Cher Luc,
C’est en lisant un mail envoyé par mon rédacteur en chef hier au soir que j’ai compris que tu venais de faire, par une erreur de langage, une gaffe qui allait te valoir des ennuis. Dans ce mail, il y avait une vidéo de l’émission « C dans l’air » dans laquelle tu étais invité à t’exprimer en tant que syndicaliste policier.
Au cours de cette émission, tu as prononcé une phrase malheureuse décrivant un dialogue entre une personne interpellée et un policier qui allait te coûter dans les médias et sur les réseaux sociaux injures, quolibets, mots de haine, menaces sur tes enfants et même appel au meurtre pour toi alors que tu n’en méritais pas tant, sauf à vouloir rétablir la peine de mort pour abus de langage…
Voici l’échange,au sujet des insultes entre jeunes et policiers avec la journaliste Caroline Roux, qui te vaut aujourd’hui d’être voué aux gémonies: « Le mots ‘bamboula’, d’accord, ça ne doit pas se dire, etc… Mais ça reste encore à peu près convenable. – Non, te répond-elle. – Bah, ‘enculé de flic’ c’est pas convenable non plus. – Non, dans les deux sens ce n’est pas convenable. –Non mais voilà mais oui mais d’accord mais c’est la conversation qu’il y a entre les deux, c’est ça le problème. » Sur le plateau personne n’a réagi, ce qui s’explique par ton explication : «c’est la conversation qu’il y a entre les deux, c’est ça le problème ».
Malheureusement, sur les réseaux sociaux la mèche était allumée causant un incendie incontrôlable, tout le monde te tombant dessus avec, cerise sur le gâteau, Christiane Taubira twittant : « On casse d’abord du bamboula puis du bougnoule puis du jeune puis du travailleur puis du tout venant ». J’aurais aimé de la part d’une ex-Garde des Sceaux un tweet aussi indigné lorsqu’un groupe de rap éructait : « 24 heures par jour et 7 jours par semaine/ J’ai envie de dégainer sur des f.a.c.e.s. d.e. c.r.a.i.e. » mais à priori le mot « bamboula » que tu n’as pas prononcé mais juste répété, choque plus Christiane Taubira que l’expression tout aussi raciste de « face de craie »…
Je sais à quel point tu es blessé, meurtri et au fond du sac depuis hier au soir. Je sais, pour assez bien te connaître, que tu es l’antithèse d’une personne intolérante et a fortiori raciste.
Je sais que les tribunaux médiatiques ont calqué leurs méthodes sur les tribunaux staliniens et que les réseaux sociaux fonctionnent comme fonctionnaient les passages au bûcher sous l’Inquisition. A cette époque, on amenait les coupables de blasphème sur leur lieu de supplice entourés d’hommes cagoulés pour qu’on ne les reconnaisse pas comme aujourd’hui on exécute en silence sur les réseaux sociaux sous l’anonymat d’un pseudonyme, les Torquemada de la toile ne valant pas mieux que les exécuteurs des hautes œuvres de l’original.
« Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ». Ainsi parla Jésus au sujet de la femme adultère que d’aucuns voulaient lapider.
Je ne veux pas te comparer à la femme adultère mais je tiens à rappeler que toute femme ou toute homme dans sa vie, surtout dans le stress du passage sur un plateau de télévision ou dans un studio de radio, peut un jour avoir la langue qui fourche, dire une connerie ou voir ses propos mal interprétés.
Tu es un syndicaliste de la police connu et reconnu et j’aurais aimé que ceux qui hurlent aujourd’hui à la mort contre toi fassent de même lorsque des rappeurs traitaient la France de « pays de kouffars », appelaient à « niquer la police », chantaient « Où sont les condés? On va les dompter. Combien de décédés? On peut plus compter » ou encore « pissaient sur la justice et sur la mère du commissaire ». On ne les a pas entendus à ce moment là pourtant les mots étaient calibrés, écrits, relus et interprétés de sorte qu’on ne pouvait pas plaider pour eux l’abus de langage. Pourtant on est tous heureux de t’avoir toi et tes collègues comme les gendarmes et les militaires pour nous protéger, notamment du terrorisme. Même Renaud s’est mis à embrasser un flic ces derniers mois, c’est tout dire…
Le petit fils de commandant de police qui t’écrit cette lettre ouverte espérait que dans la « maison », comme disait mon grand père, il y aurait de la solidarité au moins entre syndicalistes. Même pas puisque le patron d’un autre syndicat a cru bon d’en remettre des louches pour te jeter aux chiens, preuve que tout se perd, y compris chez les « Bleus ».
Sache en tout cas que je compatis à ce que tu vis depuis jeudi soir et que tu ne mérites absolument pas le sort qui t’est réservé. C’est pourquoi j’ai écrit cette lettre ouverte à un homme à terre qui, je l’espère, va très vite se relever. Pour conclure cette lettre, et comme Renaud, permets-moi de t’embrasser, cher flic…
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