Tropisme palestinien oblige, l’Agence France Presse (AFP) commet bavure sur bavure dans sa couverture des événements en Israël et à Gaza depuis le 7 octobre. Face aux critiques, la direction reconnaît les faits, mais ne prend aucune mesure pour éviter les récidives.
Cela devait fatalement arriver. Depuis deux mois l’AFP, dont le budget est financé à hauteur d’un tiers par l’État (donc par le contribuable) français, se fait piteusement remarquer sur la scène internationale par ses fautes journalistiques répétées. Faits escamotés, fake news, commentaires inappropriés, son traitement du conflit entre le Hamas et Israël a suscité un tollé sans précédent et scandalisé jusque sur les bancs du Sénat et de l’Assemblée nationale, où l’on a demandé des explications aux responsables.
La bavure médiatique de l’hôpital al-Ahli Arabi
Que l’AFP ait peu de sympathie pour le pouvoir israélien n’est pas un scoop. Mais cette fois-ci, l’affaire est plus sérieuse. Au cours des jours qui ont suivi l’opération « Déluge d’al-Aqsa », l’agence a proposé un récit incroyablement minimaliste des exactions du Hamas. Dans les « papiers généraux » (le nom donné aux dépêches censées ramasser tous les éléments essentiels d’un événement), il n’est question ni des viols, ni des décapitations, ni des corps brûlés, ni des enfants assassinés, précisions qui figureraient dans un texte parlant par exemple de massacres en Afrique). Consternés, plusieurs journalistes de la maison, parmi les plus capés, ont fini par s’en émouvoir auprès de la direction.
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Cela n’a pas empêché l’agence d’aggraver son cas le 17 octobre, en prenant pour argent comptant le mensonge du Hamas sur la prétendue responsabilité israélienne dans les explosions qui venaient de se produire à l’hôpital al-Ahli Arabi de Gaza. Une première dépêche est ainsi publiée, qui donne foi à cette version fallacieuse et dans laquelle l’agence s’abstient de signaler qu’elle n’a pas été en mesure de confirmer ou d’infirmer les accusations du groupe djihadiste… Elle sera corrigée quelques heures après mais trop tard, le fiasco a déjà eu des conséquences politiques majeures. La mystification du Hamas – estampillée « AFP » – a été reçue comme parole d’Évangile dans les chancelleries, entraînant l’annulation le jour même d’une rencontre entre le président américain Joe Biden et les dirigeants arabes de la région, durant laquelle la question des otages juifs du Hamas devait être évoquée.
No arabic
Six jours plus tard, même incurie, quand l’AFP rend compte de la projection, organisée à Jérusalem par les autorités israéliennes pour la presse internationale, d’une compilation d’images et vidéos brutes captées lors de l’attaque du 7 octobre. Le reporter de l’agence envoyé sur place relate les faits dans un texte en anglais qui paraît soixante-douze heures après la projection, auquel la direction régionale, basée à Nicosie, prend soin d’ajouter une mention à usage interne : « no arabic ». Autrement dit, il est décidé de ne pas faire connaître cet événement aux lecteurs (et clients) arabophones – le service de l’AFP est disponible en six langues ! La publication en français ne sera pas moins problématique. Rédigée après une autre projection du film, organisée à Paris le 13 novembre par l’ambassade israélienne, la dépêche s’achève par le commentaire d’un professeur en sciences de l’information, Arnaud Mercier, bien que celui-ci ne soit nullement spécialiste des guerres ou du Proche-Orient, mais l’agence juge pertinent de mentionner le point de vue sur la communication israélienne, qu’il qualifie de « tentative désespérée » et de « fuite en avant »…
Remise en question en demi-teinte
Mise sous pression par plusieurs parlementaires dont le député Meyer Habib (apparenté LR), l’AFP présente finalement ses excuses pour cette série de manquements graves, mais d’une façon pour le moins légère. Dans Le Monde, Le Figaro et sur France Info, le PDG de l’agence, Fabrice Fries (un normalien énarque qui a publié voilà deux ans en essai titré L’Emprise du faux– ça ne s’invente pas), proteste de sa bonne foi et assure qu’on ne l’y reprendra pas. Mais il se garde bien de lancer la moindre enquête interne et n’envisage pas de sanctionner les personnels en cause. De son côté, Phil Chetwynd, le directeur de l’information de l’AFP, a tenté de se justifier devant la commission de la culture du Sénat, qui l’a auditionné le 14 novembre : « Le fait que l’on fasse des erreurs de jugement, dans la fatigue, c’est juste normal », ose-t-il.
Il est de notoriété publique que la ligne de l’AFP penche en faveur de ce qu’on appelle pudiquement à Paris la « politique arabe de la France ». Les journalistes qui se servent tous les jours du fil de l’agence le savent bien. Ils pensent avoir affaire à une rédaction certes orientée, mais fiable. Seulement, il va leur devenir difficile de conserver cette confiance si la direction continue, malgré le fiasco du 17 octobre, de considérer le Hamas comme une source crédible. Curieuse ligne de conduite quand on connaît le ton systématiquement soupçonneux qui prévaut à l’AFP lorsqu’il s’agit de relayer les allégations de l’armée israélienne.
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Voici par exemple le début d’une dépêche, datée du 22 novembre, relative à un reportage à l’hôpital al-Chifa de Gaza (nous avons mis en gras les procédés de distanciation employés par l’AFP) : « L’armée israélienne a emmené mercredi des journalistes dans ce qui reste de l’immense enceinte de l’hôpital al-Chifa de Gaza, détruit par les bombardements, et où a été exposé ce qui est présenté comme un réseau de tunnels du Hamas. L’établissement a été le point focal de plusieurs semaines de combats, l’armée étant convaincue que le mouvement islamiste palestinien y abritait des stocks d’armes et un centre de commandement, ce que le Hamas a toujours démenti. » On aimerait retrouver les mêmes pudeurs de gazelle face à la propagande, autrement plus douteuse, du camp d’en face.
À l’heure où nous mettons sous presse, l’AFP continue de faire le dos rond. Pourtant, il se chuchote dans les couloirs de l’agence que Fabrice Fries estime ne pas avoir « convaincu les sénateurs » lors de son audition du 14 novembre. Jusqu’où le mènera sa lucidité ? Mettra-t-il fin au militantisme qui règne de façon évidente au sein de ses équipes à Jérusalem, Gaza voire Paris, et qui fait l’objet de funestes complaisances dans la chaîne de commandement ?
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