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Ultradroite: on ne combat pas le terrorisme par le terrorisme

L'islamisme doit être combattu, mais pas par le crime


Ultradroite: on ne combat pas le terrorisme par le terrorisme
Une voiture de police devant la maison où a été arrêté le leader présumé de l'AFO. ©XAVIER LEOTY / AFP

D’après les informations disponibles à ce jour, le groupe Action des Forces opérationnelles (AFO) aurait eu comme projet d’empoisonner de la nourriture hallal dans les supermarchés pour, selon eux, riposter aux attentats djihadistes et combattre l’islamisation. Est-il besoin de souligner ce qu’un tel projet a de monstrueux, en plus d’être stratégiquement inepte ?

Nombre de familles de culture musulmane achètent de la nourriture hallal, sans pour autant être partisanes de l’islam politique. Quel sens y aurait-il à s’en prendre à elles ? Qu’elle me pardonne de la mentionner ici, mais ne peut-on imaginer que quelqu’un comme Souâd Ayada souhaite cuisiner hallal si elle invite des membres de sa famille du Maroc, dont certains sont peut-être attachés à cette tradition ? Et pourtant ! Cette Française de culture musulmane a fait plus pour la France, les Français et le français, et pour la lutte contre l’islamisme, que la majorité de nos compatriotes.

Hors-limite

Et quand bien même. Imaginons que seuls des islamistes consomment du hallal. Imaginons que tous ceux qui en achètent y voient ce que cet achat est effectivement parfois, c’est-à-dire un acte politique, une sécession alimentaire et culturelle, un financement de réseaux à l’opacité souvent volontaire. Est-ce une raison suffisante pour les tuer ? Est-ce une raison suffisante pour tuer leurs enfants, qui partagent leurs repas ?

Je sais bien qu’il n’est pas toujours possible d’éviter les victimes innocentes, que la vraie vie n’est pas toujours faite de déclarations de principe moralement réconfortantes mais aussi de décisions parfois terriblement difficiles. Qu’il fallait bombarder les enfants de Dresde pour délivrer les enfants d’Auschwitz. Mais qui pourrait sérieusement prétendre que nous en serions là, aujourd’hui, pour lutter contre l’islam politique en France ?

Il semblerait que certains membres du groupe AFO aient désapprouvé ce projet. Auraient-ils eu le courage de l’empêcher ? Nous ne le saurons jamais, et heureusement. Et que voulaient-ils faire exactement ? Menacer ou détruire des bâtiments, bien qu’illégal, n’est pas la même chose qu’agresser physiquement, voire assassiner. Cibler des prédicateurs prônant le djihad n’est pas non plus, sur le plan éthique, la même chose que s’en prendre à des musulmans au hasard.

La violence n’est pas une aventure romantique

Plus généralement, cette affaire nous pose une fois de plus la question de la violence politique, lancinante dans notre société qui confond trop souvent violence, force et sauvagerie, soit pour les condamner indistinctement, soit pour les parer d’une aura exaltante souvent imméritée. C’est AFO, mais aussi d’une autre manière les zadistes, les étudiants d’extrême gauche ayant saccagé les facultés, les black blocks, une actrice soutenant publiquement la cavale de l’assassin d’une policière, etc.

Au pays de l’Armée secrète et des FFI, toute condamnation absolue de la violence politique serait évidemment ridicule. Pour autant, l’exemple glorieux des héros du Maquis et la beauté du « Chant des Partisans » ne doivent pas servir de blanc-seing à n’importe quel activiste surexcité.

Le choix de l’illégalité et des coups de force, s’il est parfois nécessaire, est toujours grave et lourd de conséquences. Parce que ce choix impose de contraindre plutôt que de chercher à convaincre, parce qu’en faisant ce choix un groupe se donne à lui-même le droit d’incarner la véritable légitimité, la tentation totalitaire et l’arbitraire ne sont jamais loin, et la violence illégale ne peut donc appuyer un idéal démocratique qu’au prix d’une extrême prudence et d’une vigilance de chaque instant. Quoi qu’il en soit, elle ne peut être qu’un ultime recours mûrement réfléchi, et non une aventure romantique.

Est-il vraiment opportun d’affaiblir l’autorité de l’Etat ?

Quelle que soit la cause qu’elle défend, l’action illégale ne peut réussir qu’en fragilisant l’autorité de l’État. Elle doit donc se poser la question de ce qui se substituera à cette autorité, faute de quoi elle ne fera que semer le chaos. La Résistance avait anticipé cette question, avec une profonde lucidité. Les nationalistes corses aussi, dans un autre registre. Même Lénine, Mao, Al Qaïda ou l’Etat islamique l’ont anticipée. En revanche, la coalition occidentale qui a abattu Kadhafi s’est bien gardée de penser sérieusement à l’après, et on voit le résultat. Même constat en Irak, ou en Afghanistan où les talibans reviennent lentement au pouvoir.

