M. Bégaudeau,
Vous venez, une fois de plus, d’être flashé par nos services en flagrant délit de mensonge et d’escroquerie intellectuelle. Dans une de vos blogueries habituelles – elle circule sur le web depuis le 14 novembre 2014 – vous prenez en effet habilement prétexte de l’« affaire Sagnol » – telle, du moins, que les médias officiels ont jugé bon de la reconstruire (Laurent Blanc avait déjà essuyé les plâtres) – pour dénoncer (ou « stigmatiser », si le mot vous paraît politiquement plus correct) un certain nombre de « discours contemporains » dont la seule finalité serait de propager partout l’idée « qu’on se sentirait quand même mieux avec des footballeurs issus du petit peuple blanc ». Nous laisserons naturellement ici de côté l’«affaire Sagnol » elle-même (notons quand même que ce bon Willy semble tout ignorer du magnifique travail effectué, depuis 1994, par l’école de football d’Abidjan et l’Académie Jean-Marc Guillou).
Tout comme les cas de MM. Zemmour et Riolo qui, disposant d’un large accès aux médias, sont assez grands pour se défendre eux-mêmes. Nous nous en tiendrons donc uniquement, pour ce premier communiqué, à votre rapide présentation des idées de « l’essayiste Jean-Claude Michéa », présentation dont le degré de malhonnêteté intellectuelle (nous avons eu la charité d’écarter d’emblée l’hypothèse de la bêtise absolue) ramène désormais les Boltanski, Amselle et autres Corcuff au rang de simples joueurs d’une division d’honneur régionale.
Vous avez non seulement, en effet, réussi le tour de force d’associer indirectement cet auteur aux propos tenus par M. Sagnol – chapeau l’artiste ! – mais également celui de réduire sa critique des dérives libérales du football contemporain à une simple « complainte sur la disparition du football paysan plein de bon sens ». Complainte dont vous tenez d’ailleurs à préciser qu’elle est, dans son principe, « un peu auvergnate » (espérons que la LICRA ne vous poursuivra pas en justice pour de tels propos discriminatoires). Or il suffit de lire n’importe lequel des nombreux écrits ou entretiens que M. Michéa a consacrés au football – fût-ce en pratiquant ces inénarrables méthodes de lecture que prône votre ancien gourou Philippe Meirieu – pour s’apercevoir aussitôt que le terme de « paysan » n’y joue strictement aucun rôle. Et même dans l’hypothèse surréaliste où M. Michéa aurait songé à défendre une telle thèse – ce qui, encore une fois, est une pure et simple invention de votre part – on ne voit toujours pas en quoi l’idée que le football devrait être pratiqué par les seuls « paysans » impliquerait par là même qu’il devienne l’affaire du seul « petit peuple blanc ».
Que l’on sache, il y a aussi des paysans au Maghreb et en Afrique noire, et même, proportionnellement, beaucoup plus que dans notre pays. Le fait demeure néanmoins – comme chacun peut aisément le vérifier – que, dans ses écrits sur le football, M. Michéa s’est toujours borné à soutenir l’idée que le futbol de arte (comme le nomment les Brésiliens) était né, à la fin du XIXe siècle, du conflit entre le dribbling game des clubs de l’élite bourgeoise et aristocratique d’Angleterre et du passing game des clubs ouvriers écossais. Passing game transmis ensuite, sous l’influence majeure d’un Jimmy Hogan, aux clubs d’Europe centrale et qui constitue donc, à ce titre, l’une des sources majeures de ce merveilleux football autrefois illustré, entre autres, par la Wunderteam de Mathias Sindelar, la Hongrie de Puskas et le Brésil de Pelé (tous les spécialistes connaissent bien l’influence du « football socialiste » de Gusztàv Sebes sur Vicente Feola et Tele Santana).
Comme vous le voyez, il n’y a pas plus d’allusion, dans cette thèse, au rôle privilégié que le monde paysan aurait joué dans la genèse du people’s game que de souci du bien commun dans une réunion du CAC 40. Mais trêve de précisions historiques. Vouloir discuter de philosophie du football avec vous serait aussi saugrenu que d’engager un débat avec Mère Teresa sur les mérites comparés de la Kalashnikov AK 74 et du Stoner 63 A. Il reste que cette manière frauduleuse de présenter les faits n’autorise que deux interprétations. Soit vous avez définitivement décidé de vous spécialiser dans la recension d’ouvrages dont vous n’avez même pas survolé la quatrième de couverture et, dans ce cas, la carrière d’éditorialiste au Monde ou à Libération devrait vous aller comme un gant (nous supposons même que votre soif éperdue de reconnaissance médiatique y trouverait enfin son compte). Soit – et nous penchons malheureusement pour cette seconde hypothèse – vous avez bel et bien lu les écrits de M. Michéa sur le football et c’est alors en toute connaissance de cause que vous avez choisi d’en falsifier intégralement le contenu. À seule fin – c’est la seule interprétation plausible – de marquer ainsi la place personnelle que vous comptez désormais occuper dans le vaste troupeau de ceux que Guy Debord appelait les « actuels moutons de l’intelligentsia ». Quoi qu’il en soit, et quels que puissent être les dessous réels de votre démarche impudente, nous tenons cependant à vous rassurer.
Nous n’attendons évidemment pas de votre part la moindre reconnaissance officielle de vos mensonges godwiniens. Et comme, par ailleurs, notre Observatoire n‘entend exercer qu’une simple autorité morale, nous nous contenterons donc, pour cette fois, de diffuser largement ce communiqué et d’éclairer ainsi votre public sur votre singulière conception du débat intellectuel. De toute façon, la chance n’est pas avec vous. La sortie prochaine du film de Gilles Perez et d’Eric Cantona, Foot et immigration – documentaire dans lequel M. Michéa intervenait précisément, à la demande d’Eric Cantona lui-même (qui, lui, a réellement lu ses textes), pour défendre l’idée que le football constitue aujourd’hui l’un des derniers grands vecteurs d’intégration culturelle des jeunes issus de l’immigration – achèvera probablement de convaincre les plus honnêtes de vos fans du nouveau sens qui doit désormais s’attacher au verbe bégauder. Du Protocole des sages de Sion, il sera ainsi loisible de dire, dorénavant, qu’il ne s’agissait que d’un faux, bégaudé par la police tzariste. Pour le reste, nous vous laissons évidemment seul avec votre conscience, si toutefois vous en avez encore une.
Avec nos excuses les plus plates pour vous avoir tiré quelques instants de votre sommeil dogmatique, si conforme aux mœurs intellectuelles de nos temps libéraux.
Le secrétariat exécutif de l’Observatoire de la fraude intellectuelle en France.
*Photo: Psebcool.
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