Des personnalités politiques, y compris modérées, reprochent au député LFI Manuel Bompard d’avoir énoncé une évidence : « gifler n’est jamais acceptable mais n’est pas égal à un homme qui bat sa femme tous les jours ».
La haine des évidences est une plaie d’aujourd’hui ! Je ne me fais aucune illusion : certains vont chipoter mon terme « évidences » en considérant qu’elles n’en sont pas ou alors seulement partielles, à nuancer, à vérifier, voire à contredire… Pourtant, si ce billet peut déjà réunir une majorité de bonne foi, il aura fait œuvre salubre.
Je concède volontiers qu’il y a des évidences objectives et d’autres qui devraient résulter, par exemple, de la morale et de l’honnêteté de chacun. De cette dernière catégorie relève ainsi ma certitude qu’un ministre ayant fauté ou échoué devrait démissionner sans attendre l’injonction du président ou du Premier ministre, qui d’ailleurs est trop rare. Je comprends que pour les intéressés qui tiennent à leur fonction, cette évidence n’en soit pas une. Pourtant, dans un monde qui ne cesse de brasser de l’humanisme et de la responsabilité, cette élémentaire rectitude devrait être la règle.
La pertinence de Manuel Bompard
Sur le plan international, il ne devrait pas être nié que la Russie a envahi l’Ukraine, évidence dans laquelle, ensuite, on peut intégrer toutes les considérations géopolitiques qui viennent à l’esprit des analystes. Mais il est pervers de fragiliser le constat massif et convaincant du fait initial pour réduire ce dernier à un simple épiphénomène. Il y a des évidences qui ne dépendent pas de la subjectivité de chacun ou de la conception des rapports de force dans le monde.
Ainsi, quand Manuel Bompard énonce que « gifler n’est jamais acceptable mais n’est pas égal à un homme qui bat sa femme tous les jours » sur CNews, il affirme ce qui devrait faire consensus pour tous ceux qui ne sont épris que de vérité brute, nette, indiscutable au sens propre. Il n’y a pas l’ombre d’un doute dans cette assertion qui n’est devenue problématique qu’à cause de l’appartenance du locuteur à LFI et de la volonté de révéler les contradictions et les malaises de ce parti – au sujet de l’affaire Quatennens et d’autres antérieures. Il n’empêche que l’idéologie, la surenchère politique ne devraient pas faire perdre tout bon sens au point de conduire à nier l’irréfutable pertinence de ce propos.
Chasses à l’homme
Dans le même domaine, mais sur un plan général plus grave, il ne devrait pas être honteux de proférer que la libération de la parole des femmes est une avancée bienvenue, à condition de ne pas assimiler chaque révélation à une vérité définitive au point d’interdire toute récusation. Soutenir que chaque dénonciation impose une enquête pour vérifier ce qu’elle vaut n’est pas contester le caractère traumatisant des agressions sexuelles et, bien pire, des viols si la preuve de leur existence a été faite. Une femme ne dit pas systématiquement la vérité malgré l’épreuve qu’elle décrit à sa manière, un homme ne ment pas forcément quand il contredit la version qui l’accable. Pour éviter à ce combat légitime de dégénérer dans une chasse à l’homme, il faut imposer, avant toute condamnation précipitée jamais questionnée, une investigation, un sérieux, une équité qui ne pourront que rendre plus accablante la stigmatisation si les conclusions sont en effet totalement à charge. Aucune accusation n’est absolue, même dans le climat volontiers univoque de cette période, jusqu’à se scandaliser de la contradiction qu’on a le droit de lui opposer.
Pourquoi cette évidence est-elle refusée comme celle proférée par Manuel Bompard l’a été absurdement par Marlène Schiappa ?
Parce que se mêlent dans cet aveuglement délibéré à la fois la partialité politique – pas la moindre concession à l’adversaire – et la crainte d’une relativisation de ce à quoi on croit et qui vous indigne. Mais cette relativisation, ces nuances, cette conscience d’une hiérarchisation à opérer, ces précautions de l’esprit, cette prudence et cette maîtrise du langage sont la preuve de l’intelligence qui se doit d’être aussi mesure. On ne saurait retenir contre les personnalités qui s’interrogent, parce qu’on ne les aime pas sur quelque registre que ce soit, les qualités dont elles font preuve et en particulier une rectitude qui ne les fait pas tout mélanger dans une sorte d’immense confusion prétendument progressiste mais vraiment nuisible et délétère.
L’actualité est friande de ces polémiques pour rien, de ces controverses pour « faire bien » mais qui n’auraient pas lieu d’être si froidement, lucidement, on appréhendait ce qui a été dit ou écrit pour prendre acte des évidences au lieu de les haïr. Parce qu’on ne veut jamais être en retard d’une haine, d’une détestation dans notre monde de moins en moins apaisé.