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Afghanistan : deux présidents, une stratégie ?


photo : Gerard Van der Leun (Flickr)

Les guerres d’Afghanistan et de Libye en témoignent : le propre d’une Nation est de défendre ses intérêts stratégiques. C’est vrai pour l’hyperpuissante et guerrière Amérique dont le président cherche à solder les conflits hérités de son prédécesseur, et dont l’engagement en Libye s’est fait du bout des lèvres. Mais c’est aussi vrai pour la France « RGPPisé ». Bien qu’il détricote jour après jour son outil de défense pour faire des économies, Nicolas Sarkozy a voulu sa guerre, d’où son rôle moteur dans le déclenchement des hostilités en Libye. Mais sur l’Afghanistan, il semble avoir définitivement de suivre Barack Obama.

Ce dernier, quoique n’ayant pas choisi le conflit afghan, a décidé de l’assumer. En 2009, le « surge » s’est traduit par le déploiement de 30 000 GI’s supplémentaires en Asie centrale : on ne gagne jamais mieux « les cœurs et les esprits » que par l’usage de la force. Ce président, parfois jugé trop faible, devait montrer son opiniâtreté face à l’islamisme et sa détermination à lutter contre des talibans supposés liés à al-Qaïda.

Depuis, l’impavide Obama peut se targuer d’avoir réussi là où le martial Georges W. Bush avait échoué. Si l’exécution d’Oussama Ben Laden n’a pas éradiqué la nébuleuse al-Qaïda, elle a considérablement changé le regard que l’on porte sur le conflit afghan. Car maintenant qu’on sait que l’ennemi public numéro un vivait en toute quiétude dans une villa d’Abbottabad, il n’est plus interdit de dire que le problème est surtout pakistanais. D’ailleurs, les plus vindicatifs d’entre les talibans sont certainement ceux du Tehrik-e-taliban-Pakistan (TTP), et non leurs homologues afghans, plus préoccupés par des objectifs nationaux que par des affaires de guerre sainte. Pour le spécialiste français d’al-Qaïda Jean-Pierre Filiu, Ben Laden parvenait à cultiver chez les sicaires du TTP une volonté d’exporter le djihad largement émoussée chez leurs cousins afghans, bien plus concentrés sur l’impératif de reconquête de leur territoire.

Surtout, à un an de l’échéance de 2012, Barack Obama doit lui aussi se concentrer sur les questions intérieures. Confronté à une crise de la dette sans précédent, il a de plus en plus de mal à justifier la poursuite d’une guerre de plus en plus contestée par le Congrès, et qui engloutit deux milliards de dollars par semaine. Aussi déclarait-il mercredi 22 juin depuis la Maison Blanche : « il est temps de se concentrer sur le nation-building ici, chez nous ». Et de présenter sa stratégie de sortie du conflit afghan, qui prévoit un retrait de 10 000 hommes dès 2011, puis de 23 000 en 2012.

En tout cas, la réintégration par la France de la structure militaire intégrée de l’OTAN la prédispose moins que jamais à l’indépendance. Deux heures à peine après le discours de la Maison Blanche, l’Elysée annonçait à son tour un retrait graduel d’Afghanistan, et l’on apprenait que d’ici 2012, 1300 soldats français, sur les 4 000 actuellement déployés, seraient désengagés.

On peut regretter que cet alignement soit aussi explicite alors qu’on sait depuis longtemps que le dispositif français doit se resserrer sur une seule province afghane, la Kapisa, et quitter définitivement le district de Surobi en 2012. Mais il est plus fâcheux de ne prendre qu’une demi-mesure, tant il devient difficile de déterminer quels sont les intérêts de la France dans ces montagnes d’Asie centrale où 63 soldats français ont déjà laissé la vie, cependant que nos otages ont le mauvais goût de préférer mourir au Sahel. À l’heure où nos intérêts sont essentiellement menacés en Afrique du Nord, notamment par AQMI, dont « l’émir » Abdelmalek Droukdal, rêve depuis fort longtemps de frapper le sol français, le conflit afghan présente en effet l’inconvénient majeur de nuire à « l’économie des moyens » et à « la concentration des efforts » chères aux lecteurs de Clausewitz. C’est une très mauvaise idée.

C’est une plus mauvaise idée encore au moment où la guerre en Libye, dans laquelle Nicolas Sarkozy s’est peut-être un peu lancé par calcul, mais sans doute aussi par devoir, prend une tournure nouvelle, l’objectif étant ostensiblement passé de la protection des civils au « regime change » et chacun se demandant s’il ne faudra pas à terme déployer des troupes aux sol, quoique la résolution 1973 l’ait exclu au départ.

Les stratèges de comptoirs se plaisent à dire qu’il est « plus facile de commencer une guerre que de la finir ». Les stratèges de comptoir ont peut-être raison raison, tant la France semble avoir du mal à décider son retrait définitif d’Afghanistan. Ne serait-il pas temps, pourtant, de diriger nos regards et nos efforts là où l’histoire et la géographie ont placé à la fois les intérêts de la France et les menaces qui pèsent sur elle, c’est-à-dire au nord de l’Afrique ?



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