« Requiem pour une conne » au Théâtre Trévise, ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà…
Afida Turner au théâtre… il fallait oser y aller, mais je ne me refuse rien !
Afida Turner, vous vous rappelez ? Cette créature télévisuelle a été révélée par une émission de téléréalité sur M6, elle a été un temps la compagne du rappeur américain Coolio, de Mike Tyson, et aujourd’hui mariée depuis quinze ans à Ronnie Turner, fils d’Ike et Tina
Turner. Chanteuse, comédienne et ancienne élève du cours Florent (elle aime le rappeler), elle est en réalité un peu plus que tout cela. C’est un phénomène !
Elle ne passe pas par un plateau télé sans faire le buzz, robes rouges en cuir ras des fesses, longues griffes vernies, poitrine offerte débordante et incontrôlable, crinière de lionne… De la lionne aussi, les rugissements.
Bien sûr que c’est de mauvais goût. C’est au-delà du mauvais goût. Mais lorsque le mauvais goût est si excessif, si foudroyant, il dépasse à mes yeux le raisonnable et parfois ennuyeux bon goût. Elle devient Reine du too much jusqu’à nous pousser, nous spectateurs, au bord de la falaise vertigineuse de la gêne.
Une salle pleine tous les soirs
Il y a quelques semaines, j’apprends donc qu’Afida Turner monte sur les planches du théâtre Trévise. La pièce : « Requiem pour une conne ». Presque sans aucune promotion, la salle est pleine tous les soirs. Je m’y rends sans aucune honte et le cœur plein de joie ! Moi qui prône le retour du grand théâtre et des monstres sacrés, moi qui regrette les Maria Casarès, Alain Cuny, Sarah Bernhardt et Mounet-Sully, pourquoi vais-je donc voir Afida Turner avec autant d’enthousiasme (et j’ajouterais d’espoir) ?! Parce que je sais qu’il se passera quelque chose. Parce que, que ce soit bon ou mauvais, je sais que je ne resterai pas insensible à ce qu’on va me montrer.
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Voilà qu’Afida Turner entre en scène et, déjà, il se passe quelque chose. C’est une apparition qui galvanise la foule. Le public est électrisé, il hurle, applaudit à tout rompre. La diva chante, le show commence. « Etienne, Etienne, Etienne / Oh, tiens le bien / Baiser salé, Sali / tombé le long du lit / de l’inédit / Il aime à la folie / Au ralenti / Je lève les interdits »… C’est une véritable rock-star que j’ai devant mes yeux. Impossible de ne pas être happé par le monstre qui vient de prendre possession de la scène et de toutes nos attentions. Une tension sexuelle s’est propagée dans la salle, nous sommes tous pris au piège. Elle se caresse, entre les cuisses, atour des seins. La voilà à quatre pattes, rampant en string et collants résilles, les fesses sont maintenant de face, et bestialement dansent. Aucune vulgarité ! Ce n’est pas commun ! C’est trivial, violent, sexuel, obscène… oui, et pour notre plus grande joie ! Elle lève les interdits.
La pièce n’est pas sans intérêt
« Toute la France veut me baiser »… c’est ce qu’elle hurlera, face public, plus tard dans le spectacle. Je ne vous raconterai pas la pièce, elle n’a aucun intérêt. Et paradoxalement voilà encore quelque chose d’intéressant. Au théâtre, le public passe son temps à s’extasier, ou du moins à chercher un intérêt, à des pièces contemporaines qui très souvent n’en ont, à mon sens, aucun. Ici, personne n’est dupe. Tout le monde se fiche de la pièce et de son peu de qualité.
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Elle n’est qu’un prétexte pour mettre le monstre sur un plateau et l’offrir à la foule assoiffée de démesure et de sensations fortes. Son jeu n’est pas réaliste et c’est tant mieux. Afida Turner hurle son texte comme si elle chantait du rock. Elle insulte, elle jette les accessoires, se roule par terre. Pour que le spectacle soit totalement accompli, il faudrait qu’elle détruise à la hache le théâtre entier et s’ensevelisse sous ses décombres.
Bravo chère Afida Turner, c’est réussi ! Vous faites ce que très peu d’acteurs parviennent à faire : avoir un effet direct et physique sur votre public. Créer une tension sexuelle entre la scène et la salle. La joie qui jaillissait de la foule, je ne l’ai que rarement vue dans un théâtre. Pendant une heure et demie, vous avez détourné une salle entière de son triste petit quotidien. Le chic et petit milieu du théâtre parisien se moque et dénonce l’arrivée d’Afida sur les planches. « C’est pas une actrice ! C’est n’importe quoi ! Et qu’est-ce qu’elle est vulgaire. Franchement, c’est affligeant ». Mais ce qui est affligeant ce sont toutes ces petites comédies bourgeoises jouées par des acteurs raisonnables, qui ne provoquent aucun choc sur le public. Ce qui est affligeant ce sont ces classiques systématiquement « revisités » et modernisés à la Comédie-Française. Ce qui est scandaleux c’est l’embourgeoisement des comédiens, politiquement corrects aussi bien dans leur jeu sage que dans leurs discours policés.
Ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà…
Afida Turner devrait recevoir comme une décoration à sa boutonnière le rejet et le mépris du monde du théâtre.
Le choc que produisait par exemple Sarah Bernhardt sur la salle devait probablement plus se rapprocher de la rage hystérique et sexuelle d’Afida que de l’insipide présence de Dominique Blanc, pourtant sociétaire de la Comédie-Française… Sarah Benhardt n’était-elle pas d’ailleurs moquée ? Oui, elle dérangeait. Qui se moque aujourd’hui des comédiens sérieux de la maison de Molière ? Personne ! C’est tiède et ça ne dérange personne. Afida, elle, inspire la fascination et l’adoration chez certains… le mépris, les moqueries et l’indignation chez beaucoup d’autres.
J’en termine, vous voulez savoir si ça vaut vraiment le coup d’y aller ? Je ne sais que vous répondre. Ce n’est ni bon ni mauvais, c’est au-delà. C’est survolté, décadent, abyssal, honteux si on veut, scandaleux si ça se trouve. Bref, moi j’aime les sensations fortes, alors j’y retourne la semaine prochaine !
Dernières dates les 14, 15 et 16 février à 21h30 au théâtre Trévise, 14 rue de Trévise, 75009. Réservations 01.45.23.35.45
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