Pense-t-on vraiment qu’il soit opportun aujourd’hui en France d’affaiblir l’autorité de l’État ? Il me semble qu’il serait plutôt urgent de la restaurer dans le respect de la volonté générale. Au passage, il n’est pas très sage non plus de faire chanter « brûlons cette maison » à l’Élysée pendant qu’on impose des réglementations absurdes sur les routes et que les forces de sécurité sont à bout

Que le gouvernement se souvienne que sa seule légitimité lui vient de la souveraineté du peuple, et de sa capacité à assumer ses missions régaliennes au service du peuple : Bercy n’est qu’un outil, pas une fin.

Il y a d’autres moyens d’action

N’oublions pas, enfin, la question des buts poursuivis. Les méthodes sont importantes, et certaines peuvent suffire à faire condamner la cause qu’elles prétendent défendre, mais elles ne sont pas tout. Ces membres d’AFO, notamment ceux qui se seraient opposés au projet d’empoisonnement aveugle et gardent donc peut-être une certaine dignité, sont-ils juste décidés à combattre le totalitarisme de l’islam politique, un peu à l’image des peshmergas kurdes ? Ou forment-ils un groupuscule nazillon avide d’une pureté ethnique fantasmée, aux rêves aussi sinistres que ceux des islamistes ? Que les actions de tels groupes puissent conduire à disqualifier les uns à cause des crimes des autres n’est pas leur moindre défaut.

Si demain, certains imams prêcheurs de haine, certains soutiens logistiques des terroristes, certains membres de leurs familles qui encouragent leur idéologie, venaient à glisser malencontreusement dans les escaliers, sans forcément approuver il faudrait être singulièrement dénué de sens moral pour crier au scandale.

Serait-ce pour autant une bonne chose ? Je suis le premier à dénoncer le manque de volonté politique, pour ne pas dire la complaisance, face aux islamistes. Mais se substituer à l’État et choisir la « propagande par le fait » n’est pas forcément le meilleur moyen de faire évoluer les choses.

La photo du petit Alan Kurdi, abondamment instrumentalisée, n’a-t-elle pas eu plus d’impact que les actions des ONG prétendument humanitaires qui vont chercher des migrants par bateau ? Les vidéos tournées et diffusées par L214 des atrocités commises dans des élevages et des abattoirs, ne sont-elles pas plus efficaces pour faire avancer la cause animale que les violences contre des bouchers ?

Vaincre l’islamisme sur le plan des idées

Qu’un groupe parvienne à filmer ce qui se dit vraiment dans certaines mosquées, à montrer la pression qui s’abat au quotidien sur les femmes dans certains quartiers, à dévoiler ce qu’est vraiment le projet de société des groupes islamistes même légaux, et surtout à donner à ces révélations un impact médiatique suffisant pour que les pouvoirs publics ne puissent plus feindre de les ignorer, et j’applaudirai.

A lire aussi: Ces « petits riens » de l’islamisme « soft » qui s’infiltrent dans notre quotidien

Que ce groupe reste purement factuel dans ses dénonciations, et évite de tomber dans des outrances similaires à celles qu’il dénonce, ne serait-ce que pour empêcher le déni sous prétexte de « ne pas faire le jeu » ou de « ne pas stigmatiser », et j’applaudirai encore plus.

Que ce groupe sache faire la différence entre les musulmans humanistes et les thuriféraires de l’islam politique, et obliger la fameuse « majorité silencieuse » à se positionner clairement entre les deux et à assumer son positionnement, et je me lèverai pour applaudir en hurlant de joie. Que ce groupe, enfin, parvienne à s’appuyer sur son succès pour convaincre la majorité des Français qu’il est par-dessus tout urgent lors des élections de « faire barrage » aux candidats qui ne défendent pas fermement la République – contre les islamistes mais aussi contre les communautaristes de tous poils, couleurs ou sexes – et je pourrai me rasseoir, apaisé et confiant dans l’avenir de notre pays.

La force ne servira à rien si l’islam politique n’est pas aussi vaincu sur le plan des idées, ce qui suppose de dévoiler sa nature totalitaire mais aussi de démontrer que d’autres projets sont possibles, au nom d’autres convictions métaphysiques, philosophiques, politiques.

Nous n’y parviendrons certes pas si notre seule réponse aux attentats est d’allumer des bougies à côté de mignonnes peluches. Mais nous y parviendrons encore moins en empoisonnant des enfants.



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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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