Grâce à notre ami Régis de Castelnau, les lecteurs de Causeur ont pu se faire une idée claire de la procédure qui a amené à la condamnation d’Anne-Sophie Leclère et du Front national par le tribunal correctionnel de Cayenne. Son brillant article a apporté quelques éléments politiques sur lesquels il est utile de rebondir.
En premier lieu, dissipons tout malentendu. Les propos de cette dame sont abjects en sus d’être crétins. Comme le suggère Régis, une citation à comparaître par un procureur ardennais aurait été plus logique et je n’aurais pas été personnellement choqué par une lourde peine d’inéligibilité. Mais les conditions de la condamnation prononcée à Cayenne et les attendus sidérants du jugement, publiés par Libération, motivent également la révolte de tout citoyen attaché aux libertés publiques.
Que se passe-t-il d’habitude lorsque des faits, des paroles racistes ou jugées comme telles sont relevées ? Soit un procureur se saisit de l’affaire, soit une ou plusieurs association(s) connue(s) de tous dépose(nt) plainte. Dans le premier cas, les associations en question sont souvent parties civiles au procès. En général, tout cela se termine à la fameuse XVIIe chambre de Paris. En l’occurrence, dans cette affaire, où le délit de provocation à la haine raciale est a priori davantage constitué –ô combien- que dans d’autres scandales comme celui provoqué par les propos d’Eric Zemmour sur les contrôles d’identité[1. Rappelons que le journaliste a été relaxé sur cette déclaration et que c’est sur une autre parole, prononcée sur un autre plateau qu’il a été condamné, non pas pour provocation à la haine raciale mais pour provocation à la discrimination.], SOS Racisme, la LICRA et le MRAP ont été curieusement absents. Pourquoi ? L’affaire n’en valait-elle pas le coup ? Ce n’est pourtant pas ce que Dominique Sopo, invité jeudi sur Europe 1, suggérait. S’est-il abstenu pour laisser le terrain libre à l’association guyanaise Walwari ? On peut d’autant plus se poser la question que ladite association est domiciliée à la résidence guyanaise de la Garde des Sceaux, ce qui semble ne pas émouvoir grand monde, pas même ceux qui pourraient interroger cette dernière sur cette coïncidence troublante, mais qui s’en gardent bien. Il fallait donc que le procès se déroulât en Guyane, que les conditions d’un procès équitable ne soient pas réunis, pour aboutir à ces attendus que seule la crainte d’être poursuivi par les mêmes juges imprévisibles m’empêchent de qualifier de loufoques.
C’est bien simple, je me suis vraiment demandé si les habituels rédacteurs des tracts du MJS n’étaient pas dans le coup. Ce sont les attendus justifiant la condamnation du Front National, qui a pourtant exclu Anne-Sophie Leclère, avec une diligence que d’autres partis pourraient envier, qui laissent pantois. Le tribunal ne juge pas le parti frontiste complice, mais carrément co-auteur du délit. Un peu comme si dans le cadre d’un assassinat, il avait fait le guet pendant qu’on tirait sur la victime. Le FN est donc complice car il « lui a fourni les moyens en lui permettant d’être candidate » et qu’il ne s’est pas assuré « de ses opinions républicaines ». À cette lecture, j’ai frémi pour mes amis royalistes de gauche de la NAR. Le fait pour eux d’être favorables à l’établissement d’une monarchie constitutionnelle fait-il d’eux des délinquants ? Y at-il une corrélation obligatoire entre l’organisation constitutionnelle d’un pays et le racisme ? Pour les juges de Cayenne, c’est évident. À moins qu’on ne penche pour une grande légèreté et un manque de précision syntaxique graves, pour des magistrats formés dans la fameuse école de Bordeaux. Mais ce n’est pas fini. Voilà qu’ils décident, à la manière du premier commentateur facebookien venu, d’interpréter à sa guise le programme d’un parti politique. Qu’on lise ces quelques lignes : « Attendu qu’il (le FN) y a participé (au délit) de manière plus directe encore en véhiculant un discours parfois raciste, plus ouvertement xénophobe et négatif vis-à-vis de toutes les personnes ou communautés susceptibles de ne pas correspondre à son idéal du « français de souche », de race blanche ». Que Jean-Marie Le Pen, et même Marine Le Pen, puissent penser en leur for intérieur que cet idéal est bien le leur, c’est possible ; on peut –et on doit si on en la conviction – même leur reprocher certaines arrière-pensées, et pointer certaines contradictions, comme j’ai pu le faire moi-même. Mais sur le terrain politique et médiatique. Or, formellement, le programme du FN dit exactement l’inverse. Que le juge se permette de sonder les reins et les cœurs, voilà qui est particulièrement flippant. Mais sonder les reins et les cœurs, c’est le leitmotiv de ces attendus puisque les juges reprochent aussi au FN de ne pas avoir suffisamment prévu qu’Anne-Sophie Leclère se rendrait coupable d’un tel délit. L’exemple de Cahuzac, donné par mon compère Régis, ne manque pas de sel. Mais si on veut absolument trouver un exemple sur le même terrain, devra-t-on bientôt condamner le PS d’avoir permis de faire d’un adjoint au maire un homme capable de prononcer les propos suivants : « Tu me parlais des sionistes. Tu veux Zittoun ? Tu veux un juif ? Tu veux Zittoun ? Tu veux ça toi ? C’est ça que t’aime ! T’aimes pas quand les gens qui te ressemblent sont en place et veulent t’aider. Tu préfères un enculé qui te nique bien. C’est ça ce que tu veux. Tu préfères Philippe. Tu aimes bien Zittoun. » ?
Imaginons que le PS ait tout de suite exclu cet élu et lui ait retiré sa délégation d’adjoint, un peu comme le FN qui a exclu Mme Leclère. Pourrait-on lui reprocher d’avoir permis l’ascension de cet homme à des responsabilités éminentes ? Certainement pas ! Le problème, c’est qu’il a attendu trois semaines pour remercier l’auteur de cette diatribe antisémite.
Mais revenons aux attendus du jugement de Cayenne. Le tribunal invente la qualification de « président d’honneur à vie » pour désigner Jean-Marie Le Pen, alors que ce titre n’existe pas dans les statuts du FN, même si le grand âge du titulaire de cette fonction laisse penser que ce sera sans doute le cas. Le reste est à l’avenant : considérer que la liberté d’expression doit être illimitée, comme cela se passe aux Etats-Unis, ou préconiser une limitation drastique de l’immigration fait de soi un complice objectif de Mme Leclère ; le tribunal a même vérifié le fait que Marine Le Pen et d’autres personnalités du FN n’avaient pas rayé de leurs « amis Facebook » la candidate qu’ils avaient exclue. Là on est carrément dans la cour de récré des réseaux sociaux !
Sur le plan des libertés publiques comme sur celui de la formation des juges, ce jugement pose donc incontestablement problème. Sur le plan politique, on peut aussi s’interroger sur l’attitude de la Garde des sceaux. Au mieux, elle a laissé faire. En tout cas, elle est toujours très imprudente. On l’avait déjà vu brandir des papiers qui disaient le contraire de ce qu’elle racontait, voilà qu’elle ne demande pas à ses copains de Walwari de déménager leur siège avant de déposer leur plainte. De nos jours, l’amateurisme est décidément partout…
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