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Bardella, la tactique du gendarme

Le regard libre d’Elisabeth Lévy


Bardella, la tactique du gendarme
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Le RN joue à fond la carte de sa popularité au sein des forces de l’ordre ; on lui reproche d’enfreindre la loi. En revenant sur la polémique autour d’une affiche de campagne du Rassemblement national, Jordan Bardella a dénoncé « l’ombre du gouvernement et de Gérald Darmanin ».


Une affiche électorale du RN agace le patron de la gendarmerie. Et agacer est un faible mot. Christian Rodriguez, Directeur général de la Gendarmerie nationale, est colère. Gérald Darmanin, aussi. Sur une affiche du RN, on voit un gendarme – du moins, un homme en uniforme de gendarme – de dos. Légende : « Je suis gendarme. Le 9 juin, je vote Bardella. » Sur X (ex-Twitter), l’affiche est accompagnée d’un commentaire un peu plus long : « Parce que je souhaite que les Français vivent en sécurité dans un pays où l’ordre est respecté et où on ne risque pas sa vie pour un regard de travers, le 9 juin je vote pour la liste de Jordan Bardella. » A noter que les créatifs du RN proposent une affiche similaire avec un militaire. « Contre une armée européenne, contre le partage de notre dissuasion, je vote Bardella », peut-on lire sur celle-là. 

Le général Rodriguez a apostrophé la tête de liste RN sur X. «Vous semblez ignorer que le statut militaire interdit ce genre de message ». Avant de l’appeler à respecter le «gendarme et son statut, dans ces périodes où son engagement peut le conduire aux pires conséquences.» Réplique de Bardella: Rodriguez contrevient à son devoir de réserve «pour prendre à partie de manière inélégante, outrancière et polémique» un responsable politique.

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Cette affiche viole-t-elle la loi ? La loi, je l’ignore, une certaine délicatesse républicaine, sans doute. Tous les partis ciblent des clientèles (les professeurs, les pêcheurs à la ligne ou les amoureux des bêtes), c’est très classique. Que le RN cherche le vote des militaires et des gendarmes est parfaitement légitime. Seulement, le visuel et l’usage de la première personne embarquent l’institution. Ces affiches ne disent pas exactement « gendarmes, votez pour nous », mais « les gendarmes votent pour nous ». D’ailleurs, Jordan Bardella le dit au général Rodriguez, dans leurs échanges sur X : beaucoup de gendarmes votent pour le RN, ce qui semble vous contrarier… Factuellement, ce n’est pas faux: la popularité du RN chez les militaires est notoire. Par ailleurs, il n’y a que peu de partisans enthousiastes de la défense européenne dans l’armée.

Mais imaginez une affiche « Les profs votent LFI » ou « Les journalistes votent Glucksmann ». Ce serait largement vrai aussi, mais on dénoncerait à raison l’arraisonnement de corporations entières par la gauche. S’agissant de l’armée ou de la gendarmerie, c’est plus fâcheux encore. Le Code Général de la Fonction Publique stipule que « tout agent public doit faire preuve de réserve et de retenue dans l’expression de ses opinions ». Une exigence plus stricte encore bien sûr pour les représentants d’institutions garantes de l’ordre, de la sécurité et de l’unité nationale. Ces derniers doivent échapper à tout soupçon de politisation, raison pour laquelle l’armée est qualifiée de « grande muette ». Un gendarme ne peut pas évoquer publiquement son vote, surtout en le liant à son statut, donc le « supposé » gendarme de la photo sur l’affiche est en faute.

Certes, comme le dit Bardella, « les gendarmes ne sont pas des sous-citoyens. Ils ont parfaitement le droit d’exprimer une opinion politique dans l’isoloir ». Sauf qu’il nous prend un peu pour des lapins de trois semaines, parce qu’une affiche n’est pas un isoloir. C’est même le contraire.  


Cette chronique a d’abord été diffusée ce matin sur Sud Radio

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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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