Ainsi donc Éric Zemmour se serait rendu coupable d’apologie du terrorisme, au prétexte qu’il a déclaré à Causeur respecter les djihadistes, « des gens prêts à mourir pour ce en quoi ils croient -ce dont nous ne sommes plus capables ». Mais croient-ils seulement en quoi que ce soit ? Là est la vraie question. Et de surenchérir : « Quand des gens agissent parce qu’ils pensent que leurs morts le leur demandent, il y a quelque chose de respectable. Et en même temps de criminel et de mauvais, c’est ainsi, les humains sont complexes, donc combattons-les, mais arrêtons de les mépriser. »
Oui, les humains sont complexes. Voilà pourquoi les motivations des islamo-terroristes sont multiples, souvent davantage liées à des meurtrissures identitaires, existentielles, sociales, voire un désir de révolte, qu’à une foi inconditionnelle. Et les experts s’accordent à conclure qu’il n’existe pas de profil-type. « Le substrat social, le rapport au religieux, les vulnérabilités d’ordre psychologique, la sensibilité au contexte international, le lieu de vie ainsi que la perméabilité à la stratégie de communication des terroristes islamistes sont autant d’éléments qui imprègnent diversement le parcours de chaque djihadiste », note le rapport du Sénat « Filières djihadistes : pour une réponse globale et sans faiblesse ». S’imaginent-ils servir une juste cause, tel un leurre voilant leurs errances ou leurs échecs, qu’ils n’en ennobliront pas leurs actes pour autant : la quête de respectabilité d’un individu ne suffit pas à le rendre « respectable ». « Ce ne sont pas des gens qui combattent pour une cause. Ce sont des gens qui se battent pour la mort, qui aiment la mort et qui sont drogués à la mort », rabâche opportunément Malek Boutih. Sous couvert d’appliquer à la lettre une idéologie qu’ils appréhendent en général fort mal, les aspirants djihadistes se jettent corps et âme dans un héroïsme de pacotille pour tromper l’ennui d’une existence trop ordinaire au fin fond d’une banlieue blafarde. Et, paradoxalement, s’assujettissent à un nouveau fascisme les délestant du fastidieux effort de penser et de décider par eux-mêmes : « Le bonheur dans la servitude volontaire », résume l’élégante formule de Boris Cyrulnik, qui pointe en outre le sentiment d’humiliation, de rejet, de frustration commun à la plupart des radicalisés : « Se présenter en victime, c’est une manière de légitimer sa propre violence. »
Réparer des blessures d’ego, se venger d’une prétendue stigmatisation, mais aussi, fréquemment, racheter ses fautes et gommer dans la foulée une histoire personnelle chaotique. La dimension purificatrice, rédemptrice, du djihad invite moult petites frappes à s’inventer un nouveau départ, à expier leurs erreurs passées, sans renoncer à l’adrénaline de la violence : « L’offre de radicalisation leur permet de recycler cette culpabilité et ils peuvent ainsi continuer d’être délinquants et criminels », explique le psychanalyste Fethi Benslama.
Rien de franchement « respectable » à tirer de ce manichéisme du prêt-à-flinguer, pierre angulaire d’un fanatisme que Nabil Mouline, chercheur au CNRS, qualifie de « bricolage intellectuel ». Un mic-mac fantasmagorique de séries américaines, de mythologies et de références coraniques parcellaires. « Ces jeunes ne savent souvent pas lire l’arabe ni le Coran. Ils n’ont aucune culture islamique et ne maîtrisent même pas les prières ! », souligne le sociologue Farhad Khosrokhavar. « Ces gens ne connaissent rien à l’islam, à la politique, notamment au Moyen-Orient. Donc vous n’avez pas chez eux une volonté d’agir pour des raisons politiques ou religieuses », confirme le diplomate Eric Danon. Difficile de s’ériger en défenseur d’une quelconque cause quand on brille par une ignorance crasse.
Certes, Éric Zemmour a raison de rappeler qu’ils ne sont pas tous déséquilibrés ou idiots, contrairement aux psalmodies médiatiques qui se sont ingénié à nous anesthésier les neurones depuis les attentats de Charlie. De plus en plus de jeunes diplômés issus des classes moyennes rejoignent les bataillons, mais ils n’en constituent pas l’essentiel. Un nombre croissant de femmes entendent, elles aussi, jouer un rôle de premier plan. Mais beaucoup d’observateurs, tel le juge Marc Trévidic, y voient aujourd’hui un phénomène de mode. « Respectable » ?
Le djihadisme a germé sur le compost d’un communautarisme exponentiel, né de la pleutrerie politique des dernières décennies. Il en cristallise les aigreurs, les amertumes, les vindictes. Daech a su exploiter les fêlures, le désœuvrement d’une certaine frange de la population, sa porosité aux théories du complot, sa soif de reconnaissance dans une société formatée aux postures narcissiques, où la frontière entre monde réel et virtuel n’a plus beaucoup d’importance, dès lors qu’on peut s’y mettre en scène. Respectable ? Non. Méprisable ? Pas plus que les accusations fantaisistes à l’encontre d’Éric Zemmour, aujourd’hui visé par une plainte d’un ridicule achevé, émanant de familles de victimes et de SOS Racisme. Car il n’en fallait pas plus à ses contempteurs, qui traquent le moindre de ses dérapages telles des hyènes affamées, pour bondir sur l’occasion, tandis que ses thuriféraires, animés d’un zèle tout aussi vivace, s’empressent de défendre bec et ongles les allégations très contestables de leur gourou. Pour le débat de fond, prière de repasser un peu plus tard.
Tout au plus pourrait-on reprocher à Éric Zemmour de prêter aux radicalisés un panache, des convictions et un sens de l’honneur fort éloignés de la réalité, et de les auréoler ainsi d’un prestige immérité, au risque de multiplier les émules.
Mourir non pas pour un idéal mais pour donner un sens à leur vie, non pas par courage mais par inconscience, s’assurer une gloriole posthume et une place aux premières loges dans l’au-delà. Respectable ? Massacrer les caricaturistes de Charlie Hebdo, les clients de l’Hyper Cacher, une automobiliste de Villejuif, un chef d’entreprise isérois, les noctambules du Bataclan, un couple d’agents de police à Magnanville, les passants de la promenade des Anglais, le père Jacques Hamel… Respectable ? Non. Zemmour, ami des terroristes ? Non plus. Juste auteur d’une absurdité déguisée en certitude et réitérée sur BFMTV (« Ce ne sont pas des esprits faibles, ce sont des gens qui ont une théologie, une idéologie, une foi, et qui agissent pour cela »), alors que les spécialistes n’en finissent pas de s’affronter, Gilles Kepel et Olivier Roy en tête, pour déterminer si le djihadisme découle d’un islam radicalisé ou, à l’inverse, d’une islamisation de la radicalité. La vérité se situe probablement quelque part à mi-chemin. Nul ne la détient, pas même Éric Zemmour.
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