Propos recueillis par Élisabeth Lévy, Gil Mihaely et Daoud Boughezala
Ancien ministre de l’Industrie (1993-1994) et de la Défense (2011-2012), Gérard Longuet est sénateur de la Meuse.
Causeur. Aujourd’hui, la demande de transparence semble croître au même rythme que la défiance des Français vis-à-vis de leur classe politique. Logique : pour contrôler le pouvoir, encore faut-il que ses actions soient transparentes…
Gérard Longuet. Commençons par respecter les lois ! La « transparence » n’est pas une notion légale. En revanche, le respect de la liberté individuelle et le droit à l’intimité sont des piliers de l’État de droit. En vrai libéral, je pense que le respect de l’être humain passe avant le bon plaisir du voyeurisme. Quelles que soient les responsabilités que quelqu’un exerce, son mode de vie, sa façon de consommer, ses déplacements, ses relations doivent être sacralisées, de même que ses convictions pour qui ne veut pas les afficher.[access capability= »lire_inedits »]
Mais la technologie et les mœurs actuelles mettent à mal le droit à l’intimité. Faut-il s’y résigner ?
Nous vivons dans une société numérisée : l’empreinte numérique de chacun d’entre nous est considérable et peut, si elle est reconstituée par quelque « Big Brother », bafouer notre intimité et notre liberté individuelle. Alors que tout peut se savoir, on doit faire en sorte que ces données ne soient manipulées ni par des organismes économiques ni, a fortiori, par le pouvoir politique. C’est pour cela que je réagis : si l’écoute judiciaire est parfaitement légitime, elle l’est dans le cadre d’une instruction visant un délit défini et si on a des raisons sérieuses de penser que telle ou telle personne est associée à ce délit. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, ces critères n’ont pas été respectés.
C’est vous qui le dites ! Des magistrats informés pensent le contraire. Or, dans un État de droit, ce sont eux qui décident !
On parle d’un financement que Kadhafi aurait apporté à la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007. Où sont les preuves matérielles ? Les comptes de cette campagne électorale ont été présentés au Conseil constitutionnel, qui les a validés ! À aucun moment, des financements suspects n’ont été signalés. Le dossier est vide ! Malgré cela, quelqu’un a pris la décision d’enquêter. À cet instant, Mme Taubira est de mauvaise foi : une instruction ne peut être ouverte, surtout sur un sujet majeur, qu’avec une ordonnance du doyen des juges d’instruction qui a lui-même reçu des réquisitions du Parquet, sous l’autorité du garde des Sceaux. Le juge ne peut pas s’auto-saisir.
Si l’on vous suit, la magistrature agit de manière arbitraire…
Quand vous écoutez la totalité des conversations de quelqu’un pendant près d’un an, vous ne cherchez plus la confirmation d’un soupçon, vous passez au peigne fin la totalité de sa vie en espérant trouver quelque chose. C’est un détournement de procédure où l’on vide l’océan pour être certain que vous n’avez pas perdu une vieille chaussure.
La Justice française a-t-elle donc été instrumentalisée pour éliminer un concurrent politique ?
Non. Les magistrats de l’instruction sont complètement autonomes, mais ils doivent respecter des règles. Or, le juge qui a pris la décision d’écouter Nicolas Sarkozy s’en est, semble-t-il, affranchi. Parti sur un sujet, il en poursuit un autre. En avait-il reçu le mandat ? Une institution aussi importante que la Justice doit obéir à une déontologie très forte. Lorsqu’il y a des écarts, il faut y mettre fin.
Dans ce monde transparent où vous êtes en permanence susceptible d’être écouté ou filmé, la politique est-elle toujours possible ?
Pour réfléchir avant d’agir, il faut tout imaginer. À cet instant, le secret est bienvenu. Il serait dangereux à l’homme de pouvoir d’émettre publiquement toutes les hypothèses d’action qu’il étudie : on lui reprocherait une hypothèse qu’il n’a ou qu’il n’aurait jamais eu l’intention de suivre. La transparence à outrance nous empêcherait d’avancer de peur de nous retrouver en porte-à-faux avec l’opinion commune.
L’inféodation du politique au pouvoir médiatique n’illustre-t-elle pas un certain renversement des rapports de force ?
En effet, ceux qui ont accès à l’opinion publique peuvent affaiblir ceux qui n’y ont pas un accès égal.
C’est donc le pouvoir politique qui est en position de contre-pouvoir, tandis que les magistrats et les médias exercent le vrai pouvoir et exigent une liberté quasi absolue ?
Absolument ! J’ai un souvenir très précis du dernier conseil des ministres auquel j’ai participé sous la présidence de Mitterrand, où il a dit aux ministres présents : « Le jour où vous donnez l’autonomie au Parquet, vous pouvez renoncer à la politique parce que la République ne sera plus gouvernable, ce sera le gouvernement des juges. » Il avait totalement raison.
Et le gouvernement des médias, c’est encore pire, sans doute !
