Hani qui a fait part dans la presse de sa « tristesse, sa colère et son sentiment de trahison » à l’annonce du verdict du tribunal de Pretoria. À sa sortie de prison, dont la date n’est pas encore connue, Janusz Jakub Waluś sera envoyé vers la Pologne « où il devrait être accueilli comme un héros » regrette d’ors et déjà la presse sud-africaine.
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