C’est un pouvoir qui s’autodétruit avec le temps !
Mais, enfin, Edwy Plenel peut sommer la Justice de chercher, chercher et chercher !
Exactement : il a un pouvoir de nuisance illimité et sans contrepartie de responsabilité. Mais l’opinion juge qui exagère et remet chacun à sa place.
Dans ce contexte, une indépendance accrue de la Justice vous pose-t-elle un problème ? Nous avons l’impression que les juges responsables des écoutes de Sarkozy étaient de facto assez indépendants…
Je suis d’accord avec vous. Cette affaire donne le sentiment d’être autogérée par des magistrats qui se veulent investis d’une mission. Comme ils n’ont de comptes à rendre à personne, les marges sont vastes ! Quant à l’indépendance des juges, il faut comprendre que dans la Justice, il y a le juge qui juge et il y a l’action publique, qui décide de poursuivre. Or, cette dernière prérogative doit s’exercer in fine sous l’autorité du gouvernement. Il est la seule autorité légitime en démocratie pour décider de poursuivre car il décide du trouble à l’ordre public. Le juge, lui, juge en toute responsabilité les dossiers dont il est saisi. Chacun dans son rôle, le siège et le parquet, dans le cadre des lois.
En théorie, mais en réalité, le mal est toujours fait au niveau de l’instruction !
Absolument, et je suis bien placé pour en parler[1]… Si la notoriété d’une personne est fortement atteinte par une enquête dont on laisse fuiter de façon partielle et partiale tel ou tel élément, la personne est condamnée avant même d’avoir été jugée !
En même temps, nous sommes tous atteints de voyeurisme. Malgré les appels au respect de la vie privée, tout le monde s’est intéressé aux récents événements sentimentaux de la vie privée de François Hollande ! L’offre rencontre donc la demande.
Vous avez été ministre de la Défense. D’après votre connaissance de nos services, est-il techniquement ou politiquement possible d’effectuer des écoutes illégales ? Le président, peut-il, comme à l’époque de Mitterrand, ordonner que l’on écoute tel ou tel journaliste ?
Aujourd’hui, dans notre société de la délation permanente, je crois qu’un homme politique au pouvoir ne prendrait pas ce risque. Mais il existe aussi des solutions techniques privées qui permettent d’écouter. Sauf que le jour où vous passez commande d’un tel service, vous êtes prisonnier de l’entreprise qui l’a réalisé, ce qu’aucun homme politique ne souhaite…
On est aussi écouté par des agences de renseignement extérieures…
C’est fort possible. Des grands services comme la CIA ou la NSA sont capable d’écouter des millions de communications par jour, puis ils sont en mesure d’en tirer les quelques dizaines de conversations qui correspondent à leurs préoccupations. Il suffit ensuite de les réinjecter partiellement dans les médias pour déstabiliser un gouvernement, par exemple.
Nos libertés sont donc menacées, à l’intérieur par la sainte alliance des juges et des journalistes, et à l’extérieur par les services de renseignement des pays étrangers…
Le véritable souci est effectivement la complicité de certains magistrats avec certains journalistes. Cette collusion m’a poussé à soutenir Nicolas Sarkozy, non pas en tant qu’homme politique, mais comme citoyen porteur d’une juste et saine colère !
Benoît Hamon a quand même déclaré que seuls ceux qui ont quelque chose à se reprocher redoutent d’être écoutés…C’est une horreur à l’état brut, hélas partagée par certains !
Les réactions à la tribune de Nicolas Sarkozy dans Le Figaro ont effectivement été très violentes. On a l’impression d’une guerre au sommet !
Le gouvernement a sur-réagi pour faire oublier qu’il ne contrôle ni ses magistrats, ni ses policiers. Certes, les ministres Valls et Taubira ne sont responsables directement ni des écoutes ni des fuites, mais ils doivent faire le ménage chez les juges et les policiers qui en sont à l’origine ! Pour le moment, dans cette affaire, le seul délit incontestable, c’est la violation du secret de l’instruction.
Depuis l’affaire Patrick Buisson, fouillez-vous les collaborateurs qui participent à vos réunions ?
Non. Mais je me mets psychologiquement dans la situation de quelqu’un qui, à tout moment, pourrait être écouté. J’essaie de ne pas dire de bêtises, de ne pas faire d’humour noir, alors que j’adore cela… Quand vous êtes un responsable politique, vous êtes obligé de vous contrôler matin, midi et soir ! Parfois, on explose de bon cœur ![/access]
*Photo: BRUNO BEBERT/SIPA. 00678460_000005
[1] Mis en examen en 1995 dans l’enquête sur le financement supposé illégal du Parti républicain, défunte formation de droite libérale qu’il a présidée, Gérard Longuet est finalement blanchi par un non-lieu en 2010. Également mis en cause par les juges dans une affaire concernant la construction de sa villa de Saint-Tropez, il est relaxé à deux reprises, en première instance, puis en appel.
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